Un homme souriant en conversation avec quelqu'un hors cadre.
Sylvain-Dominique Akilimali Bulambo

La mine n’est pas un avenir, c’est l’agriculture qui nous nourrit

Entretien avec Sylvain-Dominique Akilimali

Le défi le plus complexe : convaincre les femmes et les enfants travaillant dans les mines de se tourner vers les champs qui n’offrent pas de rentrées financières immédiates. Sylvain-Dominique Akilimali, fondateur et coordinateur de Change, l’explique.

Comment en êtes-vous arrivé à créer Change ?

Sylvain-Dominique Akilimali : Je suis le fils d’un paysan qui était commis pour une société minière, la Sominki (Société minière et industrielle du Kivu), et j’ai vécu la guerre (ndlr : depuis 1996) dans la province du Sud-Kivu. Ce vécu personnel m’a amené à la conclusion qu’il fallait agir en faveur des droits de ces personnes sans voix que sont les paysans et les paysannes. Les gens qui vivent dans les zones rurales sont sans ressources, leur sécurité alimentaire n’est pas assurée. Ils et elles ne connaissent pas leurs droits, il faut leur apprendre à défendre leurs intérêts dans un pays dont la gouvernance laisse plus qu’à désirer. Tout le monde veut travailler dans les mines mais c’est l’agriculture qui nous nourrit.

Comment expliquer ce paradoxe ?

S.-D. A. : Il y a dans la province du Sud-Kivu de très nombreuses exploitations minières. La population agricole s’est petit à petit tournée vers les sites miniers depuis que le code minier a libéralisé l’industrie et légalisé l’exploitation artisanale. Ayant goûté aux rentrées financières générées par l’or ou la cassitérite (étain), ces gens ont déserté l’agriculture pour des raisons matérielles. Fin 2023, plus du quart de la population vivait sous le seuil de la sécurité alimentaire. La mine, c’est le règne du désordre et du chaos. Pourtant, quand on propose à ces gens de revenir vers l’agriculture, qui est le vrai poumon économique dans une région à la terre très fertile, ils et elles nous disent : « Le problème, c’est que l’agriculture ne paie pas rapidement, il faut attendre 3, 4, 6 mois pour récolter le fruit de notre travail. » Dans les mines, qu’elles soient industrielles ou que l’on travaille dans les dangereuses mines artisanales, on peut espérer une petite rentrée journalière. Ce sont des travaux insalubres où l’on subit des violences mais le fait d’y obtenir rapidement de l’argent de manière régulière attire malgré tout. Il faut aussi prendre en considération le fait que l’accès à la terre est très restreint : il y a de grandes concessions occupant de vastes étendues et des sociétés minières s’accaparent et détruisent des dizaines de milliers d’hectares de champs, d’étangs et de rivières à des fins d’exploitation. Résultat : les gens qui y travaillaient n’ont plus d’autre choix que d’aller vers les mines.

Parvenez-vous à les convaincre de changer de vision ?

S.-D. A. : Actuellement, nous travaillons avec 50 femmes qui sont sorties des mines, dont des mères d’enfants qui travaillaient dans les mines. C’est un projet mené avec l’appui d’Entraide et Fraternité. On a conscientisé ces femmes à tout ce qui ne va pas : maladies, violences, non-durabilité… L’objectif, c’est de les amener à comprendre que l’avenir réside dans l’agriculture. On gagne peut-être plus d’argent dans les mines mais on en dépense plus pour manger. Les mines ne contribuent pas au développement local. Dans les zones minières, les aliments coûtent très cher car il n’y a pas la moindre route. Il est nécessaire de revenir à l’agriculture et d’avoir de la patience, d’attendre les 3 à 6 mois nécessaires pour récolter les fruits de son travail. Ces femmes ont accepté de faire ce chemin mais il faut avouer que ce n’est pas facile. Elles font d’ailleurs face à des difficultés dans la communauté parce qu’elles n’ont pas de revenus en attendant la récolte. On les sensibilise pour cela à l’épargne, aux crédits, aux autres activités génératrices de revenus, à l’entrepreneuriat. Petit à petit, les résultats convainquent les autres femmes que c’est une bonne formule.

Pouvez-vous nous décrire ce chaos, ce véritable enfer des mines ?

S.-D. A. : L’arrivée des entreprises chinoises a clairement aggravé la situation. Il n’y a pas de contrôle du respect du code minier, on exploite sans permis, c’est la corruption qui règne. La plupart du temps, les société chinoises n’ont pas d’autorisation à produire. Parfois, elles sont chassées mais reviennent avec la complicité des autorités locales. On fait travailler les femmes et même des enfants de 5 ans qui subissent aussi des violences sexuelles, physiques et psychologiques. Les groupes armés, souvent des Maï-Maï ou des Congolais d’expression rwandaise, protègent contre rétribution les exploitations minières. La prostitution est omniprésente.

Qu’attendez-vous des autorités européennes ou belges ?

S.-D. A. : Un renforcement des mesures de vigilance de la chaîne d’approvisionnement. Cela peut aussi responsabiliser les sociétés minières ici. Et puis, un appui à l’agroécologie car le gouvernement congolais ne consacre pas de moyens à l’agriculture.

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