Position de la plate-forme belge UE-Mercosur
Le 28 juin 2019, l’UE et les pays du Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) sont parvenus à un accord de principe sur le volet commercial de l’accord d’association UE-Mercosur. Les négociations sur les volets politique et coopération sont toujours en cours. Le volet commercial n’est pas non plus complètement achevé : le chapitre institutionnel et les calendriers de libéralisation des investissements et des échanges de biens et de services n’ont pas encore été finalisés ou publiés. Les textes provisoires et certaines annexes ont été publiés dans les semaines qui ont suivi la conclusion de l’accord de principe. Ils sont encore soumis à une révision juridique.
A la lecture des documents publiés, il apparaît clairement que l’actuel projet d’accord ne rencontre pas une série de balises essentielles en termes de développement durable et de respect des droits humains et sociaux. Malgré les nombreux signaux provenant de divers secteurs de la société belge et dans d’autres pays européens, la Commission européenne et les groupes de travail du Conseil qui accompagnent la négociation des accords commerciaux restent sourds à des années de critiques de la politique commerciale européenne et continuent à conclure des accords commerciaux qui privilégient les intérêts commerciaux au détriment de la santé, des droits des populations et du travail ainsi que de la protection de l’environnement et du climat.
La plateforme belge UE-Mercosur rejoint la position de coalitions similaires dans plusieurs États membres de l’UE et du Mercosur, ainsi qu’au niveau de l’UE. Elle rejette le projet d’accord UE-Mercosur et appelle le gouvernement fédéral et les gouvernements des entités fédérées ainsi que les parlementaires belges à s’opposer à cet accord que la Commission européenne entend leur soumettre.
Pour étayer cette position, la plate-forme s’appuie sur les observations suivantes :
- Les pays du Mercosur comprennent la majeure partie de la forêt amazonienne, la plus grande forêt tropicale humide de la planète, source d’un stockage de carbone et d’une biodiversité inégalés, qui abrite des millions d’autochtones. La survie de la forêt tropicale amazonienne et de ses habitants est menacée par la déforestation et l’accaparement des terres en cours, favorisés par l’agrobusiness brésilien en vue de répondre à l’augmentation de la demande chinoise de soja et de bœuf.
Au cours des dernières décennies, l’Union européenne a elle aussi contribué à cette déforestation – qui s’étend également aux régions voisines telles que le Cerrado et le Chaco – par des importations européennes de soja, de bœuf ainsi que de bois et de pâte à papier en provenance du Mercosur. Dans le même temps, ces importations se font au détriment de l’environnement et de la viabilité de l’agriculture familiale et paysanne en Europe comme au sein du Mercosur.
L’accord UE-Mercosur ne met pas fin à cet impact sur la forêt amazonienne et le Cerrado; au contraire, les accords sur l’augmentation des importations de bœuf et de sucre en provenance de la région ne feront que renforcer la pression existante. Dans le même temps, ces importations accrues érodent encore plus notre environnement et la viabilité de l’agriculture européenne.
- Au Brésil, l’arrivée au pouvoir de l’actuel président Jair Bolsonaro a renforcé les abus existants en matière de droits humains, les atteintes aux peuples indigènes et les dérives en termes de déforestation. En 2019, première année de son mandat présidentiel, la déforestation en Amazonie brésilienne a connu une augmentation de 85% par rapport à 2018, d’après l’Institut de recherches spatiales INPE.
En janvier 2020, Human Rights Watch a publié un rapport dévastateur sur les violations des droits de l’homme et la violence policière sous Bolsonaro, avec pas moins de 6 600 morts, la torture de prisonniers, les violations des droits des enfants, des migrants, des femmes, des minorités sexuelles et des peuples indigènes. Dans son Indice mondial des droits du travail, la Confédération Syndicale Internationale a ajouté le Brésil à la liste des dix pays les plus mauvais au monde en termes de respect des droits du travail. Le Brésil n’a pas ratifié la norme fondamentale du travail 87 de l’OIT sur la liberté syndicale, mais il ne respecte pas non plus les normes qu’il a ratifiées. Le travail des enfants et le travail forcé, en particulier dans les grandes exploitations agricoles ou les latifundia, posent des problèmes majeurs. Les progrès réalisés ces dernières années en matière de développement social et de droits du travail ont été anéantis sous Bolsonaro.
Ce contexte dans lequel l’Union européenne a décidé de conclure les négociations qui duraient depuis près de 20 ans fait craindre une aggravation des violations des droits. Et la signature de l’accord risquerait d’accorder un regain de légitimité à de telles politiques. Ce faisant, l’Union européenne démontre une fois de plus de manière flagrante que son agenda commercial ne sert que très peu la préservation des droits humains et la protection de l’environnement et des travailleurs.
- Malgré les nombreuses protestations, le chapitre sur le développement durable de l’accord UE-Mercosur reste faible et manque à nouveau d’un mécanisme contraignant assorti de sanction pour le faire respecter, ce qui rend facultatif une mise en application des engagements déjà très faibles.
Le chapitre ne requiert pas la ratification des normes fondamentales du travail ni, en l’absence de mécanisme de sanction, leur respect en droit et en pratique. Le respect des normes de l’OIT dans le cadre de ce Traité est pourtant d’autant plus primordial qu’il risque de perturber les chaines de production intra-Mercosur, menaçant notamment des milliers d’emploi en Argentine.
La partie sur la lutte contre la déforestation est particulièrement décevante. Elle s’épuise en termes très vagues et sans valeur contraignante. Il est clair que les négociateurs européens ont choisi de ne pas laisser la question de la déforestation, et les violations des droits humains qui y sont associées, faire obstacle à des intérêts économiques européens offensifs.
La référence au respect de l’accord de Paris sur le changement climatique et à l’utilisation du principe de précaution comme base de réglementation a également été placée dans ce chapitre non exécutoire.
Il reste à voir quel rôle la société civile peut jouer dans le suivi de ces accords. Ce rôle serait toutefois défini dans le chapitre institutionnel, qui est encore en cours de préparation.
- Enfin, le modèle agro-industriel des pays du Mercosur se base sur l’utilisation massive d’OGM, d’antibiotiques et de pesticides, y compris des pesticides qui ne sont pas autorisés dans l’UE et qui sont souvent produits illégalement. Ces pratiques ont un impact très négatif sur l’environnement et sur la population locale, qui est généralement engagée dans une agriculture plus durable, comme dans les systèmes agroforestiers.
D’autre part, les contrôles aux frontières sur les importations en Europe ont été réduits pour faciliter le commerce et réduire les coûts commerciaux, réduisant ainsi la possibilité de détection et de remédiation. L’accord commercial contient une référence au principe de précaution comme base des règlements sur les mesures de sécurité alimentaire, mais cette référence est incluse dans le chapitre non exécutoire sur le développement durable et n’entraîne dès lors aucune obligation.
Concrètement, ce type d’accord conduit à une mise en concurrence de notre agriculture avec des productions ne respectant pas les normes strictes imposées aux agriculteurs européens. Une concurrence déloyale qui se traduira inévitablement par une pression à la baisse sur les prix déjà trop bas (notamment dans la filière de la viande bovine).
Les organisations signataires :
Position de la plate-forme belge UE-Mercosur
11.11.11 -Koepel van de Vlaamse Noord-Zuidbeweging
ACV-CSC
Boerenforum
Broederlijkdelen
CNCD-11.11.11
Entraide et Fraternité
FGTB-ABVV
FMB
FUGEA
Greenpeace
MAP
MIG
Oxfam
Wervel