Plusieurs ONG demandent à la Belgique de redoubler d’efforts pour permettre aux pays du Sud de mobiliser davantage de ressources budgétaires face à la pandémie
Par Anaïs Carton (CADTM), Renaud Vivien (Entraide et Fraternité), Aurore Guieu (Oxfam Belgique), Femmy Thewissen (11.11.11), Leïla Oulhaj (CNCD-11.11.11)
Suite à la réunion des ministres des Finances du G20 le 26 février 2021, le président de la Banque mondiale D. Malpass a fait part de sa déception sur le faible impact du moratoire sur les dettes des pays les plus « pauvres ». Un an après le début de la pandémie, seulement 43 pays ont bénéficié de ce moratoire – c’est-à-dire d’une suspension provisoire du paiement de certaines dettes pour un montant très limité de 5,7 milliards de dollars, soit l’équivalent de 1,66 % des remboursements dus par tous les pays en développement en 2020 ! Si D. Malpass regrette que le secteur privé ainsi que la banque de développement de Chine n’y aient pas participé, il n’évoque à aucun moment l’absence des créanciers multilatéraux dont font partie la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
La crise sanitaire sans précédent a eu pour conséquence un approfondissement de la crise des finances publiques des pays du Sud. Comme l’a souligné la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, ces pays ont donc eu encore plus de difficultés que les économies développées à mobiliser des ressources budgétaires nationales pour faire face à la pandémie de Covid-19. Face à l’insuffisance du moratoire pour faire face aux conséquences dramatiques de la crise, un effort international mais aussi national est indispensable. Il passe notamment par une annulation des dettes détenues par la Banque mondiale et le FMI et par un allégement des créances détenues directement par la Belgique sur les pays appauvris du Sud.
Un pas plus loin : des annulations réalistes sur le plan économique
Pour aller plus loin, la Belgique peut annuler immédiatement et sans conditions les paiements de ses créances, en se limitant aux paiements suspendus en 2020 et ceux prévus en 2021. Cette mesure a été une demande centrale de la société civile internationale depuis le début de la crise Covid afin de garantir les liquidités nécessaires aux pays dans le besoin. Une telle mesure unilatérale aurait un très faible impact budgétaire pour la Belgique. En effet, les remboursements prévus pour les pays concernés par le moratoire sur la dette dont la Belgique est créditeur s’élèvent à 12,43 millions de dollars US pour 2020 (de mai à décembre) et à 9,03 millions de dollars US pour 2021. Une telle décision ne représenterait donc pas un effort financier important, d’autant que la valeur nette de ces créances est beaucoup plus faible que leur valeur nominale.
À ce propos, BIO, la banque de développement publique belge, vient d’annuler 50 % (soit près de 5 millions d’euros) d’une dette contractée par Feronia, une entreprise canadienne productrice d’huile de palme en République démocratique du Congo (RDC), en demandant en contrepartie que cette entreprise réalise un nouveau plan d’action environnemental et social pour répondre à ses obligations envers les communautés locales. Cette annulation de dette au bénéfice d’une entreprise accusée sur place d’accaparements de terre et de violation du droit du travail a eu lieu sans même attendre la mise en œuvre de ce plan d’action ! Comment expliquer ce deux poids deux mesures dans la politique de développement de la Belgique ? D’un côté, la Belgique annule sans conditions les dettes d’une entreprise privée et, de l’autre côté, se refuse à le faire lorsqu’il s’agit de la dette d’un pays du Sud ?
À court terme, une annulation des créances belges enverrait un signal politique fort. Cette décision aurait le mérite de constituer un acte concret de solidarité avec les pays appauvris du Sud. Elle pourrait aussi créer un effet d’entrainement positif vis-à-vis des autres États créanciers en jouant un rôle « pionnier » en pleine crise du coronavirus.
Le précédent de la Norvège
« Pionnier » mais pas inédit dans l’Histoire, comme l’illustre le précédent de la Norvège. En 2006, la Norvège a reconnu sa responsabilité dans l’endettement illégitime de 5 pays appauvris du Sud et a procédé à l’annulation unilatérale et sans conditions de ses créances pour un montant d’environ 62 millions d’euros. Pour la première fois, un pays membre du Club de Paris (le groupe informel des riches Etats créanciers dont fait partie la Belgique) a admis être responsable de politiques de prêts inadéquates et a pris les mesures qui s’imposaient de manière unilatérale. Notons que le Club de Paris a rappelé à cette occasion que le principe de solidarité entre créanciers ne faisait pas obstacle à l’annulation unilatérale de la dette. Si la Norvège l’a fait, pourquoi pas la Belgique ? D’autant qu’il s’agit pour notre pays de très faibles montants en comparaison avec ceux de la fraude fiscale qui font perdre tous les ans à la Belgique entre 20 et 30 milliards d’euros ! Soulignons également que sur la question des fonds vautours, le Parlement belge avait joué un rôle d’avant-garde en adoptant en 2015 une loi inédite au niveau mondial pour empêcher la spéculation sur la dette des Etats.
La pertinence d’un audit des créances de la Belgique
Parallèlement à cette mesure d’urgence, nous préconisons de réaliser un audit de la dette sur le modèle norvégien, en associant la société civile du pays créancier et des pays débiteurs. Cet audit permettrait de révéler les irrégularités et l’illégitimité de certaines dettes contractées par des gouvernements non démocratiques ou dont le montant emprunté n’a pas profité à la population locale. À titre d’exemple, rappelons qu’en 1960, la Belgique et la Banque mondiale ont agi en violation du droit international en léguant à la RDC, au moment de son indépendance, une dette que la population congolaise n’avait pas consentie (vu que le pays était sous domination coloniale de la Belgique). Cette dette issue de la colonisation est à la fois illégale et illégitime. Pour faire toute la lumière sur le processus d’endettement, un audit intégral des créances de la Belgique devrait dès lors être mis en place. C’est ce que nous demandons aussi dans notre pétition commune pour l’annulation de la dette [[www.annulerladette.be]].
L’Histoire et le précédent de la Norvège doivent pouvoir éclairer les décisions qui vont être prises par la Chambre des représentants qui débattront en mars sur la proposition de résolution parlementaire relative à l’annulation de la dette des pays du Sud. Dans le contexte actuel de crise qui touche tous les pays et qui a accentué les inégalités, nous demandons à la Belgique de faire entendre sa voix et d’agir en faveur de la solidarité internationale.