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Cartes blanches

Annulation des dettes du Sud : la Belgique a un rôle moteur à jouer

Par Renaud Vivien (coordinateur du Service politique d’Entraide et Fraternité), Leïla Oulhaj (chargée de plaidoyer au CNCD-11.11.11) et Anaïs Carton (chargée de plaidoyer au CADTM).

Voici un an, le gouvernement belge s’engageait à œuvrer pour l’annulation des dettes du Sud. Le 15 octobre se tiennent les assemblées du FMI et de la Banque mondiale. La Belgique y tient une place stratégique. À elle de prendre la main et d’agir suite à sa promesse.

L’accord de gouvernement fédéral, conclu fin septembre 2020, engage la Belgique à œuvrer pour l’annulation des dettes du Sud. Un an plus tard, la Belgique n’a toujours pas mis en œuvre des moyens nécessaires pour atteindre les objectifs qu’elle s’était fixés. Plus d’un tiers des 135 pays classés « en développement » sont à ce jour en situation de surendettement ou en défaut de paiement. Il est temps que le gouvernement pose des actes concrets. Les discussions en cours au sein du Fonds monétaire international (FMI) sur les droits de tirage spéciaux (DTS) lui en donnent justement l’opportunité.
Le FMI vient d’annoncer l’allocation de 650 milliards de dollars de DTS pour aider les États à faire face à la crise. Le DTS est un actif de réserve international visant à fournir des liquidités aux États.

Les DTS : un coup d’épée dans l’eau ?

À première vue, cette initiative du FMI pourrait être une bouffée d’oxygène pour les pays appauvris du Sud. Toutefois, elle se heurte à deux limites importantes. La première porte sur la part de DTS réservée à ces pays. La distribution des DTS étant proportionnelle aux quotes-parts des pays au FMI, les 29 pays les plus pauvres ne recevraient, par exemple, que 21 milliards de dollars alors qu’ils ont besoin de 450 milliards de dollars pour relancer leurs économies au cours des cinq prochaines années. À l’opposé, les 55 pays les plus riches dont fait partie la Belgique bénéficieront de 375 milliards de dollars. Pour corriger ce déséquilibre patent, des négociations sont en cours pour redistribuer aux pays du Sud une partie de ces 375 milliards, mais avec le risque que ce transfert de DTS vienne encore alourdir le poids de la dette du Sud si les pays riches leur accordent ces DTS sous forme de prêts. Dans ce cas, les États créanciers donneraient alors d’une main ce qu’ils reprennent de l’autre à travers le remboursement des dettes.

Deuxièmement, l’initiative du FMI est vouée à l’échec si elle ne s’accompagne pas de mesures d’annulations de dettes contraignantes pour tous les créanciers. Rappelons qu’à ce jour seuls des reports de dettes ont été décidés par les États créanciers pour un montant équivalent à seulement 1,66 % des remboursements effectués par les pays du Sud en 2020. De plus, ces moratoires ne concernent pas les principaux créanciers du Sud que sont les banques et les fonds d’investissement privés suivis des banques multilatérales de développement avec à leur tête la Banque mondiale. Même en pleine pandémie, aucun de ces créanciers ne renonce au paiement des intérêts sur la dette. Or, en 2021, près de 37 % du service de la dette de ces pays concernent le secteur privé et 22,5 % les banques multilatérales de développement.

Inverser les priorités

Il est donc à craindre qu’un transfert de DTS des pays riches vers les pays du Sud ne profite pas aux populations mais aux créanciers. Les pays riches fourniraient aux pays du Sud les liquidités nécessaires pour rembourser en priorité leurs dettes au détriment des besoins vitaux des populations. Rappelons qu’avant même l’arrivée de la pandémie un quart des pays du Sud consacraient davantage de ressources au service de la dette qu’en dépenses de santé et que le remboursement annuel du service de la dette représente plus du double de l’aide publique au développement !

Avant même l’arrivée de la pandémie un quart des pays du Sud consacraient davantage de ressources au service de la dette qu’en dépenses de santé

La Belgique doit actionner ses leviers politiques

Pour l’instant, les engagements du gouvernement fédéral belge sont loin d’être tenus. Ils peuvent encore l’être mais à condition d’utiliser tous les moyens à disposition de la Belgique pour concrétiser des annulations de dettes. À cet égard, les discussions en cours sur les DTS au sein du FMI sont une occasion à ne pas manquer.
La Belgique peut et doit jouer un rôle moteur, en premier lieu en donnant l’exemple, celui d’annuler le paiement de dettes des pays du Sud dont elle est créancière en 2020 et 2021. Ensuite, en défendant une vision ambitieuse et solidaire au sein des enceintes internationales.
Rappelons que la Belgique a un poids politique important au sein des institutions financières internationales puisqu’elle dispose, au nom d’un groupe de pays, d’un siège au conseil d’administration du FMI et d’un siège suppléant à la Banque mondiale. De plus, elle se trouve dans les groupes de pays qui pèsent le plus, en termes de droits de vote au sein de ces deux organisations.
Lors des réunions annuelles du FMI et de la Banque mondiale qui auront lieu du 15 au 17 octobre, la Belgique devrait plaider énergiquement, d’une part, pour l’annulation immédiate (au minimum) des intérêts dus à ces deux organisations et, d’autre part, pour que le transfert de DTS des pays riches aux pays du Sud se fasse sous forme de dons dépourvus de conditionnalités économiques et politiques. Il serait, en effet, profondément injuste que les pays riches leur prêtent une part des DTS qui leur sont alloués alors qu’ils y auront accès gratuitement. Pareille mesure est aussi indispensable pour ne pas aggraver leur niveau d’endettement déjà insoutenable.

Contraindre le secteur privé à prendre sa part dans les allègements de dettes

Pour que les DTS ne soient pas utilisés pour rembourser les banques et les fonds d’investissement privés, le gouvernement belge devrait également, à l’instar de sa loi sur les fonds vautours, contraindre juridiquement le secteur privé à prendre sa juste part dans les allègements de dettes. Plusieurs institutions financières actives en Belgique dont BNP Paribas, Deutsche Bank, Degroof Petercam, Candriam, KBC Group et Ackermans van Haaren détiennent des créances sur les pays du Sud. Une telle participation obligatoire des créanciers privés est d’autant plus justifiée qu’ils perçoivent les intérêts les plus élevés et qu’ils enregistrent de plantureux bénéfices même en temps de crise.

Carte blanche parue dans La Libre Belgique le 12/10/2021

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