portrait d'une femme
Soeur Espérance Musimwa

Nous aidons à la fois les femmes qui veulent quitter la mine et celles qui veulent y rester

Entretien avec Sœur Espérance Musimwa

Sœur Espérance Musimwa est religieuse de la congrégation diocésaine Filles de Marie Reine des Apôtres de Bukavu depuis 19 ans. Elle est avocate au barreau du Sud-Kivu et travaille comme chargée du Département Bonne gouvernance à la Commission Justice & Paix de Bukavu. Elle est aussi membre de l’Observatoire des ressources naturelles.

En 2019, 11.11.11, l’homologue flamand du CNCD-11.11.11, vous a désignée parmi les principales actrices de changement en RD Congo. Pourquoi ?

Sœur Espérance : C’est le résultat d’un travail que nous avons mené cette année-là sur l’impact des réinstallations des communautés locales en raison des activités de la société canadienne Twanginza Mining (Banro), devenue chinoise entre- temps. Les communautés ont été délocalisées de force dans une autre chefferie du Sud-Kivu. En lisant les rapports, je me suis rendu compte que le déplacement de ces communautés hors de leur milieu naturel avait provoqué de nombreux problèmes pour ces plus de 200 familles, soit pas loin de 2000 personnes. Le site de relocalisation était très isolé, loin de tout marché ou toute école, n’offrait que de mauvaises terres, de mauvaises conditions de vie et climatiques. Les logements étaient totalement inadéquats, beaucoup trop petits (deux petites chambres pour une famille avec 10 enfants !), insalubres et en matériaux inadaptés au climat. Le béton s’effritait et l’humidité était partout. Pour se faire soigner, ces gens devaient retourner de là où ils avaient été chassés : certains mouraient de faim. De plus, aucune terre agricole ne leur avait été donnée. Nous avons réuni la communauté et les autorités : la chefferie a accepté de donner des terres. Le reste n’a pas été entendu à cette heure mais nous continuons le travail : malheureusement, avec les entreprises chinoises, c’est encore plus difficile de négocier. Ce genre de cas est notre quotidien.

Vous accompagnez spécifiquement les femmes qui travaillent dans les mines. Quelle est leur réalité ?

Sr E. : Les femmes constituent une importante main-d’œuvre dans les mines. Les chiffres sont variables mais cela peut représenter jusqu’à 40-50% en certains endroits. Elles travaillent autant que les hommes mais leurs droits sont encore moins respectés et leurs rentrées financières encore plus faibles que celles des hommes en raison de coutumes rétrogrades. C’est surtout dans les mines artisanales qu’on les trouve ainsi que leurs enfants. Elles sont utilisées pour transporter et piler les minerais, c’est ce qu’on appelle les « femmes twangeuses » (« concasseuses »). Les hommes creusent et extraient les minerais et les femmes les lavent, les pilent, les portent, ce qui est plus lourd finalement que le travail des hommes. Elles sont payées de manière forfaitaire, elles ne participent pas aux prises de décision ou au leadership. Ensuite, on voit des femmes enceintes ou des femmes allaitantes qui travaillent dans ces mines : cela les expose à des maladies dangereuses car elles ne portent pas les protections nécessaires et il n’y a pas d’hôpital à proximité. Il faut aussi parler des violences sexuelles. Les femmes, parfois mineures, sont violées par les hommes avec qui elles travaillent ou qui les surveillent, quand elles ne sont pas contraintes à la prostitution par manque de moyens financiers. C’est pourquoi nous devons encourager l’épargne, le crédit, les activités génératrices de revenus (AGR). D’autant que les revenus des ménages sont très majoritairement soutenus par les femmes.

C’est donc là que vous intervenez ?

Sr E. : Nous intervenons tout à la fois auprès des femmes qui veulent quitter les mines et de celles qui souhaitent continuer à y travailler. Certaines veulent devenir elles-mêmes propriétaires de leur puits et se constituer en coopérative au même titre que les hommes. Celles-là, nous les équipons de kits de protection et nous les formons à se protéger physiquement et hygiéniquement, nous les sensibilisons à leurs droits (autorisations, taxes…). Nous voulons aussi renforcer la présence sécuritaire dans les mines pour empêcher la venue de groupes armés violents. 60% des femmes préfèrent plutôt sortir de la mine pour développer des revenus agricoles ou d’autres AGR par le biais de métiers comme la coupe-couture ou la broderie. Pour permettre aux femmes de travailler dans l’agriculture, nous achetons des champs communautaires ou des animaux d’élevage : elles créent une coopérative et peuvent vendre et se partager le fruit de leurs récoltes.. Cela permet aux femmes de scolariser leurs enfants et même de reconstituer des familles déchirées par les mines.

Les femmes sont très souvent victimes de violences sexuelles dans les mines.

Sr E. : Nous fournissons un appui aux « survivantes » de violences sexuelles. Dans les mines, je l’ai dit, nombre de femmes ont été violées et ont besoin d’être écoutées, prises en considération, accompagnées psychologiquement et socialement. Nous avons des bureaux d’écoute dans chaque paroisse du diocèse où des assistantes sociales les orientent selon les cas. Certains doivent subir des interventions chirurgicales, d’autres ont besoin d’aide économique.

# jt208