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18 octobre 2019  Archives des actualités

Communiqué de la CoEH

Haïti plongée dans une crise sans précédent

Depuis plus d’un mois, Haïti est confrontée à une situation de ‘pays locked’, une paralysie presque générale de la vie économique et sociale.

Le 4 octobre dernier la COEH (Coordination Europe Haïti [1]), lors de son Assemblée Générale, a écouté des représentantes de la société civile haïtienne sur la situation de plus en plus intenable dans leur pays. La COEH veut être la voix des Haïtiens et Haïtiennes auprès de l’Union Européenne et de ses Etats-membres. Dans ce cadre, nous nous permettons de vous esquisser un bref panorama de la situation actuelle.

Depuis plus d’un mois, Haïti est confrontée à une situation de ‘pays locked’, une paralysie presque générale de la vie économique et sociale : on déplore la fermeture des écoles, le manque d’accès à l’eau potable, des hôpitaux au ralenti, une pénurie de carburant, des paysans sans moyens de transport pour acheminer leur produits, le commerce paralysé, les gens incapables d’aller au travail.

Les groupes les plus démunis sont les plus grandes victimes de cette situation. Le pays est plongé dans une crise sans précédent où les droits humains des citoyens sont quotidiennement violés. Cette crise a en réalité commencé depuis les émeutes de juillet 2018 suite à la tentative avortée de l’augmentation du prix du carburant et aux révélations du scandale de corruption des fonds PetroCaribe…

La population et les organisations de la société civile haïtiennes pointent du doigt la mauvaise gouvernance du pouvoir en place. Les mobilisations se multiplient contre un pouvoir englué dans des scandales de corruption et d’accointance avec des gangs criminels armés et soutenus par des personnalités politiques proches du pouvoir en place. L’implication de représentants politiques dans la préparation du massacre de La Saline à la mi-novembre 2018, quelques jours avant une grande mobilisation, témoigne de l’atmosphère de terreur et des multiples intérêts en jeu. La population haïtienne, déjà en grande difficulté par l’augmentation du coût de la vie et une économie en berne, est la première victime du blocage du pays et démontre en cela son courage et sa détermination.

D’autres secteurs du pays, tels la conférence épiscopale, la conférence des religieux, le secteur des entreprises, les professeurs, des auteurs haïtiens, s’expriment pour juger la situation intenable et demander au président de prendre ses responsabilités et remettre son mandat en jeu. La révolte s’est renforcée ces dernières semaines, avec des manifestations massives le vendredi 27 septembre, le vendredi 4 et le vendredi 11 octobre. Les manifestants disent vouloir continuer jusqu’à ce que le président démissionne.

Depuis des mois, Haïti est devenu un pays sans gouvernement. Après la démission forcée du premier ministre Céant fin mars, le Président Jovenel Moïse n’arrive pas à faire accepter par le parlement un nouveau premier ministre.

Les sommes indécentes évoquées dans les affaires de corruption qui accablent le pays ces dernières années, ne font que s’insurger davantage une population qui elle vit dans une pauvreté de plus en plus criante. La publication par la Cour des Comptes d’un rapport sur le dossier Pétrocaribe a démontré un détournement massif, systémique et orchestré d’une part importante des 4.2 milliards de dollars américains générés par ce fonds [2] entre 2008 et 2018. Ce scandale a donné naissance au mouvement des Petrochallengers qui réclament la clarté sur l’utilisation de ces fonds et exigent que la justice fasse son travail et qu’un procès soit intenté contre les responsables de la dilapidation des fonds.

La Communauté Internationale pour sa part insiste depuis des mois pour un dialogue entre les parties. Malgré des vaines tentatives de dialogue, les organisations interpellées déplorent les tentatives de récupération et de mise sous silence des revendications populaires par le pouvoir en place.

Beaucoup de promesses ont été faites et après deux ans de mandat présidentiel, bien peu a été accompli au regard de l’urgence que connaît Haïti. La confiance populaire en ce gouvernement est épuisée. A la fin de l’année, les mandats des députés et de deux tiers des sénateurs se terminent.

Cela permettra alors au Président de gouverner par décret. Selon la constitution, des élections auraient dû avoir lieu en octobre-novembre 2019. Mais la loi électorale, qui se trouve sur la table du parlement depuis plus d’un an, n’a été ni discutée ni votée. Depuis deux ans, le gouvernement fonctionne sans budget approuvé par le parlement.

Nos interlocuteurs en Haïti s’étonnent du silence en Europe.

Ils se demandent pourquoi la Communauté Internationale et surtout le Core Group [3] continuent à soutenir le président, en dépit des nombreuses violations des droits humains et du nombre incalculable de morts et de blessés depuis le début des mobilisations. L’indifférence de la communauté internationale, des médias et de l’opinion publique occidentale soulève beaucoup de questions.

Même si les différents courants de la société civile et de l’opposition ont toujours de la peine à trouver un terrain d’entente sur tous les points, ils sont d’accord sur un socle de revendications : démission, si possible volontaire, du président ; mise en place d’un processus de transition et de dialogue vers un changement pour un système de gouvernance démocratique, transparent et sans corruption ; fin de l’impunité pour les coupables de corruption ; et certains ajoutent : mise en place d’un plan d’urgence face à la crise humanitaire qui s’annonce.

La CoEH est dans le devoir de transmettre le message de nos partenaires haïtiens, pour lesquels une sortie de crise n’est plus envisageable sans le départ du président, l’instauration d’un gouvernement transitoire et la réalisation d’une conférence nationale pour une réforme en profondeur de l’État et la création des conditions indispensables pour des élections transparentes et ouvertes.

Pour sa part la CoEH demande instamment aux institutions de l’UE et à ses Etats membres d’être vraiment à l’écoute de la légitime colère de la population haïtienne, et de ne pas rester indifférent face à la menace de crise humanitaire qui couve. L’UE doit ouvrir le dialogue avec la société civile et la soutenir dans l’élaboration d’une feuille de route et d’un processus de dialogue avec les acteurs et contribuer à la mise en place d’un système de gouvernance transparent et sans corruption et un Etat de droit enfin capable de répondre aux besoins de dignité de la population haïtienne.

Barbara Küpper (coordinatrice CoEH), Greet Schaumans et Claude Mormont (membres du Comité de Pilotage CoEH)



[1La COEH veut représenter la voix de ses partenaires de la société civile haïtienne auprès de l’Union
Européenne et des Etats membres. http://www.coeh.eu

[2Le fonds Petrocaribe, créé par le Vénézuela en juin 2005, rejoint par Haïti en avril 2006 sous le gouvernement Préval, est un fonds est constitué des bénéfices sur les livraisons de pétrole à prix préférentiel du Vénézuela et vendues via l’État au prix normal de marché. Ces bénéfices sont destinés à contribuer à des projets de développement dans le pays.

[3Le Core Group (composé de la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies, des ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union Européenne et du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains) a été établi en 2004 afin de promouvoir le dialogue avec les autorités haïtiennes et de contribuer à une action efficace de la communauté internationale en Haïti.



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