portrait d'une femme
Olga Stenina

J’ai vu la misère, mais pas dans leurs yeux

Entretien
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Olga Stenina, assistante paroissiale à Arlon. Elle a accompagné un voyage d’immersion au Pérou, en juin 2024, ensemble avec l’abbé Xavier Nys et le photographe Mathieu Huvelle.

Tu peux te présenter ?  

Je m’appelle Olga, j’ai 37 ans et je suis maman de 3 garçons. Je suis russe d’origine et je suis mariée avec un Belge. Je suis actuellement en formation pour être assistante du doyenné d’Arlon. J’accompagne le doyen dans sa mission, je l’aide dans l’administratif. Mes tâches sont très diverses. Je travaille avec les asbl, j’organise les funérailles, des expos à l’église. Je suis aussi céramiste, j’adore la vie culturelle.  

Comment tu as entendu parler d’Entraide et Fraternité et du voyage au Pérou ?   

Dans notre doyenné, nous avons 14 églises. Nous organisons les campagnes de Carême et d’Avent. A travers les campagnes, on a déjà accueilli les événements et partenaires d’Entraide et Fraternité du monde entier.  

J’étais touchée par les thématiques qui lient la pauvreté et l’écologie. Pour moi, il y a des liens évidents. J’ai aimé que dans les campagnes d’Avent et de Carême, ces 2 thématiques soient traitées. J’anime aussi un groupe Laudato Si à Arlon. On organise des Noëls solidaires en Belgique. Mais je n’avais jamais mis les pieds hors d’Europe. Ça ne m’intéressait pas d’y aller en tant que touriste, avec une vision distante de la précarité. Je voulais faire une mission avec une association.  

C’était une chance unique qu’Entraide et Fraternité lance un appel aux volontaires autour de l’agriculture urbaine. A Arlon, je m’investis activement dans un jardin partagé. Nous avons lancé une initiative pédagogique où nous invitons les écoles.  Je suis également impliquée dans la mobilisation des jeunes pour la citoyenneté, notamment à travers les cantines durables. 

Céline Laffineur, l’animatrice d’Entraide et Fraternité de la province du Luxembourg a lancé un appel à bénévoles. Il fallait être libre quelques jours. Mon mari pouvait s’occuper des enfants, j’en ai profité !  

Comment as-tu préparé le voyage ? Comment tu appréhendais le voyage ?  

Ouf… J’avais vraiment peur, je n’aime pas les voyages en avion ! 11h de trajet en avion, c’était inimaginable dans mon esprit.  

Nous avons eu plusieurs réunions préparatoires avec Orane et Benoît, tous deux animateurs d’Entraide et Fraternité. À chaque rencontre, nous discutions ensemble du programme. J’ai choisi de ne pas trop me renseigner à l’avance, pour éviter tout préjugé. Je voulais arriver sur place et ressentir par moi-même ce qui se dégageait. 

Comment s’est passé le voyage sur place ?  

Quand nous sommes arrivés, j’ai ressenti un choc culturel. Nous avons embarqué dans un minibus et traversé Lima. Nous observions la ville autour de nous : des rues très animées, des bruits constants, des klaxons. Les habitations étaient parfois abimées.  

Passée cette première impression, ce qui m’a frappé, c’était l’accueil chaleureux des gens. Dans les bidonvilles où nous sommes allés, les habitants semblaient joyeux. Accueillir des personnes extérieures à leur quartier devait être un événement marquant, car ce n’était pas un site touristique. Ils avaient envie de partager et de montrer comment ils avaient développé leur potager sur leur terrasse, comment leurs légumes avaient poussé. Ils venaient vers nous, nous invitaient chez eux. Nous, Européens, n’invitons pas facilement les gens chez nous ! À chaque fois, il y avait de la danse, des plats faits maison, et nous avons mangé sans compter (rires). 

Ce qui m’a également marquée, ce sont les enfants qui s’amusaient dans la rue. En Europe, on ne voit plus ce genre de scènes. Personnellement, je ne laisse pas mes enfants jouer dans les rues.  

 
Je repense aussi à la dignité dans les regards. Dans les situations précaires ils ont pu développer des potagers et des cantines durables, s’entraider. Ils s’entraident entre voisins, entre personnes qui partagent les mêmes vécus. C’est ce qui les a sauvés pendant le Covid notamment. Cette communauté, c’est presque un point de survie. Moi, je ne vais pas facilement demander à mon voisin, je vais le chercher moi-même.  

C’est très sportif ces collines ! Monter et descendre tous ces escaliers, c’était cardio !  

La différence entre quartiers riches et quartiers pauvres était marquante. Le terrain de golf au centre de Lima par exemple, il est entouré de grilles, arrosé 24heures sur 24, alors que les bidonvilles autour n’ont pas l’eau courante. Il y avait beaucoup d’embouteillages.  

Dans ces collines, la première génération s’est installée en bas de la colline. Puis les générations suivantes s’installaient plus haut. C’est donc un cercle vicieux, c’est difficile de sortir de ces quartiers. Ils n’ont pas de sous pour aller ailleurs, et leurs proches sont là.  

On a visité aussi l’association la Lombriz Feliz. Des gens venaient chaque semaine, de tous les âges, parfois très âgés, très jeunes, des mamans avec leurs enfants, pour se former au traitement naturel des plantes. L’idée est d’éviter les nuisibles sans avoir recours aux produits chimiques. Il y avait une belle participation. Ils avaient une formation théorique mais aussi pratique grâce au potager sur place. Je salue l’engagement des jeunes qui donnent ces formations, ce sont des jeunes agronomes qui viennent de terminer leurs études. Ils ne vivent pas dans les bidonvilles mais viennent donner les formations. Ils avaient une vingtaine d’années, j’étais admirative.  

On a aussi rencontré à Ayacucho des jeunes qui se déplacent dans des cantines populaires une fois par mois, pour animer des formations sur les violences contre les femmes faites aux femmes. Ces sessions permettent aux participantes de comprendre que ces violences ne sont pas normales.  

Mais leur engagement ne s’arrête pas là. Avec les habitants et les jeunes du quartier, ils récupéraient des pneus et des objets recyclés et ont commencé à les peindre pour apporter de la couleur, de la beauté. Cet aspect artistique est important. Puis, à l’intérieur de ces objets, ils ont aménagé des potagers, des plantes médicinales.  

Ces jeunes activistes de 18 à 30 ans prennent le temps de sensibiliser des citoyen·nes, de transmettre leurs connaissances en agroécologie.  
Leur approche de l’écologie est différente de celle que l’on connaît en Europe, où le sujet est plus présent. Là-bas, cette prise de conscience n’est pas automatique, mais elle se construit à travers ces initiatives locales et solidaires. 

A Ayacucho, nous avons aussi visité une école qui a développé un jardin de plantes médicinales. Quand un élève a mal quelque part, un adulte le dirige vers une plante spécifique à cueillir au sein-même de l’école ! Ils invitent aussi les parents à participer et développer ces jardins. Cela permet de créer un autre lien entre parents et enfants. C’est une belle manière de repenser l’espace scolaire et d’en faire un lieu de transmission et de soin.  

Quel sentiment tu retiens ?  

L’espoir pour ces gens-là.  J’ai vu la misère, mais pas dans leurs yeux. J’y ai vu de la dignité. L’espoir que grâce à ces jeunes, à ces gens qui se forment par eux-mêmes, l’avenir sera meilleur. Ils ont l’espoir de s’en sortir, grâce à ces associations. Je suis contente de voir que ça change aussi de ce côté de l’écologie.  

J’étais contente de rencontrer les gens sur place et voir le pays avec leurs yeux, de parler avec eux. Les partenaires nous ont accompagnés.  Je suis très reconnaissante envers Steve, Marcia et les autres. Leur ressenti par rapport à la situation politique par exemple. Ça enrichit énormément mon voyage. Je suis reconnaissante envers Entraide et Fraternité de nous offrir cette opportunité.  Je suis contente d’en témoigner après aussi. On sait tous que les gens souffrent, mais partager ces expériences nous permet de mieux comprendre et d’être plus vrai et de témoigner de leur résistance.  

Le travail avec les jeunes t’a impressionné aussi ?    

On a vécu une messe ensemble avec les jeunes. Du point de vue de l’église, ils ont un syncrétisme avec leurs propres croyances ancestrales et la religion catholique.  

Encore une fois, j’étais étonnée par les jeunes. Ils ont vécu le terrorisme de 1980 à 2000. La nouvelle génération a connu un soulèvement du peuple récemment en décembre 2022 .  Ils ont préparé un diaporama pour nous expliquer la situation politique. Les jeunes essaient de restituer les événements, de récolter les témoignages pour demander justice. Ils font le travail que l’Etat ne veut pas faire. Ils avaient les larmes aux yeux, on voit que ça les touche énormément.  

Leurs voix ne comptent pas mais ils continuent quand même.  L’art permet de dire des choses qu’on ne peut pas dire dans un autre contexte. Les artistes peintres aussi s’expriment contre le terrorisme. L’art permet de s’exprimer, de dire leurs douleurs et leurs joies face à un gouvernement qui ne les écoute pas.  

Lisez également les entretiens avec l’abbé Xavier Nys et Mathieu Huvelle.