Les pays débiteurs font face au même problème que les pays créanciers : ils ont besoin d’injecter massivement de l’argent dans leur économie pour faire face à la pandémie.
Pour aider les pays du Sud à faire face à la crise, des allégements de dettes importants sont indispensables. Pourtant, la Banque mondiale et le FMI refusent de participer au moindre effort, y compris celui de suspendre le remboursement de la dette comme l’ont fait la Belgique et d’autres pays sur une petite partie de leurs créances via un moratoire sur la dette.
Or, la Belgique a un rôle important à jouer en portant énergiquement ces propositions lors des prochaines réunions du FMI et de la Banque mondiale qui auront lieu du 9 au 11 avril 2021. Soulignons que la Belgique dispose, au nom d’un groupe de pays, d’un siège d’administrateur au FMI et d’un siège d’administrateur suppléant à la Banque mondiale. De plus, elle se trouve dans les groupes de pays qui pèsent le plus, en termes de droits de vote au sein de ces deux organisations. Il est aujourd’hui vital que la Belgique utilise le poids important qu’elle détient dans ces deux organisations pour contribuer à les y obliger et ce, pour trois raisons essentielles.
Créances illégitimes
Premièrement, la Banque mondiale et le FMI font partie des principaux créanciers des pays à faible revenu. Les créanciers multilatéraux, avec à leur tête la Banque mondiale, détenaient, à la fin de l’année 2019, 243 milliards de dollars de créances sur les 73 pays à faible revenu, soit 46 % de la dette extérieure publique de ces derniers.
Deuxièmement, le refus de ces organisations de suspendre le remboursement de leurs créances a pour conséquence qu’une partie de l’aide internationale est immédiatement confisquée pour rembourser la dette. Étant donné que la Banque mondiale, le FMI mais aussi les créanciers privés (dont les banques et les fonds d’investissement) continuent d’exiger le remboursement de leurs créances, les aides qui sont accordées aux pays du Sud, dans le but officiel de lutter contre les effets de la pandémie, seront dans les faits utilisées pour renflouer ces organisations au détriment des besoins urgents sur place.
Troisièmement, la Banque mondiale et le FMI détiennent des créances illégitimes et odieuses.
Une partie des prêts octroyés par ces deux institutions n’a, en effet, pas profité aux populations des pays concernés. C’est le cas des dettes contractées par des gouvernements détournant tout ou partie des fonds empruntés, en toute connaissance de cause des prêteurs, comme en République démocratique du Congo sous l’ère de Mobutu. C’est le cas également des prêts conditionnés à la mise en place de « réformes structurelles », euphémisme pour l’austérité budgétaire et la libéralisation de l’économie (dérégulation, privatisation des entreprises publiques et libéralisation des services, suppression significative des barrières douanières, du contrôle des changes et des mouvements de capitaux). Ces mesures sont toujours d’actualité et ont des conséquences désastreuses sur les droits humains. Une étude récente a montré que 84 % des prêts accordés par le FMI depuis septembre 2020 destinés à la réponse à la pandémie de Covid-19 encourageaient et, dans certains cas, exigeaient des pays qu’ils adoptent des mesures d’austérité au lendemain de la crise sanitaire.
Vendre l’or
Le financement d’annulation de la dette est non seulement possible, mais aussi peu coûteux. Il existe en effet des solutions concrètes et cumulables qui ne représenteraient qu’un impact budgétaire minime voire nul pour la Banque mondiale et le FMI.
Une première piste consiste à utiliser le produit de la vente d’une partie des réserves d’or détenues par le FMI. Si cette crise actuelle, qui est la plus grave depuis les années 1930, ne justifie pas aujourd’hui la vente d’une petite partie de ces réserves d’or, quel autre évènement pourrait le justifier ? L’annulation des dettes dues au FMI et à la Banque mondiale par les pays à faible revenu dans la période allant d’octobre 2020 à décembre 2021 pourrait être financée par la seule vente de 6,7 % de l’or détenu par le FMI.
Une deuxième piste consiste à utiliser les droits de tirage spéciaux (DTS), un mécanisme de réserves émises par le FMI vers les banques centrales, pour couvrir les coûts de l’allégement de la dette. L’octroi de DTS n’alourdit pas la dette et ne représente une perte économique pour personne.
Une troisième piste serait d’utiliser une partie des bénéfices accumulés par les banques multilatérales de développement (dont la Banque mondiale) et le FMI sur les prêts qu’ils ont accordés. Ces profits sont constitués des intérêts et commissions payés par les pays débiteurs. Soulignons qu’en pleine pandémie, la Banque mondiale et le FMI continuent d’engranger des bénéfices puisque le paiement des seuls intérêts représente cette année 22,5 % du service de la dette multilatérale ! Autrement dit, près d’un quart des remboursements dus en 2021 correspond au paiement d’intérêts.
Il ne fait aucun doute qu’une combinaison de ces différentes options pourrait largement couvrir l’allégement d’une partie importante de la dette et bénéficier à de très nombreuses populations. Les solutions techniques et réalistes existent. Seule manque la volonté politique.
Mesures exceptionnelles
La situation exceptionnelle que nous vivons depuis plus d’un an maintenant mérite que des mesures exceptionnelles soient mises en œuvre. Les pays débiteurs font face au même problème que les pays créanciers : ils ont besoin d’injecter massivement de l’argent dans leur économie pour faire face à la pandémie. De plus, les pays créanciers et principaux actionnaires de la Banque mondiale et du FMI, n’ont aucun intérêt à mettre leurs débiteurs dans une situation intenable. Il est temps de chercher de réelles solutions pour sortir de cette crise ensemble.
Carte blanche parue dans La Libre le le 6 avril 2021