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photo par "ILO in Asia and the Pacific" - CC BY-NC-ND 2.0
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Faire respecter les droits humains par les entreprises ?

Un texte collectif de treize représentant·e·s de la société civile.


Huit ans après l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh dans lequel plus de 1 000 travailleurs du textile, en majorité des femmes, ont trouvé la mort, la Belgique n’a toujours pas de législation visant à obliger les entreprises à respecter les droits humains dans le cadre de leurs activités. Pourtant, dans l’économie globalisée d’aujourd’hui, une telle loi s’impose de toute urgence. Il est temps que la Belgique se réveille pour œuvrer à l’élaboration d’une loi nationale forte sur le devoir de diligence et soutenir l’initiative européenne pour une législation similaire.

Il y a de fortes chances que les vêtements que nous portons aient été fabriqués dans des conditions de travail précaire, que notre smartphone contienne des minéraux extraits par des enfants et que le chocolat belge que nous mangeons ait été fabriqué par des personnes réduites en esclavage. Il est hallucinant qu’en 2021, soient encore vendus sans restriction un nombre considérable de ces produits qui font l’objet de violations des droits humains au sein de l’Union européenne où les droits humains sont pourtant tenus en si haute estime par les autorités.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs lois de nature volontaire visant les entreprises ont été développées par les Nations Unies et l’OCDE. C’est ainsi qu’a émergé le concept de « devoir de diligence » qui demande aux entreprises d’identifier les impacts négatifs potentiels de leurs activités sur les droits humains et l’environnement et cela tout au long de leur chaîne de valeur. Elles doivent également prendre les mesures nécessaires pour prévenir ces impacts. Les entreprises qui ne s’y plieraient pas pourraient être tenues pour responsables qu’il y ait un dommage ou pas ; et les victimes devraient avoir accès à des réparations.

L’approche volontaire ne fonctionne pas

En 2017, la Belgique a adopté son « plan d’action national sur les entreprises et les droits humains ». Malheureusement, l’accent a été mis sur les actions volontaires. Le respect des droits humains dans les chaînes de valeur y est présenté comme une option plutôt qu’une condition de base pour entreprendre.

Compter sur la bonne volonté des entreprises n’est pas suffisant, comme l’a montré une étude de la Commission Européenne qui a révélé qu’actuellement seules 37 % des entreprises du continent pratiquent une forme de diligence raisonnable, et malheureusement souvent imparfaite[[https://ec.europa.eu/info/consultations/finance-2020-sustainable-finance-strategy_en]]. Pendant ce temps, les entreprises qui ne se soucient pas d’éventuelles violations commises au sein de leurs chaînes de valeur se contentent de poursuivre leurs activités, en toute impunité. Il est urgent d’harmoniser les règles pour toutes les entreprises.

Combien ça coûte ?

Il existe beaucoup de réticences à obliger les entreprises à mener ce devoir de diligence, relayées abondamment. La question du coût que pourrait engendrer ces opérations pour les acteurs économiques est le premier motif de préoccupation. Toutefois, selon les récentes recherches menées par la Commission européenne, le coût estimé n’est que de 0,14 % du chiffre d’affaires d’annuel pour les PME, et de 0,009 % pour les multinationales. Certains citoyen·ne·s expriment également des craintes que les produits deviennent soudainement plus chers. C’est également faux. En effet, outre le coût dérisoire du devoir de diligence, le prix d’un produit est davantage déterminé par la marge bénéficiaire d’une entreprise que par le coût du travail d’une ouvrier·ère situé plus en amont dans la chaîne. Le coût du travail d’un·e ouvrier·ère de l’habillement, par exemple, ne représente en moyenne que 0,5 % à 5 % du prix de vente du produit[[« Les impacts de la crise du Covid-19 dans le secteur de la confection de vêtements, une conséquence de l’absence de salaire vital », analyse d’AchACT asbl, 2020.]].

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L’Europe prend les devants

Nos voisins sont (heureusement) beaucoup plus avancés que nous. En France, la « loi sur le devoir de vigilance » a été adoptée en 2017, les Pays-Bas et l’Allemagne ont également formulé une proposition de loi.

L’Union européenne progresse également ! En 2020, la Commission européenne a annoncé travailler sur une législation similaire visant l’ensemble de ses entreprises. Cette promesse du Commissaire européen à la Justice Didier Reynders a été très bien accueillie, non seulement par la société civile mais aussi par certaines entreprises. Ces dernières semblent en effet vouloir mettre un terme aux violations des droits humains et à une concurrence déloyale. Le Parlement européen s’est également manifesté récemment en publiant un rapport d’initiative qui demande à la Commission de mettre un frein aux violations de l’environnement et des droits humains dans les chaînes de valeur des entreprises en légiférant. Ce rapport a été approuvé à une majorité écrasante : 504 membres du Parlement ont donné leur feu vert.

Si Didier Reynders tient sa promesse, une première proposition sera débattue au sein de l’Union européenne à partir du mois de juin. Toutefois, les discussions entre le Parlement, le Conseil et la Commission peuvent prendre de longs mois voire des années. Or, c’est maintenant qu’il faut mettre un terme aux violations des droits humains dans le monde.

Où en est la Belgique ?

La Belgique est à la traîne. Mais nous pouvons aussi avancer au niveau national en prenant exemple sur nos voisins. Une proposition de loi belge sera bientôt débattue au Parlement. Nous attendons que tous les partis politiques optent résolument pour le respect des droits humains et de l’environnement par les entreprises. Certaines entreprises belges réclament également comme nous, une loi nationale. En février, soixante d’entre elles ont même remis une lettre officielle aux ministre Pierre-Yves Dermagne et Meryame Kitir afin de soutenir cette idée.

Rana Plaza, plus jamais ça

Ce 24 avril, nous commémorons pour la huitième fois l’effondrement du Rana Plaza. Huit ans après la catastrophe, très peu de choses ont changé. C’est pourquoi la société civile se mobilise à nouveau pour mettre fin à l’impunité des entreprises. Les lois qui obligent les entreprises à s’engager en faveur des droits humains sont la clé de voûte d’un véritable changement. Comme l’a récemment exprimé le Conseil européen, les crises telles que la pandémie que nous vivons actuellement mettent les droits humains fondamentaux à rude épreuve, mais ils doivent être au cœur de notre redressement. Nous demandons donc à l’Union européenne et à notre Parlement belge de créer une législation ambitieuse rendant le devoir de diligence obligatoire, afin que des catastrophes comme celle du Rana Plaza ne se reproduisent plus jamais.


Signataires
Sanna Abdessalem, AchACT ; Hélène Capocci, Entraide et Fraternité ; Lodewijk De Witte, Oxfam en Belgique ; Montserrat Carreras, Amnesty International Belgique francophone ; Mark Deneer, Amnesty Internationaal Vlaanderen ; Marcela de la Peña, Marche Mondiale des Femmes ; Santiago Fischer, WSM ; Hanne Flachet, Fian Belgium ; Larisa Stanciu, Commission Justice et Paix ; Marc Leemans, ACV-CSC ; Drie Merre, FOS ; Veronique Wemaere, SOLSOC ; Wies Willems, Broederlijk Delen ; Sophie Wintgens, CNCD-11.11.11

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