Haïti : défendre la terre pour nourrir l’avenir
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La crise multidimensionnelle que traverse actuellement Haïti soulève nombre de questions, notamment en termes de modèle de développement et de souveraineté(s) politique et alimentaire. En raison d’une série de facteurs – son histoire, son potentiel agricole, la présence de nombreuses organisations paysannes, sa proximité avec la République dominicaine, la dynamique migratoire et sa qualification de zone de développement prioritaire –, la région Nord/Nord-Est représente un espace stratégique. Ce territoire est marqué par une insécurité foncière généralisée, une conflictualité intense et une dynamique d’accaparement de terres, mise en œuvre par de grands propriétaires fonciers, au profit de (méga)projets extractivistes : zones franches (industrielles et agricoles), mines, ports, etc.
L’État haïtien, soutenu par les acteurs internationaux, a mis en place un modèle de développement anti-paysan. La complicité des acteurs institutionnels publics – juges, notaires, élus, etc. –, d’hommes d’affaires, des spoliateurs et leur instrumentalisation de bandes criminelles rendent le recours à la justice inopérant, renforcent l’impunité et catalysent les spoliations de terres.
L’agroécologie est adaptée au milieu rural haïtien et offre un grand potentiel pour la paysannerie, en lien avec la souveraineté alimentaire. Cependant, l’insécurité foncière hypothèque à la fois l’agroécologie et la souveraineté alimentaire, tout en constituant une entrave structurelle qui par ailleurs affecte négativement l’environnement et les conditions de vie de la paysannerie, fragilisant ses droits. L’accès à la terre constitue dès lors la première et principale revendication des paysans et paysannes. Les femmes sont particulièrement touchées par les discriminations dans l’accès à la terre. Elles possèdent moins de terres que les hommes et sont souvent exclues des décisions foncières, ce qui limite leur autonomisation. La réalisation d’une réforme agraire faciliterait un accès équitable et généralisé à la terre et aux ressources naturelles.
L’absence de reconnaissance des droits – dont le droit à la terre – des paysans et paysannes et de leur statut de sujet politique, d’un côté, et la complicité de l’État haïtien avec les acteurs de la spoliation des terres ainsi que sa politique extractiviste et anti-paysanne, de l’autre, alimentent la dynamique d’accaparement des terres et la violation des droits de la paysannerie. Seul un renversement de ce rapport, où les paysans et paysannes d’Haïti participent à la définition et de la réalisation des politiques publiques agricoles et alimentaires, en donnant la priorité à l’agroécologie et à la souveraineté alimentaire, et en changeant la nature et l’orientation de l’État haïtien, peut assurer le respect, la protection et les droits des paysans et paysannes. L’accès à la terre est la première phase de ce changement.





