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9 mars 2017  Archives des actualités

Mgr Ramazzini invité au Parlement européen

Garantir la primauté des Droits Humains dans les politiques de commerce et d’investissement.

Ce lundi 7 mars 2017, Mgr Ramazzini était convié à intervenir lors d’une conférence-débat au Parlement européen. À l’initiative d’Entraide et Fraternité et co-organisé avec l’eurodéputé Claude Rolin et un réseau d’ONGs partenaires [1], cet événement était l’occasion de rappeler à quel point il est urgent de réguler l’activité des entreprises transnationales et autres, et ce à l’aide d’un outil juridique contraignant. C’est précisément l’objectif du « traité contraignant » en cours de négociation à l’ONU depuis 2014 [2]. Ce traité a pour objectif principal de donner un cadre légal obligatoire aux entreprises afin qu’elles respectent les droits fondamentaux des populations, et notamment des peuples indigènes.

Au sein d’un panel relevé - qui accueillait également Claire Courteille, la directrice de l’OIT à Bruxelles, et Markus Krajewski, professeur en droit public international de l’Université d’Erlangen-Nürnberg -, l’hôte de notre campagne de Carême 2017, Mgr Ramazzini, a été l’invité vedette de cette conférence qui s’est déroulée devant un public nombreux et averti issu des associations de la société civile et de représentants de l’Union européenne (Parlement et Commission).

Prenant en premier la parole, le prélat guatémaltèque a tout d’abord brossé un rapide tableau de la situation sociale dans son pays. Cette dernière s’est considérablement dégradée ces 20 dernières années et ce, malgré l’espoir suscité par les accords de paix et la reconnaissance formelle des droits des peuples indigènes à la fin des années ’90. L’une des causes de cette dégradation est la multiplication de projets hydroélectriques et de mines à ciel ouvert qui dégradent l’environnement et négligent les droits humains des populations locales. Aujourd’hui, le Guatemala compte plus de pauvres que jadis, et ces pauvres sont dans une situation de précarité encore plus grande !

Dans ce contexte, l’apport financier des 1,2 million de compatriotes exilés aux USA est tout simplement vital. Estimé à 6400 millions de $, il est la deuxième source de devises pour le pays. Il va donc sans dire que les velléités de « déportations massives d’immigrés » exprimées par le nouveau président Trump inquiètent vivement le pays. Mais Mgr Ramazzini a rappelé que sous l’administration Obama, tous les records d’expulsions et de refoulement de clandestins et d’immigrés avaient déjà été battus.

Au cœur de son intervention, l’évêque de Huehuetenango, mondialement connu pour son engagement auprès des plus pauvres et pour son combat contre les violations des droits humains commis par les entreprises minières, a détaillé certains abus commis par ces dernières, notamment dans son ancien diocèse de San Marcos. Ainsi par exemple, la filiale guatémaltèque de la Gold Corp, transnationale canadienne, laquelle exploite de l’or dans de gigantesques mines à ciel ouvert au mépris des droits des communautés avoisinantes régulièrement touchées par des pollutions diverses et expropriées de leurs terres agricoles.

L’exploitation minière dans tout le Guatemala va à l’encontre des droits fondamentaux de la population, martèle l’ecclésiastique : droit à la vie, droit à un environnement sain, droit à un travail décent… Elle pose aussi la question de la propriété des ressources naturelles nationales.

Mgr Ramazzini a insisté sur les facteurs qui favorisent la présence et les activités de ces entreprises au Guatemala et en particulier, la « loi sur les mines » qui permet l’exploration des sols et l’exploitation des ressources naturelles tant convoitées, mais qui comporte des standards sociaux et environnementaux extrêmement bas. Ainsi, par exemple, l’utilisation massive du cyanure dans les mines d’or n’est pas règlementée, ce qui a parfois des conséquences dramatiques : lors d’un accident dans le nord du pays, des barils sont tombés dans la nature provoquant une grave pollution, mais il n’a pas été possible de faire juridiquement quoi que ce soit, la loi guatémaltèque ne le permettant pas.

Il faut donc bien comprendre que l’exploitation minière telle qu’elle se pratique aujourd’hui au Guatemala est parfaitement légale au regard de la loi nationale. Il convient donc d’agir d’abord à ce niveau même si le Congrès ultra-conservateur ne prend pas en compte la défense des plus pauvres.

Un autre aspect est évidemment la répartition des bénéfices d’exploitation et la part qui revient à l’État et donc à la population : avant de lancer son exploitation au Guatemala, la Gold Corp a obtenu un prêt de 45 millions de $ auprès de la Banque mondiale. Ce prêt, elle l’a remboursé en un an, ce qui prouve les bénéfices faramineux engrangés. Dans ce cas, comment est-il possible que, dans un pays aussi pauvre, les royalties prévues par la loi ne dépassent pas 1% des bénéfices ? Dans un élan « d’altruisme », Gold Corp a bien annoncé qu’elle verserait 4% mais, au regard de ses bénéfices et des dégâts occasionnés, cela reste ridiculement bas ! Il faudrait au moins 35-40% !

De plus, le calcul de ces contributions se fait sur base du premier contrat, à une époque où l’once d’or se négociait à 400$ or. Après trois ans, ce prix est passé à 1400$/once !

Tout cela, a insisté Mgr Ramazzini, est parfaitement injuste… mais parfaitement légal !

Il y a donc deux combats à mener parallèlement :

-  un combat national à mener par une société civile renforcée afin d’obtenir des lois plus justes,
-  une lutte tout aussi indispensable pour renforcer le droit international afin de contraindre des entreprises comme Gold Corp et leurs sous-traitants nationaux à soumettre leurs activités industrielles et commerciales au respect strict des conventions internationales sur les Droits humains.

L’évêque de Huehuetenango a également déploré que, lorsque l’Union européenne est venue parler de commerce avec le Guatemala à l’occasion des négociations sur l’Accord d’association [3], toutes ces questions n’aient pas été abordées. Malgré la promesse de l’UE de faire en sorte que le contenu de l’accord soit en priorité axé sur 1) le dialogue entre États (en incluant la société civile), 2) la coopération au développement, et 3) le commerce, il semble que l’UE ait décidé de renverser l’ordre de ces priorités, voire de faire abstraction des deux premières. Pour Mgr Ramazzini, cet accord s’est transformé en un accord commercial de libre-échange comme un autre, ne bénéficiant pas à la majorité des populations mais aux grandes entreprises. De plus, on n’a pas évoqué la fameuse convention 169 de l’OIT sur les droits des peuples indigènes. Or, cette dernière est très difficilement mise en œuvre au Guatemala. Mgr Ramazzini a donc énoncé une demande explicite à Claire Courteille, présente au débat, afin que l’OIT mette davantage de moyens pour que cette convention prenne acte au Guatemala et tienne compte dans son application de ce qu’en disent les communautés indigènes elles-mêmes.

Mgr Ramazzini a conclu son intervention en appelant de ses vœux un traité international contraignant sous l’égide de l’ONU, lequel obligerait les entreprises transnationales et leurs sous-traitants, mais aussi les entreprises domestiques, à respecter le Bien commun et à considérer les populations indigènes comme des sujets de droit à part entière. Si on arrivait à un traité de ce type, cela pourrait également aider à renforcer les principes de la constitution nationale, laquelle, bien qu’imparfaite, déclare viser le bien-être de tous les Guatémaltèques.

Et au final, c’est bien de cela dont il s’agit : garantir aux populations affectées par les exploitations minières le minimum qui leur revient et créer des conditions de vie qui répondent en tout point à la définition de la dignité humaine.



[1CIDSE, CIFCA, Broederlijk Delen, Commission Justice et Paix, Solidarité mondiale et Comité Oscar Romero.

[2Pour plus d’information, voir l’analyse de Maxime Caudron Entreprises et respect des droits de l’Homme : du volontaire au contraignant ?, décembre 2016, disponible sur https://www.entraide.be/Entreprises-et-respect-des-droits-de-l-Homme-Du-volontaire-au-contraignant

[3Accord global signé en 2012 entre l’Union européenne et l’Amérique centrale (Costa Rica, Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Panama).



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