photo noir et blanc : les mains d'un ouvrier tinnent un content en métal rempli de morceaux de roche.

Comment sortir de l’imbroglio à l’est de la RD Congo ?

Depuis 20 ans, les populations de l’est de la République démocratique du Congo subissent la violence en plus de la misère. Notamment au Sud-Kivu où sont actifs les partenaires d’Entraide et Fraternité. Les élections à venir et la question des ressources constituent des leviers d’action.

C’est un véritable imbroglio. Depuis deux décennies, l’est du Congo se débat dans des guerres locales dont la profusion des protagonistes et de leurs motivations rend la compréhension des plus improbables. Clara Debeve, directrice exécutive d’EurAc (Réseau européen pour l’Afrique centrale, qui réunit 34 ONG européennes, dont Entraide et Fraternité, impliquées dans la région des Grands Lacs), en dresse les grandes lignes : « C’est un conflit complexe, qui dure depuis longtemps et avec de nombreuses causes qui s’entremêlent, comme la problématique des réfugié·es ou de la distribution ethnique héritée de la colonisation. À cela s’ajoutent la mauvaise gouvernance, la corruption, l’impunité généralisée. Les relations entre la RDC et le Rwanda sont en dents de scie depuis des années. Il y a actuellement un regain des tensions et violences. La présence de minorités tutsi à l’est du Congo, ou encore d’anciens génocidaires hutus, les FDLR, est mobilisée dans le narratif du Rwanda pour justifier des incursions en RDC. On l’a vu encore récemment avec la résurgence du M23 dont les liens avec le Rwanda sont avérés par les experts de l’ONU. Les actions du M23 ne doivent toutefois pas faire oublier les agissements aussi graves d’autres groupes aussi dangereux. Les ADF (Forces démocratiques alliées), islamistes venus d’Ouganda par exemple, continuent aussi de faire régner la terreur. On compte plus d’une centaine de groupes différents aujourd’hui et, avec la reprise des violences à l’est, on observe une recrudescence des groupes d’autodéfense. » À ces factions s’ajoutent la présence des Casques bleus de la Monusco, « qui, bien qu’ils soient vivement critiqués, empêchent certainement que la situation soit encore pire », et de troupes de la Communauté d’Afrique de l’Est, appelées en renfort par le président Tshisekedi.

La sécurité dans les deux Kivu depuis 2017 : 20858 victimes, 7332 incidents, 9984 enlèvements, 10654 morts violentes (chiffres arrêtés au 4/5/23, source : Baromètre sécuritaire du Kivu - Université de New York)

Le président Macron, récemment en visite à Kinshasa, a usé de mots assez peu diplomatiques à l’endroit des dirigeants de la RDC : « Depuis 1994, vous n’avez pas été capables de restaurer la souveraineté, ni militaire, ni sécuritaire. Il ne faut pas chercher des coupables à l’extérieur. Bâtissez une armée solide, construisez la sécurité autour de l’État, faites passer la justice transitionnelle pour que vous n’ayez pas de criminels de guerre encore en responsabilité ou sur le terrain. »

Pour Clara Debeve, cette question de la gouvernance est centrale, et c’est l’un des enjeux des élections présidentielles et législatives de la fin 2023 : « Le président a été porté au pouvoir il y a cinq ans à l’issue d’élections vivement critiquées. Ce problème de légitimité le contraint aujourd’hui dans sa capacité d’action et notamment à restaurer la paix et la stabilité dans l’est. La reprise des conflits, au-delà des conséquences dramatiques pour les populations, fait courir un risque sur le prochain cycle électoral. La tenue des élections est déjà remise en question dans les provinces de l’est et une partie de la population pourrait ainsi se voir priver de son droit de vote, comme en 2018. En dépit des ressources gigantesques du pays, l’État et ses institutions sont faibles, et cela se traduit par un manque de confiance de la population, pour l’organisation des élections par exemple. »

Les ressources, parlons-en. Durant des décennies, le Congo a été pillé pour son caoutchouc, ses diamants, son uranium. Désormais, il y a le gaz du lac Kivu, le pétrole du parc des Virunga et toujours les minerais : la moitié des réserves mondiales de cobalt, le cuivre et les « 3TG » (étain/ cassitérite, tantale/coltan, tungstène, or). L’accaparement de ces ressources excite autant ces groupes armés, les pays voisins que les multinationales et les grandes puissances. En RDC, plus qu’ailleurs, il faut parler de « minerais du sang » car, aux conditions d’esclavage, s’ajoute le fait que sont exploitées des ressources provenant de zones de guerre. « C’est le nœud central », dit la directrice d’EurAc : « Parce que le cobalt est fondamental pour la transition énergétique et que les ‘minerais numériques’ alimentent nos ordinateurs et nos smartphones, nous avons une capacité d’action depuis nos pays : nous pouvons encourager le caractère responsable de notre consommation, qui a des impacts sur la sécurité et le niveau de vie des populations sur place. Un règlement européen vise à casser le lien entre approvisionnement en minerais ici et alimentation des conflits sur place, mais, deux ans après son entrée en vigueur, il a peu d’effet. Il faut renforcer sa visée politique sur le terrain si l’on souhaite avoir un vrai impact. »

Une nouvelle stratégie européenne

L’Union européenne a adopté sa nouvelle stratégie pour la région des Grands Lacs. « Nous saluons l’adoption d’une nouvelle stratégie européenne qui envoie un signal fort en faveur de la paix et du développement durable dans la région et qui a le mérite de remettre le Congo à l’agenda », dit EurAc. « Cependant, nous regrettons l’approche limitée de l’UE qui privilégie les aspects économiques comme réponse globale aux conflits dans la région. L’UE a manqué l’opportunité de s’engager sur des questions fondamentales telles que l’État de droit, la bonne gouvernance, l’espace civique et les droits humains, qui restent pourtant les pierres angulaires de la construction d’une paix durable. »

# Conflits sociaux # Décolonisation # jt201