Comment la Belgique peut-elle soutenir l’agriculture familiale en République démocratique du Congo face à l’extraction minière ?
CONTEXTE
Au lendemain d’élections très contestées en République démocratique du Congo (RDC), les défis économiques et sociaux à relever sont immenses pour ce pays en proie à des violences armées et à une grave insécurité alimentaire. Environ 26,4 millions de personnes connaissent des niveaux élevés d’insécurité alimentaire aiguë1Phase 3 de l’IPC et plus (Integrated Food Security Phase Classification). Plus précisément, 3% de personnes (environ 3,5 millions de personnes) sont classées en phase 4 de l’IPC (Urgence) et 20% (environ 21,8 millions de personnes) en phase 3 (Crise) en R.D. Congo.. Ce qui représente plus de 26% de la population congolaise. Cette insécurité alimentaire résulte d’une combinaison de plusieurs facteurs : un budget alloué au secteur agricole ridiculement faible, qui ne soutient que très peu l’agriculture familiale2La part réservée à l’agriculture ne représentait que 4,4% de l’ensemble du budget national en 2023. Sur ce maigre budget, moins de 10% va à l’agriculture familiale (appui aux campagnes agricoles)., la hausse généralisée des prix des denrées alimentaires et des coûts de transport, de même que les répercussions persistantes de la pandémie de COVID-19 et d’autres épidémies.
La crise alimentaire est encore aggravée par les conflits armés (caractérisés entre autres par des violences sexuelles) dans les territoires de l’est de la RDC, qui se nourrissent notamment d’un accès inégal à la terre et de l’exploitation minière. Cette dernière constitue une importante source de financement pour les groupes armés soutenus par les gouvernements de pays voisins. À cela s’ajoute le fait que l’extraction minière (industrielle comme artisanale) s’accompagne de graves violations de droits humains, détruit l’environnement, accapare des terres agricoles, pollue les eaux, les sols et empêche en bout de course toute possibilité pour la RDC d’atteindre la souveraineté alimentaire.
L’exploitation minière à l’est de la RDC génère également des injustices. Selon le rapport de l’ONG Global Witness publié en 20223GLOBAL WITNESS, La Laverie ItSCI. Enquête sur un programme de vigilance raisonnable apparemment impliqué dans le blanchiment de minerais de conflit. Rapport avril 2022, p. 7., pendant des années, 90 % des « minerais du sang » également appelés « 3T » (coltan/tantale, étain et tungstène4Ces minerais sont présents dans de nombreux produits tels que les smartphones, les ordinateurs portables et bien d’autres appareils électroniques.) qui étaient vendus par le Rwanda étaient le fruit de la contrebande au départ de la RDC. En dépit de ces allégations étayées, la Commission européenne a signé, en février 2024, un accord de partenariat avec le Rwanda sur les matières premières critiques en affirmant notamment que le Rwanda « est un acteur majeur au niveau mondial dans le secteur de l’extraction de tantale »5https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_24_822. Bien que le contenu précis n’en ait pas été publié, la signature de cet accord, qui intervient en plein conflit armé dans l’est de la RDC impliquant le M23 soutenu par le Rwanda, est très interpellante.
Face à cette situation, il est nécessaire, d’une part, de protéger la population victime des exactions de groupes armés, les défenseurs/euses des droits humains et de l’environnement et, d’autre part, soutenir l’agriculture paysanne face à l’extractivisme minier. À cette fin, la Belgique dispose d’importants leviers d’action au niveau européen, international et national. En effet, la Belgique assure la présidence du Conseil de l’Union européenne (UE) pendant le 1er semestre 2024 et occupe une place stratégique au sein de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement6La Belgique dispose, au nom d’un groupe de pays, d’un siège suppléant à la Banque mondiale (BM). De plus, elle se trouve dans les groupes de pays qui pèsent le plus, en termes de droits de vote, au sein de cette organisation. La Belgique, membre de la Banque africaine de développement (BAD), y est également représentée au sein du Conseil d’administration.. Notre pays siège également au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU jusqu’en 2025.
REVENDICATIONS POUR LA BELGIQUE
- Au niveau de l’UE : protéger les populations de l’Est de la RDC, renforcer le devoir de vigilance des entreprises et réduire la consommation des matières premières « critiques »
La présidence belge de l’UE constitue une réelle occasion pour, d’une part, renforcer les actions de l’UE visant à mettre fin aux violences dans l’est de la RDC et, d’autre part, formuler des recommandations à la future Commission européenne, en particulier sur le sujet des matières premières « critiques », qui constitue l’une des grandes priorités de la présidence belge7https://belgian-presidency.consilium.europa.eu/media/acjdmrbd/programme_fr.pdf. Nous demandons à la Belgique, pendant sa présidence de l’UE de :
- Renforcer son action diplomatique pour que cessent les violences à l’est de la RDC. Ces initiatives doivent viser en priorité la protection de la population congolaise victime d’exactions de groupes armés, dont le M23. L’UE doit, à cet égard, augmenter son aide humanitaire en faveur des populations impactées par ces violences et encourager les organisations humanitaires internationales à travailler davantage en synergie avec les acteurs locaux. L’UE devrait également condamner l’État rwandais pour son soutien avéré au M23 et exiger, via une pression diplomatique et l’adoption de sanctions, l’arrêt immédiat des formes de soutien direct ou indirect des pays de la région aux groupes armés dans l’est de la RDC8https://www.cncd.be/Mettre-fin-a-la-fatigue-des-Grands. Des sanctions devraient aussi logiquement être prises contre les entreprises qui sont citées dans les différents rapports des Nations-Unies9Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2023/431, Rapport final du Groupe d’Experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo, mai 2023. Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2019/469, Rapport final du Groupe d’Experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo, mai 2019. comme exportatrices (notamment vers l’Europe) des minerais critiques provenant clandestinement de la RDC.
- Œuvrer à l’adoption de la directive européenne sur le devoir de vigilance des entreprises et plaider pour une participation active de l’UE aux négociations sur le traité contraignant sur les entreprises et les droits humains sous l’égide de l’ONU, comme le demande le Parlement européen10https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0421_EN.html. Il est important de veiller à faciliter l’accès des victimes de l’extraction minière à une assistance psychologique et à un accompagnement juridique pour la réparation de leurs dommages. Ce traité devrait également inclure le principe du consentement préalable pour les communautés concernées par un projet minier.
- Recommander l’introduction d’une réglementation européenne contenant des objectifs chiffrés et contraignants de réduction de consommation de ces matières premières11En effet, le règlement européen sur les matières premières dites « critiques » ne contient aucun objectif de réduction de la consommation. En parallèle à cette nouvelle réglementation, il est essentiel de revoir les politiques de mobilité pour que le développement des transports publics propres soit prioritaire pour diminuer la demande en matières premières. Afin de consommer moins de matières premières, il est aussi nécessaire d’imposer la fabrication d’objets non obsolescents, avec une longue garantie de vie et de réparation. https://entraide.be/publication/le-reglement-europeen-sur-les-matieres-premieres-critiques-un-cadeau-de-noel-aux-entreprises-minieres/.
- Parallèlement à cette réduction (indispensable pour limiter le dérèglement climatique, protéger l’agriculture paysanne et la biodiversité), il est essentiel de soutenir la transformation sur place des matières premières pour que la population congolaise puisse profiter de la valeur ajoutée tirée de l’exploitation minière mais aussi simplifier la traçabilité de ces ressources.
- Au sein de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement : soutenir prioritairement l’agroécologie et cesser de promouvoir les semences hybrides et les intrants chimiques
Nous demandons aux représentant.es de la Belgique à la Banque mondiale (BM) et à la Banque africaine de développement (BAD) d’exiger que les financements dans le domaine agricole soient réorientés vers le soutien à l’agriculture paysanne et que ces banques de développement cessent de promouvoir la vente de semences hybrides et les intrants chimiques. Plus précisément, la Belgique devrait :
- Plaider, au sein de la BM, pour que celle-ci ne mette plus de conditions à ses prêts ayant pour effet de limiter le choix des pays débiteurs dans la manière de réglementer le secteur des semences et qu’elle cesse de promouvoir les subventions pour les semences hybrides et les engrais chimiques.
- Plaider, au sein de la BAD, pour une révision du plan stratégique 2022-2028 du Mécanisme africain de financement du développement des engrais (MAFDE) en faveur de l’agroécologie ainsi que pour la mise en place de politiques améliorant la production, le commerce et l’utilisation des engrais organiques et qui facilitent l’accès des petits exploitants agricoles aux intrants organiques et à l’assistance technique.
- Au niveau national : consacrer au moins 15% de son budget de la coopération au développement à l’agriculture familiale et renforcer le devoir de vigilance des entreprises
Il est essentiel que la Belgique :
- Augmente son aide au développement et consacre au minimum 15% de celle-ci à la réalisation du droit à l’alimentation, par l’appui aux organisations paysannes ainsi qu’aux politiques publiques renforçant la souveraineté alimentaire des pays partenaires dont fait partie la RDC12Elle s’y est engagée dès 2010, suite à la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008. Un pourcentage que la Belgique n’a jusqu’ici jamais respecté, à l’exception de l’année 2013..
- Financer des projets générateurs de revenus pour les femmes qui quittent les mines en RDC en soutenant par exemple des associations villageoises d’épargne et de crédit, leur permettant ainsi d’acheter et de cultiver les champs communautaires ou de faire de l’élevage.
- Soit ambitieuse en matière d’inclusion d’un devoir de vigilance des entreprises dans le droit belge, notamment en soumettant les institutions financières (dont les entreprises minières dépendent pour le financement de leur activité) à ce devoir de vigilance et en facilitant l’accès des victimes et de leurs représentant.es à la justice belge.
- Aux niveau national, européen et international : défendre la liberté d’expression et protéger les populations à l’est de la RDC en :
- Augmentant l’aide humanitaire pour les personnes victimes des conflits.
- Renforçant et en accélérant l’installation des réfugiés congolais sur le sol belge et européen.
- Mettant fin à l’impunité des personnes complices des violations de droits humains et du droit international humanitaire. Pour y parvenir,plusieurs pistes existent : des sanctions individuelles contre les auteurs de violations graves des droits humains ; relancer un nouveau projet « Mapping » pour faire l’inventaire des violations les plus graves des droits humains après juin 2003 ; soutenir la création d’un tribunal pénal international pour juger les cas les plus graves de violations et/ou la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle. Il est également indispensable d’exercer, via une pression diplomatique, l’arrêt immédiat des formes de soutien financier, logistique, militaire ou stratégique, direct ou indirect, de pays de la région aux groupes armés dans l’est de la RDC.
- Soutenant les organisations de la société civile congolaise qui travaillent sans relâche contre l’impunité, pour la prévention et la paix mais aussi en mettant en place des mécanismes effectifs de protection et de soutien des défenseurs/euses des droits humains et de l’environnement. Cette protection devrait inclure la possibilité de faciliter leur accès rapide au territoire belge et européen en cas de menaces pour leur sécurité et celle de leur famille.
- 1Phase 3 de l’IPC et plus (Integrated Food Security Phase Classification). Plus précisément, 3% de personnes (environ 3,5 millions de personnes) sont classées en phase 4 de l’IPC (Urgence) et 20% (environ 21,8 millions de personnes) en phase 3 (Crise) en R.D. Congo.
- 2La part réservée à l’agriculture ne représentait que 4,4% de l’ensemble du budget national en 2023. Sur ce maigre budget, moins de 10% va à l’agriculture familiale (appui aux campagnes agricoles).
- 3GLOBAL WITNESS, La Laverie ItSCI. Enquête sur un programme de vigilance raisonnable apparemment impliqué dans le blanchiment de minerais de conflit. Rapport avril 2022, p. 7.
- 4Ces minerais sont présents dans de nombreux produits tels que les smartphones, les ordinateurs portables et bien d’autres appareils électroniques.
- 5https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_24_822
- 6La Belgique dispose, au nom d’un groupe de pays, d’un siège suppléant à la Banque mondiale (BM). De plus, elle se trouve dans les groupes de pays qui pèsent le plus, en termes de droits de vote, au sein de cette organisation. La Belgique, membre de la Banque africaine de développement (BAD), y est également représentée au sein du Conseil d’administration.
- 7https://belgian-presidency.consilium.europa.eu/media/acjdmrbd/programme_fr.pdf
- 8https://www.cncd.be/Mettre-fin-a-la-fatigue-des-Grands
- 9Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2023/431, Rapport final du Groupe d’Experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo, mai 2023. Conseil de sécurité des Nations Unies, S/2019/469, Rapport final du Groupe d’Experts des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo, mai 2019.
- 10https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2023-0421_EN.html
- 11En effet, le règlement européen sur les matières premières dites « critiques » ne contient aucun objectif de réduction de la consommation. En parallèle à cette nouvelle réglementation, il est essentiel de revoir les politiques de mobilité pour que le développement des transports publics propres soit prioritaire pour diminuer la demande en matières premières. Afin de consommer moins de matières premières, il est aussi nécessaire d’imposer la fabrication d’objets non obsolescents, avec une longue garantie de vie et de réparation. https://entraide.be/publication/le-reglement-europeen-sur-les-matieres-premieres-critiques-un-cadeau-de-noel-aux-entreprises-minieres/
- 12Elle s’y est engagée dès 2010, suite à la crise des prix des denrées alimentaires de 2007-2008. Un pourcentage que la Belgique n’a jusqu’ici jamais respecté, à l’exception de l’année 2013.