Extrait d'une banderôle de manifestation : Rana Plaza, Never again!
Cartes blanches

Tractebel, Syngenta : la Belgique complice de violations de droits humains ?

Parue dans La Libre le 14 avril 2023

Une carte blanche de Renaud Vivien et Jean-François Lauwens, chargés de plaidoyer et de communication à Entraide et Fraternité, et Saulo Reis, coordinateur de la Commission pastorale brésilienne de la terre pour l’État de Goiás.

Ce 24 avril, cela fera dix ans que s’est effondré le Rana Plaza au Bangladesh. Une date éminemment symbolique puisque ses 1100 travailleurs et surtout travailleuses mortes sous les décombres sont devenus les symboles des dérives de la mondialisation et de l’impunité des entreprises. Le Rana Plaza abritait des ateliers de confection permettant aux grandes marques de la mode de produire aux coûts les plus bas et dans des conditions dignes de l’esclavage des produits vendus à bas prix dans leurs filiales du monde entier. Si le drame a permis de commencer à conscientiser les consommateurs et consommatrices de chez nous, au point d’entamer les parts de marché de la « fast fashion », il s’est aussi heurté au cynisme des chaînes européennes ou étasuniennes qui ont refusé d’indemniser les victimes.

Catastrophes sanitaires, environnementales, humaines : on ne compte plus les violations de droits du travail et des droits humains résultant des accaparements de terre, des pollutions, d’explosions d’usines toxiques, de marées noires, de maladies mortelles dues à l’amiante, de catastrophes minières, d’exportations de pesticides toxiques, de crédits accordés à des colonies de peuplement illégales, etc., impliquant des entreprises multinationales…  Et ce ne sont que les effets visibles de leur absence de responsabilité.

Des dommages irréversibles causés par Tractebel au Brésil

On pourrait aussi citer les ruptures de deux barrages miniers dans le Minas Gerais en 2015 et 2019, qualifiés de « Fukushima brésiliens ». De barrage brésilien, il est encore question à Minaçu (État de Goiás) :  là, c’est une multinationale belge, Tractebel, entre-temps passée sous le pavillon français d’Engie, qui, voici plus de 20 ans, a exproprié, la plupart du temps sans indemnisations, 600 familles vivant dans des communautés rurales agricoles. Ces familles continuent de se battre devant les tribunaux. Interrogée récemment par la presse belge, Engie Brésil se contente de répondre qu’elle a toujours obtenu gain de cause devant la justice locale.

De l’autorégulation à la réglementation

Longtemps, une logique autorégulatrice et volontariste a prévalu mais les violations des droits humains et de l’environnement n’ont jamais été aussi nombreuses : le consommateur peut toujours sans sourciller acheter des smartphones composés de minerais issus de zones de conflits, des vêtements confectionnés dans des conditions d’esclavage, du cacao récolté par des enfants ou de la viande produite grâce à une déforestation massive.

Face à l’échec de ces initiatives volontaires, les pouvoirs publics doivent prendre des législations imposant aux entreprises un « devoir de vigilance » afin qu’elles prennent des mesures de prévention pour le respect des droits humains et de l’environnement et ce, tout au long de leurs chaînes de valeurs. Pour que la chose soit contraignante, il faut un mécanisme de plainte et de sanction.

Une première législation française sur le devoir de vigilance est née en France en 2017. C’est elle qui a permis que BNP Paribas soit récemment assignée à deux reprises pour violation de cette loi devant les tribunaux français. D’une part, première mondiale, la banque est assignée par six ONG en raison de son soutien actif et massif des groupes parmi les plus agressifs dans l’expansion pétrolière et gazièreD’autre part, en appui de l’organisation brésilienne CPT (Commission pastorale de la terre), l’ONG française « Notre affaire à tous » a assigné la banque pour sa complicité dans la déforestation. BNP Paribas soutient financièrement l’entreprise Marfrig, numéro deux brésilien de la viande bovine, responsable de plus de 120.000 hectares de déforestation illégale dans la forêt amazonienne et la savane du Cerrado. Pour rappel, l’État belge est encore à ce moment le premier actionnaire de BNP Paribas.

La Belgique doit agir

Plus que jamais, il est indispensable que le gouvernement fédéral et les députés prennent toutes les mesures nécessaires au niveau européen mais aussi national pour tenir les entreprises, y compris les banques, (co)responsables des dommages causés en bout de chaîne, lorsqu’elles avaient notamment les moyens de prévenir ces dommages. Cette obligation devrait concerner également les entreprises qui produisent des armes, des technologies de surveillance et celles qui, comme l’entreprise Syngenta basée à Seneffe, produisent des pesticides dont certains sont toxiques. Or, toutes ces entreprises ne sont pour l’heure pas couvertes par la législation européenne sur le devoir de vigilance ne cours d’élaboration. Rappelons à cet égard que certains pesticides produits en Belgique sont exportés vers des pays du Sud comme le Brésil alors que ces mêmes pesticides sont interdits d’utilisation au sein de l’UE en raison de leur niveau élevé de toxicité !

L’instauration d’un devoir de vigilance n’est pas une fin en soi mais un moyen pour mieux faire respecter les droits humains et l’environnement afin qu’à l’avenir, aucune entreprise ne puisse agir comme Tractebel l’a fait au Brésil.

Si des législations européenne et nationales sur le devoir de vigilance constituent un moyen pour mieux faire respecter les droits humains et l’environnement, elles ne sauraient pour autant servir d’argument pour valider des accords de commerce comme l’Accord entre l’Union européenne et les pays du MERCOSUR (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) dont les effets tant sur le plan social, sanitaire et environnemental seront délétères pour les populations des deux côtés de l’Atlantique.

Parue dans La Libre le 14 avril 2023

# Saulo Reis # UE-Mercosur