Portrait d'un homme et d'une femme
Pierre Espérance et Rosy Auguste Ducena
© RNDDH

Les gangs massacrent et violent nos compatriotes tous les jours

Pierre Espérance et Rosy Auguste sont à la tête du Réseau national haïtien de défense des droits humains (RNDDH). Le premier en est le directeur exécutif, la deuxième, avocate, y est responsable de programmes.

Quel est votre travail ?

Nous sommes présents dans chaque région du pays avec des antennes locales, nous sommes très proches de la population. Nous sommes très sollicités, nous recevons une cinquantaine de personnes par jour. Nous faisons du monitoring de la situation des droits humains dans les institutions étatiques (police, prisons, justice), nous dénonçons leurs violations et nous réalisons des formations aux droits humains pour des gens – policiers, juges, procureurs – dont le comportement risque de bafouer ces droits.

Comment décrivez-vous la situation actuelle du pays ?

Depuis 2018, on assiste à une gangstérisation du pays. Les gangs contrôlent les quartiers, perpètrent des massacres de civils, violent – collectivement et à répétition – des milliers de femmes. Chaque jour, nous sommes tués et violées ! Nous sortons de chez nous la peur au ventre. Accusé de corruption, le président Jovenel Moïse (ndlr : assassiné en 2021 par des mercenaires colombiens) a préféré armer des gangs pour s’attaquer aux gens des quartiers défavorisés qui manifestaient contre ce scandale, contre l’inflation galopante qui l’a suivi. Nous avons dénombré au moins 23 massacres et attaques armées. Les choses se sont aggravées car les gangs sont sortis des quartiers pauvres pour prendre tout le pays en otage. Le nombre d’enlèvements et d’assassinats a explosé. Dans les quartiers défavorisés, la population est détruite, tout simplement.

Les femmes sont-elles encore plus menacées ?

Les femmes et les filles sont violées lors des attaques des gangs. Même en situation de « paix », elles sont violées par les chefs de gangs ; alors, quand ces quartiers sont en guerre, ce sont les groupes agresseurs qui les violent, en général collectivement. Quand nous rencontrons ces victimes, nous leur donnons les premiers soins. Depuis 2018, nous n’avons jamais vu d’agresseur utilisant des moyens de contraception et il y a énormément de grossesses non désirées.

Cette situation, ajoutée à la vulnérabilité climatique du pays, provoque un risque de famine : comment en sortir ?

C’est une situation de corruption généralisée. Les connexions entre les responsables politiques, les autorités étatiques et les gangs sont évidentes. Ils travaillent ensemble, se rendent service. Les politiques fournissent argent, hommes et munitions aux gangs. Nombre de parlementaires sont des bandits, connus comme trafiquants d’armes ou de drogue, comme auteurs de corruption, de violations des droits humains, de kidnappings, d’assassinats. Si, demain, des élections avaient lieu sous le contrôle des gangs, elles ne feraient que donner une légitimité à ces gens. Pour nous, élections veut dire impunité. Ces autorités sont les responsables de cette mauvaise gouvernance. Ariel Henry est à la fois premier ministre, président, ministre de la Défense, de la Justice, il est le roi, il est responsable de tout dans le pays ! Ce n’est pas une force militaire étrangère qui va résoudre nos soucis de gouvernance, de corruption et l’absence d’État de droit. Or, c’est bien cela notre problème. Il faut un accord politique. On ne peut résoudre la question sécuritaire sans régler les questions de gouvernance. Il faut aussi renforcer la police pour que ses membres ne soient plus complices des gangs.

L’insécurité alimentaire en Haïti

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Situation de crise alimentaire ; 3,08 millions d’habitants concernés sur 10 millions

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Situation d’urgence alimentaire ; 1,8 million d’habitants concernés sur 10 millions

Total : 4,9 millions d’habitants sur 10 sont en besoin d’aide urgente

Haiti insecurite alimentaire

Source : Analyse IPC (Integrated Food Security Phase Classification) de l’Insécurité alimentaire aiguë, juin 2023

# jt202 # Violences / Guerre