

L’agroécologie comme première assurance sur l’avenir
Développement de l’agroécologie (mise en place de fermes modèles, formation et support économique et matériel, …) et d’entreprises sociales et solidaires, aide juridique pour l’accès à la terre : les champs d’activité de CONZARRD ne manquent pas dans la région d’Iligan. Visite guidée.
« Les semences sont à la source de la vie, elles sont l’aspiration profonde de la vie à s’exprimer, à se renouveler, à se multiplier, à évoluer en perpétuelle liberté. » Affichée au mur du petit bureau de Conzarrd, à Tigbao, près de Pagadian, dans la péninsule de Zamboanga, la « Déclaration de liberté des semences » (« Declaration of seed freedom ») ne fait pas mystère de ses intentions : développer des banques de semence, alternative unique à la mainmise des multinationales, Monsanto en tête, sur le marché des semences. On connaît le problème : soucieuses de contrôler le marché mondial, ces sociétés sont parvenues à imposer leurs propres brevets et leurs semences industrielles qui meurent plus vite que les semences naturelles (histoire évidemment de pousser à la consommation) et à faire interdire le recours à celles conservées de manière traditionnelle et artisanale par les paysans.
Heureusement, certains font de la résistance. C’est l’enjeu de cette déclaration de liberté des semences et on le comprend mieux en visitant la banque de semences de Conzarrd. Comme son nom l’indique (Convergence of NGO’s PO’s in Zamboanga on Agrarian Reform and Development), cette coalition regroupe pas mal d’acteurs locaux soucieux simultanément d’encourager la transition vers une agriculture familiale écologique et tout à la fois d’aider les petits paysans pour qui la réforme agraire tarde à se matérialiser.
En l’espèce, les autorités autorisent, malgré le lobby des industries chimiques, les coopératives à conserver les semences apportées par leurs membres et à les vendre aux petits producteurs locaux qui peuvent donc panacher leurs plantations. Avec ses champs de patates douces et de fruits locaux, sa production de stevia, de menthe, de chocolat décliné en chocolat chaud et curcuma transformé en capsules à des fins de complément alimentaire, avec son élevage de vers de terre (vermicompost) aussi efficaces et moins chers que les pesticides industriels, la ferme de Conzarrd (5 ha) fait figure de ferme-modèle mais c’est sa banque de semences de riz, composée de dizaines de bocaux différents, qui est la plus impressionnante vu l’enjeu majeur que représente ce féculent ici. « Il y a aux Philippines quelque 3.000 sortes de riz différentes, explique Minmin Pampilo, responsable de l’association. Grâce à cette banque, un paysan peut panacher sa récolte, planter 10 sortes de riz différentes en parallèle, cela fatigue moins la terre et nos semences naturelles permettent de réaliser de meilleures récoltes. Sur 1 ha, nous récoltons de la sorte 40 kg de riz trois fois par an, alors que les semences de riz industriel meurent, une fois plantées. »
La famille modèle de Rodora
Rodora Acdal est vice-présidente d’une organisation aidée par Conzaard. Au départ, dans leur ferme sur les hauteurs, son mari et elle ne travaillaient pas de manière organique mais ils ont été convaincus.
« Notre sol était pour ainsi dire mort. Le passage à l’agroécologie, soutenu par Conzarrd, nous a permis de le rendre fertile et d’impliquer nos enfants dans le processus de transition vers ce type d’agriculture. Avant, nous avions du mal à écouler nos légumes. Désormais, quand les clients savent que l’on est dans l’agroécologie, ils sont tellement demandeurs que nous ne pouvons plus suivre la demande. Bien sûr, c’est un peu plus cher, mais c’est meilleur et plus sain. Un commerçant m’a expliqué que nos haricots pouvaient tenir 3 jours alors que les haricots provenant de grandes exploitations utilisant des pesticides étaient pourris dès l’après-midi de leur mise à l’étalage, à tel point que ce commerçant a demandé à vendre la totalité de notre production. »
Le plus important, sans doute, est ailleurs : dans la confiance en l’avenir de Rodora depuis qu’elle sait qu’elle transmettra terre et pratiques agroécologiques à ses enfants. « Dès qu’ils ont eu 6 ans, nous avons donné à chacun de nos enfants une petite parcelle afin qu’ils apprennent à gérer leur propre potager. Aujourd’hui, j’ai le cœur léger : je sais que s’il devait m’arriver quelque chose demain, mes enfants pourraient désormais se débrouiller avec la ferme puisqu’ils savent comment faire. Par le biais de l’école, nous soutenons aussi l’idée d’un potager communal et d’une ferme communautaire. Mais aussi une compétition entre écoles pour l’installation d’un jardin communautaire. C’est l’occasion d’aller dans les écoles expliquer ce qu’est l’agriculture écologique et d’impliquer les parents. »
Le ministère de l’Agriculture a attribué à la famille de Rodora un diplôme de « model organic family » (famille agroécologique modèle).
Mais le rôle de l’association ne se limite évidemment pas à cela. Conzarrd accompagne les paysans dans leur passage aux techniques agroécologiques. Direction Begong : de la route, il faut marcher une demi-heure dans la montagne, croiser des rivières infranchissables en cas de crues pour arriver à la ferme d’Esterlita Lariba, Nenita Navasa et Sabina Villaflor. Jusque 2008, il n’y avait rien ici, juste un manguier, la zone était abandonnée, le sol n’était pas fertile. Aujourd’hui, cette ferme produit du maïs, du riz, des cacahuètes, des fruits, des légumes. Pourquoi là-haut ? Tout simplement, parce qu’en bas, il n’y a plus de terres disponibles et que celles-ci ne coûtaient quasiment rien (750 euros quand même…), car les terres étaient asséchées en raison de la déforestation et descendaient dans la vallée à cause de l’érosion. La plantation de manguiers a permis de stabiliser les terres et si actuellement, un cheval monte l’eau tout là-haut, les paysans du coin ont l’espoir que la reforestation permette d’attirer les pluies. Car les changements climatiques sont peut-être la première préoccupation des paysans philippins : de longues périodes de sécheresse suivies de fortes pluies, provoquant autant de dégâts en brûlant les cultures qu’en les inondant.
Cela n’empêche évidemment pas, que du contraire même, les paysans de ce coin de la péninsule de Zamboanga de prendre leur destin en mains. Et ce sont souvent les femmes qui sont à la barre. Redescendons dans la vallée. A quelques kilomètres l’une de l’autre, Gregoria Fahado et Judith Monterola sont responsables d’associations de paysannes qui ont mis sur pied des élevages de poulets bio. « Au départ, raconte Gregoria, chaque femme de la communauté a amené un poulet. Aujourd’hui, nous sommes 50 membres et nous avons 70 têtes de poulets élevés au sol, qui gambadent entre les cocotiers et les palmiers. Chaque mois les bénéfices sont redistribués entre nous et on tire au sort celle qui en bénéficiera ! »
Chez Judith, il y a aussi des cochons. Et ceux-ci bénéficient d’une technique biologique inconnue chez nous, la technologie coréenne : les cochons sont élevés sur des coquilles de riz qui présentent l’avantage de ne pas laisser d’odeur et donc de pas attirer de mouches. Leur litière reste propre longtemps, et ensuite les coquilles de riz sont utilisées en fertilisant ou en compost. Toutes les matières sont disponibles sur place et toutes y seront recyclées !
Le plus étonnant, sans doute, est le fait que chaque paysan ou chaque paysanne converti, quelle que soit la taille de sa terre, aux bienfaits de l’agroécologie, l’est pour des raisons différentes. Ainsi, Rose Consolacion a repris l’exploitation de 18 ha gérée par son mari après son décès : « Mon mari a été empoisonné et hospitalisé à deux reprises à cause des produits dont il arrosait les champs de riz et de café. C’est pourquoi nous n’utilisons pas de pesticides et que je fais mes propres fertilisants. La plupart de nos clients ont connu la même conscientisation : c’est parce qu’ils ont été malades, certains ont même eu le cancer, et c’est le médecin qui les a convaincus de passer à une consommation agroécologique (organique) pour leur bien et leur santé. » D’autres voient l’aspect économique : même s’il demande plus de travail que le riz « chimique », le riz organique est plus lourd, plus nourrissant, de meilleure qualité et donc plus cher à la vente. Felipe a encore une autre motivation à être passé aux techniques agroécologique : « Je suis un gros amateur de légumes mais je n’aimais plus en manger car ils avaient un goût industriel, les aubergines étaient toutes brillantes. C’est pourquoi j’ai fait la conversion et je ne le regrette pas. Mes légumes sont moins brillants mais ils ont plus de goût ! »
Teresa, la mère-courage
L’histoire de Teresa Gallano est poignante et en même temps révélatrice de bien des problèmes locaux. Depuis 2008, elle est bénéficiaire de Conzzard, grâce à qui elle a acheté un porc quand elle ne pouvait plus payer la terre qu’elle exploite. « La truie m’a permis, en produisant des porcelets, de recommencer à payer la terre, d’y planter du maïs et des légumes pour ma propre consommation. J’utilise l’agroécologie tant pour les cultures que pour la nourriture des cochons ; c’est Conzzard qui m’a formée à savoir m’occuper des cochons durant toute leur vie, je leur donne de la nourriture saine, des patates douces, du maïs, des bananes, tout ce que je cultive. Mais je n’ai aucune chance de jamais pouvoir acquérir une terre (un ha coûte 300000 PHP soit 4800 euros). »
Teresa est émue, elle est au bord des larmes, mais c’est une femme forte qui n’aime pas se lamenter. Aujourd’hui, elle est seule avec ses jeunes deux fils, Rowell, 19 ans, et Junior Roger, 9 ans. « Mon mari m’a quittée un jour, il est parti avec une autre femme et avec nos économies : il ne m’a laissé que les enfants. Ma fille de 23 ans travaille comme domestique à Manille ; durant trois ans, elle m’a envoyé de l’argent pour pouvoir payer les frais scolaires de ses deux frères. Je ne peux pas assurer tout le travail agricole toute seule, j’ai donc besoin des bras de mes enfants pour travailler la terre. Rowell a choisi de s’orienter vers un collège agricole ; pour cela il faut aller 4 ans à Marawi. Sa grande sœur va donc devoir rentrer afin de m’aider pour qu’il puisse aller à l’école et, à terme, reprendre la gestion de la ferme. Il n’y a pas de frais d’inscription à l’université mais ce qui coûte c’est évidemment le logement et la nourriture sur place ; notre accord c’est qu’il reviendra travailler à la ferme et organiser les choses, je n’ai pas peur de la difficulté mais avec l’aide de Conzzard nous trouvons des bourses de politiciens par exemple pour financer les études (il est vrai contre une sorte de promesse de vote) ; en tant que mère, je suis surtout préoccupée de l’avenir de mes enfants. »