deux drapeaux : Union européenne et Mercosur
Cartes blanches

Stop à l’Accord UE-Mercosur : se re-mobiliser pour une autre agriculture, saine et durable

Par Francesca Monteverdi, chargée de plaidoyer, Entraide et Fraternité; Jonas Jaccard, responsable plaidoyer SOS Faim; FUGEA, Comité Belgo Brésilien; Espirito Mundo ASBL

Poussée par l’urgence de renouveler ses partenariats commerciaux et d’accéder à de nouvelles ressources en temps de crise, la Commission européenne remet sur la table le traité de libre-échange UE-Mercosur. Très loin de protéger les droits humains, cet accord met la planète en danger et perpétue de vieilles logiques commerciales qui ne profitent qu’aux lobbies industriels.

Ce 19 avril à Buenos Aires, en Argentine, aura lieu le deuxième round de négociations du traité de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) – au total 780 millions de consommateurs. Ce traité faciliterait les échanges commerciaux déjà existants entre les deux blocs économiques. L’UE en bénéficiera pour son industrie automobile, chimique et pharmaceutique, tandis que le Mercosur pour l’exportation de ses produits agricoles. Après 20 ans de négociations, en 2019 l’accord était sur le point d’être signé. Cela a été empêché par plusieurs gouvernements et par la société civile, inquiets de

l’aggravation de la déforestation et des violations des droits humains que provoquerait la libéralisation accrue du commerce du soja, de la viande de bœuf et de l’éthanol.

La Commission européenne a présenté, au début 2023, une déclaration interprétative, un addendum au traité, censée répondre aux critiques – le contenu du traité restant par ailleurs inchangé. Les négociations reprennent discrètement en vue de trouver un accord lors du sommet UE-CELAC qui se tiendra à Bruxelles en juillet. Les sociétés civiles européenne et brésilienne, exclues des négociations, dénoncent un manque de transparence et restent critiques par rapport à cet addendum qui ne prévoit pas de sanctions et revêt donc une valeur juridique très faible. De plus, il ne fait aucune allusion aux aspects agricoles.

Le Brésil est le premier exportateur de denrées alimentaires vers l’UE, dont le soja qui est majoritairement utilisé pour nourrir le bétail européen, mais aussi pour produire des agrocarburants. La mise en œuvre de l’Accord UE-Mercosur entraînerait une hausse des importations et de la consommation des produits issus de la déforestation, augmentant ainsi de manière significative les émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’UE. Et le récent Règlement de l’UE « zéro déforestation » ne permettra pas de résoudre le problème : il ne concerne en effet pas le Cerrado, écosystème vital où se concentre l’expansion de champs de soja et incite de ce fait au transfert de la déforestation de l’Amazonie vers d’autres écosystèmes brésiliens. De plus, ce règlement exclut des produits causant de la déforestation ou l’accaparement de terres et de sources d’eau comme la volaille, le sucre, l’éthanol et les produits miniers.

Depuis 2019, le Brésil fait partie des dix pires pays au monde en termes de respect des droits du travail. La culture de canne à sucre pour la production de bioéthanol, dont le Brésil est un de premiers exportateurs mondiaux, a recours au travail esclave. Goiás, deuxième État brésilien pour l’utilisation du travail forcé, enregistre 365 personnes en conditions de travail esclave au seul premier semestre 2023, majoritairement dans des exploitations de production de canne à sucre.

Le Brésil fournit 73 % du bioéthanol consommé en Belgique en 2021 et on le trouve dans nos voitures : le Plan national sur le climat et l’énergie favorise en effet l’utilisation de bioéthanol pour réduire l’empreinte carbone du transport. Le gouvernement compte encore augmenter la part des agrocarburants dans les transports jusqu’à 13,9 % en 2030, malgré un accord gouvernemental qui prévoyant la réduction globale des agrocarburants produits à partir d’aliments.

Entre 2018 et 2019, l’UE a exporté vers le Mercosur près de 7 millions de kilos de pesticides dont l’utilisation est interdite sur le territoire de l’UE. Ce commerce nuit à la santé des travailleurs et travailleuses qui utilisent ces pesticides, des communautés traditionnelles et paysannes qui voient leurs sources d’eau et leur production agroécologique contaminées, mais aussi des consommateurs et consommatrices européennes qui mangent des produits contenant des résidus chimiques. Au Brésil, environ 30 % des pesticides interdits par l’UE sont autorisés et utilisés. Par ailleurs, l’utilisation d’antibiotiques en tant que stimulateurs de croissance est très répandue dans la production de viande bovine. Sans une harmonisation des standards de production entre les deux parties, le traité entraînera la mise en concurrence entre l’agro-industrie brésilienne et l’agriculture européenne, aux dépens de cette dernière.

Le nombre de fermes dans l’UE a fondu d’environ 37 % en 15 ans. La libéralisation du commerce contribue à la crise de l’agriculture européenne et du secteur bovin en particulier. L’importation accrue de viande bovine accentuera la concurrence internationale et la pression sur les prix pour les éleveurs européens. Une situation inacceptable d’autant plus que la production européenne (et belge) est aujourd’hui excédentaire. Les accords de libre-échange privilégient le commerce aux dépens de la souveraineté alimentaire des peuples. Poursuivre dans cette logique conduit, à terme, à la disparition des fermes familiales, en Europe comme en Amérique latine. Au Brésil, l’agriculture familiale nourrit 70 % de la population mais, vu la politique agricole du ‘tout à l’exportation’, 33 millions de personnes souffrent de la faim. L’Accord UE-Mercosur favorise un mode de production agricole toxique pour la nature, le climat et la santé. Il est encore temps de dire non !

Carte blanche parue dans Le Soir le 18/04/2023

# Stop à l’Accord UE-Mercosur # Traité sur la Charte de l’Énergie # UE-Mercosur