Excavation à ciel ouvert
Mine d'uranium de Rössing, une mine à ciel ouvert située en Namibie
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Cartes blanches

Le Règlement européen sur les matières premières critiques : un cadeau de Noël aux entreprises minières ?

Par Lora Verheecke (Observatoire des multinationales), Renaud Vivien (Entraide et Fraternité), Mikaël Franssens (Commission Justice et Paix)

Le 12 décembre, le Parlement européen a donné son feu vert au Règlement sur les matières premières dites « critiques » dont le but est d’assurer à l’industrie européenne (y compris celle de l’armement) un approvisionnement sûr et durable en matières premières telles que le lithium, le cobalt et le nickel. Malgré les quelques améliorations apportées par le parlement au texte initial, ce règlement profitera in fine aux intérêts de grands groupes privés européens, au détriment des populations locales et de l’environnement.

L’Union européenne est souvent critiquée pour être une machine législative lente. Mais sa nouvelle réglementation européenne sur les métaux stratégiques, présentée comme un outil législatif indispensable pour réaliser la transition énergétique, a été adoptée « à la vitesse de l’éclair » quand d’autres projets européens essentiels pour la transition verte tels que la loi pour des systèmes alimentaires durables sont à l’arrêt. Cette adoption extrêmement rapide est fortement liée au travail intense mené par le lobby minier. Les entreprises minières ou utilisant des minerais et des métaux et leurs associations de lobbying ont dépensé plus de 21 millions d’euros par an, ont organisé de nombreux événements et ont tenu plus de 1000 réunions avec les hauts dirigeants de la Commission depuis décembre 2012 – à peu près deux réunions par semaine.

Le règlement se fixe quatre objectifs chiffrés pour 2030 : 10 % des matières premières critiques consommées dans l’UE devront y être extraites ; 40 % de ces matières devront y être raffinées et transformés ; 25 % consommés dans l’UE devront y être recyclés. Enfin, l’UE ne peut pas dépendre d’un seul pays pour son approvisionnement en une matière critique à plus de 65 %. Si on peut saluer le fait qu’elle fixe un objectif chiffré de recyclage, la réglementation ne contient, en revanche, aucun objectif de réduction de la consommation. Elle vise seulement la « modération de l’augmentation de la consommation » de ces matières premières critiques.

Pour atteindre ces objectifs, le règlement permettra notamment de limiter les motifs d’objection juridique aux projets d’extraction minière grâce au principe « d’intérêt stratégique supérieur ». Or, la mise en œuvre de ce principe permettra de contourner les normes européennes protégeant la biodiversité et la santé humaine. Des mines pourraient alors être ouvertes dans les lieux protégés ou dans les océans. Soulignons également que l’implication des communautés locales lors de l’ouverture d’un projet minier stratégique dans les pays du Sud n’est pas garantie. En effet, le règlement ne contient aucun engagement clair en faveur du consentement des peuples autochtones, alors que ce droit est essentiel pour garantir que les populations locales aient leur mot à dire dans les décisions qui affectent leurs terres et leurs moyens de subsistance.

Une réglementation qui repose encore sur l’auto-régulation du secteur privé

Lorsqu’un projet minier sera considéré comme stratégique hors de l’UE, la réglementation indique que l’entreprise minière pourra prouver qu’elle est reconnue ou qu’elle cherche à être reconnue par des mécanismes de certification. Là aussi, la certification pose question. Concrètement, elle a été créée par l’industrie minière elle-même et le respect de ses normes volontaires ne sera vérifié par aucun acteur gouvernemental. Cela signifie que la solution des entreprises, utilisée comme un instrument d’influence et de lobbying, est devenue la solution de l’UE, affaiblissant encore plus le rôle de l’État en tant que régulateur.

Le règlement impose une augmentation de partenariats de l’UE pour importer plus de minerais des pays producteurs vers l’UE. L’objectif de ces partenariats est d’augmenter les investissements privés et publics pour mieux connecter les lieux d’extraction des minerais dans le Sud aux lieux de raffinage, de transformation et de consommation dans l’UE. Pour cela, l’UE a créé le Global Gateway, une initiative qui permettra des investissements publics et privés, notamment orientés vers le transport de minerais vers l’Union européenne. Or, aucun gouvernement ni aucune organisation représentant un pays du Sud ne participe à sa gouvernance. L’allocation de ces fonds est aux seules mains des délégations extérieures de l’UE, des États membres et d’un nouveau groupe d’experts venant du secteur privé. Les besoins des pays bénéficiaires ne sont donc pas déterminés par les bénéficiaires mais par les donateurs.

L’urgence de la réduction de la consommation des minerais

Le boom minier à venir est impressionnant. L’UE, aujourd’hui, consomme entre 25 et 30 % des métaux produits dans le monde. Cette consommation devrait encore augmenter de 63 % d’ici à 2060. Ce qui signifie plus d’extraction minière, plus de pollution et moins de terres agricoles disponibles.

La Belgique devrait profiter de sa présidence de l’UE en 2024 pour pousser à l’adoption d’une nouvelle réglementation européenne avec des objectifs chiffrés et contraignants de réduction de consommation de métaux pour les secteurs non essentiels comme la défense, l’aéronautique, la mobilité individuelle. En parallèle, il est essentiel de revoir les politiques de mobilité pour que le développement des transports publics propres soit prioritaire pour diminuer la demande en matières premières. Afin de consommer moins de matières premières, il est aussi nécessaire d’imposer la fabrication d’objets non-obsolescents, avec une longue garantie de vie et de nombreuses facilités de réparation.

Les questions que soulève le Règlement européen sur les matières premières critiques sont bien plus profondes. Nous avons aujourd’hui besoin d’une action politique qui rompe plus largement avec le modèle basé sur la croissance économique – une croissance qui se nourrit de l’exploitation effrénée des matières premières, de la nature et des êtres humains.

# Extractivisme