deux personnes face caméra

La bonne direction, ce sont les communautés locales qui nous la montrent

# Lidia Rojas Matos
Partager

« Semons la solidarité, cultivons l’espérance. » Difficile de trouver meilleure illustration du slogan de la campagne de Carême 2025 dédiée au Pérou que lors de la conférence tenue le 26 mars dernier au Forum Saint-Michel, un dialogue entre Lidia Rojas Matos (Institut Bartolomeo De Las Casas), coordinatrice du programme d’Entraide et Fraternité au Pérou, et l’économiste-théologien français Gaël Giraud.

Moment fort de cette campagne, cette rencontre a d’abord permis d’offrir un double aperçu des réalités du pays et de la résilience de sa population face aux crises successives.  Un aperçu de terrain de la part de Lidia Rojas : « Nous subissons la répression, la démocratie en difficulté, les autorités n’ont plus la moindre confiance de la part de la population, l’économie est reine. Il y a un énorme sentiment d’impunité. La souveraineté alimentaire est capitale dans ce contexte. Les Péruviens reviennent à des pratiques communautaires pour répondre à leurs besoins, par exemple par le biais de cantines populaires, de potagers et de composts collectifs, des pratiques auxquelles ils avaient recours lors des crises précédentes, le Covid ou la dictature. »

En tant d’expert, Gaël Giraud a complété par une vision méta : « Si vous lui demandez son avis sur le Pérou, le FMI vous dira que tout va bien, que, jusqu’au Covid, la croissance y a été plus forte que partout ailleurs en Amérique latine. Il y a eu une très forte reprise après. En apparence ! Cela dissimule une économie malade car fondée sur l’extractivisme minier (minerais, surtout zinc, cuivre et or représentent 58% des exportations du pays) et donc dépendante du Nord. Cela ne profite qu’à une petite minorité qui a repris le pouvoir : c’est une oligarchie, une élite formée aux USA et des compagnies minières qui détruisent l’Amazonie. Le Pérou importe de quoi manger malgré ces richesses ! 50% des Péruviens sont en insécurité alimentaire, c’est déséquilibre colossal. Un Péruvien moyen est 7,5 fois plus pauvre qu’un Belge moyen. Sans parler des dégâts sur la forêt amazonienne indispensable à notre propre vie (notre eau et notre oxygène dépendent de l’Amazonie). »

« La sainteté d’aujourd’hui, ce sont ces associations »

Dans un deuxième temps, après le « voir » et le « juger », place à l’« agir ». Agir, c’est ce que font les partenaires péruviens d’Entraide et Fraternité au quotidien. « À Ayacucho, on a obtenu de la ville un local pour la cantine populaire et un espace pour un potager collectif. L’arme du plaidoyer est donc fondamentale. Quand les actions ont le soutien de la population, on peut obtenir des changements. La société civile se mobilise au niveau national : elle a dénoncé une loi qui visait à faire reculer la frontière agriculture/forêt au profit de l’agriculture intensive qui ne nourrit pas notre population », a expliqué Lidia Rojas. « Le Pérou et les Péruviens luttent quotidiennement et sont dans l’espérance que la communauté s’organise. Nous avons l’idéal d’une politique au service de la population, pas qui sème la peur au nom de ses intérêts individuels. Chaque jour, les femmes des cantines populaires, les enfants des potagers collectifs, embrassent une action pour la terre et la vie. »

Ce travail des ONG, Gaël Giraud le juge « extraordinaire » : « Les gens mettent leur savoir-faire et leurs ressources en commun. Ce sont toujours les femmes qui sont à la manœuvre. L’autonomie alimentaire via l’agroécologie, c’est absolument fondamental. C’est fascinant comme ce sont ces communautés qui nous montrent la bonne direction. C’est aussi le cas pour leur façon de s’approprier ‘les trois R’ : réduire, réparer, recycler, indispensables pour avoir une industrie renouvelable. C’est le contraire des smartphones : impossibles à recycler et bourrés de minerais rares. Ce qu’invente une société civile pauvre comme au Pérou, c’est la bonne réponse. Vous savez : alors que Trump dirige les États-Unis, le Mexique est dirigé par une experte du GIEC parce que la société civile est organisée de manière simple et pragmatique. Qui donne l’exemple ? Si nous apprenons à aider cette société civile là, elle pourra avoir le fin mot. »

Et de conclure en citant le jésuite espagnol Pedro Arrupe : « ‘Tant qu’il y aura un enfant sur terre qui aura faim, nos eucharisties ne seront pas complètes.’ Je vois dans le travail de ces associations péruviennes des enfants qui s’en sortent malgré les tonnes de difficultés, des enfants ressuscités grâce à ces ONG. Et c’est là qu’on rencontre la sainteté aujourd’hui. »