couverture analyse 2023 01

La Banque mondiale et le FMI ont-ils changé ?

Austérité, déréglementation
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par Renaud Vivien

La crise du COVID-19 a démontré la nécessité de renforcer les services publics et la protection sociale. Pour autant, a-t-elle servi de leçon à la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI) ? Est-ce que ces deux institutions ont cessé de conditionner leurs prêts à la mise en œuvre de politiques d’austérité budgétaire et de déréglementation ? C’est ce que semblent indiquer certaines déclarations récentes de la directrice du FMI1Georgieva, Kristalina. 2020. The Long Ascent: Overcoming the Crisis and Building a More Resilient Economy. https://www.imf.org/en/News/Articles/2020/10/06/sp100620-the-long-ascent-overcoming-the-crisis-and-building-a-more-resilient-economy.. Reflètent-elles pour autant la réalité ?

L’ajustement structurel, connu également sous l’acronyme “PAS” (Plan d’ajustement structurel), désigne les mesures d’austérité budgétaire et de libéralisation de l’économie qui conditionnent les prêts du FMI et de la Banque mondiale2Les mesures contenues dans les PAS sont les suivantes: suppression des subventions aux biens et services de première nécessité, réduction des budgets sociaux et de la masse salariale de la fonction publique, dévaluation de la monnaie, spécialisation dans quelques produits d’exportation (au détriment des cultures vivrières), libéralisation de l’économie via l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux et la suppression du contrôle des changes, ouverture des marchés par la suppression des barrières douanières, privatisation des entreprises publiques, TVA généralisée. . Ces politiques ont été imposées de manière uniforme par ces institutions financières internationales aux pays surendettés, au lendemain de la crise de la dette du Sud de 19823Lire L’annulation de la dette du tiers-monde. CRISP, 2010. https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2010-1-page-5.htm ..

Ne dites plus « Ajustement structurel » 

Suite aux mobilisations populaires qu’entraîne régulièrement la mise en œuvre des PAS, ces deux institutions ont plusieurs fois annoncé tourner la page de l’ajustement structurel. En 2014, l’ancienne directrice du FMI, Christine Lagarde, déclarait par exemple, en réponse à un journaliste ghanéen qui l’interrogeait sur la mauvaise image du FMI en Afrique: “Ajustement structurel ? C’était avant mon mandat et je n’ai aucune idée de ce que c’est (…) Nous ne faisons plus ça4https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/04/13/le-fmi-a-change-assure-christine-lagarde_4400402_3234.html”. Notonsquecette déclaration a été prononcée au moment même où le FMI infligeait, de concert avec l’Union européenne et de la Banque centrale européenne (BCE), une véritable thérapie du choc à la population grecque. Une purge sociale faite des mêmes ingrédients que ceux contenus les PAS imposés aux pays appauvris du Sud5Rapport préliminaire de la Commission pour la vérité sur la dette publique grecque, Athènes, juillet 2015. https://www.hellenicparliament.gr/UserFiles/f3c70a23-7696-49db-9148 f24dce6a27c8/Report_web.pdf.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce que « les conditions attachées au soutien des institutions financières internationales sont adaptées aux besoins spécifiques du pays en question6Question parlementaire numéro 1266 du 6 décembre 2022.  » pour reprendre les mots du Ministre belge des finances en réponse à la question parlementaire qu’Entraide et Fraternité a fait poser par la député Séverine de Laveleye ?

Le discours à l’épreuve des faits

La recette imposée par le FMI et la Banque mondiale reprend les ingrédients essentiels des PAS. C’est ce que démontre l’ouvrage « Économies du Sud : toujours sous conditions néolibérales7https://www.cetri.be/Economies-du-Sud-toujours-sous ? »coordonné par le CETRI et Entraide et Fraternité. Cette publication, sortie en 2022, rassemble plusieurs contributions d’auteurs et d’autrices venant pour la plupart des pays appauvris du Sud, travaillant au sein du monde académique ou des mouvement sociaux. Toutes et tous développent la façon concrète dont le FMI et la Banque mondiale poussent, dans chacun de leur pays (Philippines, Indonésie, Inde, Argentine, Soudan, Afrique du Sud), leurs dirigeant∙es (souvent bien disposé∙es) à appliquer les mesures d’austérité, de déréglementation et de privatisation et décrivent les effets de ces politiques sur le terrain.

Ce constat est partagé par d’autres études récentes comme celle co-signée par les économistes Isabelle Ortiz (ex-directrice à l’OIT et à l’Unicef) et Matthew Cummins (conseiller régional en politique sociale pour l’Unicef à Nairobi au Kenya)8Isabelle Ortiz est actuellement directrice du Global Social Justice Program de l’IPD. Elle fut directrice à l’OIT et à l’Unicef mais aussi conseillère du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU et à la Banque asiatique de développement. Matthew Cummins, actuellement conseiller régional en politique sociale pour l’Unicef à Nairobi au Kenya, a travaillé également comme analyste au Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). . Dans leur rapport intitulé « Global Austerity Alert: Looming budget cuts in 2021-25 and alternative pathways 9

Une version résumée de ce rapport a été reprise dans l’ouvrage coordonné par le CETRI et Entraide et Fraternité (p. 97-112).
», ils passent au crible 779 rapports nationaux du FMI publiés entre 2010 et 2019. Il en ressort que, sous les recommandations du FMI, les responsables des ministères des finances ont réduit en premier lieu les dépenses sociales. Plus précisément, les principales mesures qui ont été prises sont :

Les réductions de la masse salariale se traduisant par une diminution ou un gel des salaires et/ou la réduction du nombre d’agents du service public qui fournissent des services essentiels à la population, dans les domaines de l’éducation et de la santé ;

– La réduction des subventions aux carburants, aux denrées alimentaires et à l’agriculture ;

Les réformes des retraites et de la sécurité sociale se traduisant par l’augmentation des taux de cotisation, la prolongation de la durée de cotisation, le report de l’âge de départ à la retraite et/ou la diminution des montants des prestations ;

Les réformes du marché du travail, qui ont notamment pris la forme d’une limitation de l’indexation des salaires sur le coût de la vie ou de la flexibilisation de l’emploi (facilitation juridique du licenciement) ;

Les réformes des systèmes de santé qui se sont traduites par le blocage ou la baisse du financement public des systèmes de santé ainsi que par l’augmentation des honoraires médicaux et de la part des coûts à charge du patient ;

L’augmentation des taxes sur les biens et services essentiels

Les privatisations.

La Banque mondiale fixe également des conditions à ses prêts via les “DPF” (Development policy financing), un document aux termes duquel les pays doivent mettre en œuvre des mesures préalables afin d’obtenir un financement de la Banque mondiale. Pour pouvoir obtenir un prêt de 400 millions de dollars en 2020, les Philippines ont dû, par exemple, mettre en application une loi sur la tarification du riz. Cette loi a supprimé les quotas d’importation de riz, entraînant ainsi l’importation de volumes illimités de riz alors même que les Philippines en sont un pays producteur. Les perdants sont les paysans locaux qui ne sont pas en mesure de concurrencer les importations de riz largement subventionnées.

La déréglementation du secteur agricole a également été demandée par le FMI et la Banque mondiale en Inde où, cette fois, leurs politiques ont été mises en échec. En effet, les puissantes mobilisations populaires de 2020-2021 ont poussé le gouvernement indien à abroger la législation qui prévoyait la déréglementation du système de commercialisation des produits agricoles. Cette nouvelle législation prévoyait notamment la suppression de l’obligation de constituer des stocks de produits agricoles (sauf en cas de circonstances exceptionnelles) ainsi que la suppression du prix de soutien minimum, soit le prix auquel le gouvernement peut acheter des récoltes en vue de soutenir le secteur agricole et de garantir la sécurité alimentaire du pays10CETRI, “Economie du Sud, toujours sous conditions néolibérales ?”, p. 47-55..

La crise du COVID-19 n’a rien changé

Alors que cette crise aurait logiquement dû pousser le FMI et à la Banque mondiale à abandonner leurs politiques d’ajustement structurel tant ils ont eu un effet dévastateur, notamment dans le secteur des soins de santé11Par exemple, un article paru dans la revue scientifique The Lancet sur le virus Ebola concluait en 2014 que « les exigences du FMI en matière de rigueur budgétaire ont affaibli les systèmes de santé des pays africains les plus durement frappés par le virus Ebola. Elles ont aussi empêché une réponse coordonnée pour lutter contre l’épidémie ». Kentikelenis et al. (2014). The International Monetary Fund and the Ebola outbreak. The Lancet Global Health Vol. 3(2), p.69-70., les dirigeant∙es du FMI et la Banque mondiale persistent dans leur idéologie néolibérale. Ils persistent alors même que plusieurs rapports publiés par des chercheurs et chercheuses de leur propre organisation indiquent que les dépenses publiques en matière d’infrastructures, de santé, d’éducation et de protection sociale renforcent à la fois l’égalité et la croissance économique12https://link.springer.com/article/10.1057/s41301-022-00354-z.

Il existe en effet un décalage entre, d’une part, le discours officiel et certains rapports de ces organisations et, d’autre part, les décisions politiques prises par leurs dirigeant∙es. Une étude d’OXFAM a par exemple conclu que 85% des prêts octroyés par le FMI depuis septembre 2020 encouragent, voire obligent dans certains cas, les pays à adopter des mesures d’austérité au lendemain de la crise sanitaire13Adding Fuel to Fire : How IMF demands for austerity will drive up inequality worldwide – Oxfam Policy & Practice.  Le réseau EURODAD pose le même constat. Aux termes d’une analyse réalisée en octobre 2020 portant sur 80 pays ayant conclu un programme avec le FMI, EURODAD relève que 72 d’entre eux s’engageaient à prendre des mesures d’austérité (appelées dans le jargon du FMI “fiscal restraints” ou “fiscal consolidations14https://www.imf.org/en/Blogs/Articles/2022/11/21/how-fiscal-restraint-can-help-fight-inflation ”)15https://www.eurodad.org/arrested_development.

Il en va de même pour la Zambie, qui a conclu en 2022 un accord avec le FMI en vue d’une restructuration de sa dette. Les conditions que doit respecter le pays pour espérer obtenir une réduction de sa dette16https://www.imf.org/en/Publications/CR/Issues/2022/09/06/Zambia-Request-for-an-Arrangement-Under-the-Extended-Credit-Facility-Press-Release-Staff-523196 reposent sur la limitation drastique des dépenses publiques, la suppression des subventions aux carburants et à l’électricité, des coupes dans le programme de soutien aux intrants agricoles et la généralisation de la TVA17https://www.cadtm.org/IMF-Deal-Cry-My-Beloved-Zambia.

À côté des politiques d’austérité, on retrouve également l’obsession de libéraliser toujours davantage les économies des pays en difficulté. Le président de la Banque mondiale le dit explicitement. Lors de la conférence du G20 du 23 mars 2020, il déclarait que les pays qui recevront une aide de la Banque mondiale pour faire face à l’épidémie devront « mettre en œuvre des réformes. (…) les pays pour lesquels les réglementations excessives, les subventions, les régimes de délivrance de permis, la protection du commerce ou la judiciarisation constituent des obstacles, nous travaillerons avec eux pour stimuler les marchés, favoriser de meilleurs choix18https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/33489/Malpass-G20-Finance-Ministers-Conference-Call-COVID-19-FR.pdf?sequence=6&isAllowed=y ».

Car l’amélioration du “climat des affaires” au service du secteur privé et en particulier des multinationales reste encore aujourd’hui l’une des grandes priorités de la Banque mondiale, malgré la fin du rapport très controversé “Doing Business19https://link.springer.com/article/10.1057/s41301-022-00354-z” et ce, y compris dans des pays en proie à la famine comme Madagascar. Dans un communiqué publié en janvier 2022, la directrice des opérations de la Banque mondiale à Madagascar voyait même la crise du COVID-19 “comme une opportunité pour la Grande Île de repenser son modèle de développement en plaçant plus fermement les solutions portées par le secteur privé au cœur de sa stratégie de croissance », avant d’ajouter que « Madagascar devra prendre des décisions audacieuses et développer une stratégie à long terme pour renforcer son secteur privé, éliminer les contraintes qui entravent la compétitivité de nombreux secteurs, et permettre à une plus grande catégorie d’opérateurs nationaux et internationaux d’investir dans le pays. Le premier défi – et sans doute le plus important – est de mettre en place un climat davantage favorable aux affaires20https://blogs.worldbank.org/fr/africacan/mobiliser-le-secteur-prive-pour-soutenir-le-developpement-de-madagascar”.

Des “filets sociaux” comme compensation

La Banque mondiale et le FMI sont en faveur de l’instauration d’un socle minimum de dépenses sociales et plus particulièrement et de la mise en place par les gouvernements de “filets sociaux” pour les plus démuni.es, sous la forme de transferts monétaires ciblés. Ces transferts sont toutefois conditionnés à la suppression des subsides publics dans les secteurs énergétique et alimentaire.

Cette conditionnalité est bien expliquée par le Ministre fédéral des finances : « Les subventions énergétiques générales et universelles sont souvent une source de dépenses importantes, qui sont également peu efficaces dans le sens où elles ne soutiennent pas nécessairement les plus démunis. Dans de tels cas, le FMI demande souvent que les subventions générales soient remplacées par des interventions plus ciblées qui mettent moins de pression sur les dépenses et sont mieux à même de soutenir les plus vulnérables. On peut toutefois se demander si tous les pays confrontés à une telle demande, compte tenu de leurs capacités administratives souvent faibles, sont capables de mettre en œuvre efficacement ces mesures21Question parlementaire numéro 1266 du 6 décembre 2022. ».

Si on peut accueillir a priori favorablement le fait que ces deux institutions mènent des actions sociales spécifiquement pour les plus démuni∙es, ces transferts ciblés se heurtent cependant à plusieurs limites importantes, en même temps qu’ils légitiment l’ajustement structurel22Notons que cette politique de transfert ciblé pour compenser les effets destructeurs de l’ajustement structurel n’est pas neuve puisqu’elle date des années 1990 suite aux mobilisations populaires contre les PAS. https://www.cetri.be/Etendre-la-protection-sociale-au

La première limite, qui est d’ordre technique et financier, est évoquée par le Ministre des finances. Elle concerne la capacité administrative des pays qui font appel au FMI de mettre en place ces filets sociaux.  Selon le Bureau international du travail (BIT)23Kidd, Stephen; Gelders, Bjorn; Bailey-Athias, Diloá, « Exclusion by design: An assessment of the effectiveness of the proxy means test poverty targeting mechanism / Kidd, Stephen; Gelders, Bjorn; Bailey-Athias, Diloá; International Labour Office, Social Protection Department, ILO, 2017. Etude citée dans cette étude “Le rôle du FMI dans le recul de la protection sociale” disponible sur : https://library.fes.de/pdf-files/bueros/tunesien/19788.pdf, une augmentation significative des dépenses administratives est, en effet, nécessaire pour améliorer le ciblage en collectant davantage d’informations sur les revenus ou des indicateurs de bien-être de la population ciblée. Or, si les pays font appel au FMI, c’est précisément parce qu’ils sont en détresse financière.

La deuxième limite tient au fait que ces transferts sont insuffisants pour compenser les effets néfastes de la suppression des subsides dans le secteur de l’énergie et de l’alimentation. C’est ce que démontre une étude de cas portant sur trois pays : la Tunisie, le Maroc et la Jordanie. Cette étude souligne que “les trois pays en question ont connu une décennie d’érosion de la protection sociale malgré les nouveaux programmes de transfert en espèces que la Banque mondiale a aidé à mettre en œuvre. Dans les États ayant supprimé l’essentiel des subventions à l’énergie et aux aliments, une grande partie de la population s’est retrouvée avec un faible revenu disponible. Cette situation, combinée à d’autres politiques prônées par le FMI, a entraîné une hausse de l’inflation, érodant les revenus réels, en particulier pour les populations se trouvant au bas de l’échelle de revenus. De plus, les programmes ciblant les plus pauvres n’ont pas réussi à atteindre pleinement leur cible. Par conséquent, lesdits programmes, évalués en fonction des dépenses publiques de santé et d’éducation, n’ont pas aidé à endiguer la pauvreté. Ils n’ont pas réussi non plus à protéger le nombre croissant de personnes vulnérables des retombées de leurs conditions de vie sur l’éducation et la santé de leurs enfants24“Le rôle du FMI dans le recul de la protection sociale” disponible sur : https://library.fes.de/pdf-files/bueros/tunesien/19788.pdf”.

Ces trois pays ne sont pas des cas isolés. La réduction des subventions sur les carburants, les denrées alimentaires et l’agriculture constitue même la deuxième mesure la plus appliquée par les gouvernements sous les recommandations du FMI25CETRI, “Economie du Sud, toujours sous conditions néolibérales ?”, page 102.. Or, lorsque ces subventions sont réduites voire éliminées, l’augmentation des coûts de l’alimentation et des transports les rend inabordables pour de nombreux ménages, entraînant ainsi de puissantes mobilisations populaires contre ces mesures. Des mobilisations largement ignorées comme au Soudan, où le FMI a continué d’exiger l’application de cette mesure26CETRI, “Economie du Sud, toujours sous conditions néolibérales ?”, pp 83-94. . Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’annonce par le gouvernement haïtien, en septembre 2022, de la fin de la subvention du carburant a mis le feu aux poudres de la colère populaire27https://entraide.be/publication/analyse-202211/.

Si des actions spécifiques envers les populations les plus précarisées sont nécessaires, elles doivent intervenir en complément et pas en remplacement de politiques publiques. La mise en place de ces filets sociaux ne devrait donc pas être conditionnée à l’application de mesures d’austérité tant elles augmentent la pauvreté et des inégalités, notamment entre les hommes et les femmes.

Les femmes, plus touchées par l’austérité

Ces dernières sont les plus pénalisées par le sous-financement des services publics comme l’éducation et la santé (du fait des mesures d’austérité budgétaire) pour au moins deux raisons. Premièrement, elles sont plus représentées que les hommes dans ces secteurs essentiels. Par conséquent, les réductions de salaires et les licenciements dans le secteur public, qui constituent encore des conditionnalités dans les prêts du FMI, les affectent plus lourdement28https://actionaid.org/publications/2021/public-versus-austerity-why-public-sector-wage-bill-constraints-must-end.

Deuxièmement, les femmes assument de manière disproportionnée la charge des soins non rémunérés et du travail domestique, qui augmente avec le sous-financement des services publics. Pour l’économiste indienne Jayati Gosh, cette possibilité pour les dirigeant∙es de se reposer sur un travail féminin non rémunéré au sein des ménages “autorise les gouvernements à pratiquer l’austérité, en misant sur le fait que les services de soins publics désinvestis continueront d’une manière ou d’une autre à être assurés de manière non rémunérée au sein des familles et des communautés. Cette dépendance régressive au travail non rémunéré n’est jamais explicitée dans les programmes d’ajustement ou d’austérité, ni dans les conditionnalités associées aux programmes d’allégement de la dette29CETRI, “Economie du Sud, toujours sous conditions néolibérales ?”, page 124.”.

Ajoutons que les femmes, en tant que contribuables, ne sont pas affectées de la même manière par les politiques fiscales puisqu’une hausse des impôts indirects sur la consommation comme la TVA (mesure très largement préconisée par le FMI) se répercutera davantage sur les femmes, celles-ci étant en charge de l’achat des produits de première nécessité30https://www.cetri.be/Le-commerce-international-au-defi.

Si des actions spécifiques de soutien aux femmes sont nécessaires, « elles sont cependant insuffisantes pour modifier en profondeur les structures d’inégalité dans la société », pour reprendre les mots prononcés par la Ministre belge de la coopération au développement le 1er février 2023 à la Chambre des représentants31https://www.lachambre.be/media/index.html?language=fr&sid=55U3618&offset=8953. En effet, l’attention au genre ne doit pas se limiter à des mesures ciblées mais déterminer la nature même des politiques publiques. À cette fin, l’austérité et les mesures fiscales régressives (comme la généralisation de la TVA) doivent être abandonnées. Ce que les directions du FMI et de la Banque mondiale n’ont toujours pas compris. Pour J. Gosh: « malgré les déclarations de la direction du FMI, aucune leçon n’a été tirée des expériences d’ajustement antérieures et des connaissances engrangées quant aux impacts différenciés selon le genre32CETRI, “Economie du Sud, toujours sous conditions néolibérales ?”, page 128.”.  

Que peut faire la Belgique ?

La présente analyse a montré que les tristement célèbres plans d’ajustement structurels imposés au lendemain de la crise de la dette demeurent effectifs, même si l’appellation d’« ajustement structurel » a été abandonnée. Face à ce constat, la Belgique ne devrait pas s’en remettre aveuglement au FMI pour piloter les programmes d’allégements de dettes pour répondre à la crise de l’endettement.

Au minimum, l’État belge devrait immédiatement mettre en débat au Parlement fédéral les conditionnalités du FMI et de la Banque mondiale en présence des Ministres des finances, de la coopération au développement et des représentant∙es belges au FMI et à la Banque mondiale. Ce débat démocratique devrait également associer des représentant∙es de la société belge et des pays appauvris du Sud. La nécessité d’un tel débat est d’autant plus forte que la Belgique dispose d’un poids politique important au sein de ces deux institutions33La Belgique dispose, au nom d’un groupe de pays, d’un siège d’administrateur suppléant au FMI et à la Banque mondiale. De plus, elle se trouve dans les groupes de pays qui pèsent le plus, en termes de droits de vote au sein de ces deux organisations. et qu’elle présidera l’Union européenne (UE) au premier semestre 2024.

Enfin, pour des raisons de cohérence, il est fondamental de débattre de ces conditionnalités dans un contexte où l’Etat belge réfléchit à la décolonisation de la coopération au développement et où il compte mettre au cœur de sa présidence de l’UE l’accès aux soins de santé. Un secteur qui subit de plein de fouet les coupes budgétaires et qui est mis sous pression par le paiement de dette insoutenables et illégitimes.