A Ath, des élèves du secondaire explorent la notion de paix au micro d’un podcast qu’ils réalisent eux-mêmes, en miroir avec des jeunes congolais. Une expérience pédagogique et humaine, portée par Entraide et Fraternité
Dans une salle de classe, Olivier Planckaert, professeur de français, dispose des chaises, installe deux micros et un enregistreur. Les élèves arrivent au compte-goutte : une adolescente en t-shirt au motif treillis, un autre porte un sweat « Me against the world » (moi contre le monde) en lettres majuscules. Pourtant, c’est bien pour parler de paix que la classe se réunit aujourd’hui.
Il est 9h en ce lundi matin, les élèves de cette école secondaire athoise s’apprêtent à enregistrer un épisode de podcast. Certains s’installent déjà autour de la table centrale. Les autres formeront le public autour.
Leur premier invité est déjà là, il assiste à la mise en place, sourire aux lèvres. C’est un homme d’un certain âge, en costume et cravate bleue électrique. La croix en bois qu’il porte en pendentif nous donne l’indice que l’on attendait : c’est l’abbé André Malfait.
En attendant la deuxième invitée, on revoit le script et l’ordre de passage. Olivier veille au tempo. Il encourage, rassure les voix encore hésitantes. A la fois prof et chef de plateau, il donne les consignes : « articulez bien », « gardez la bonne distance avec le micro », « pensez au volume de votre voix ». Et puis, l’humour : « on ne fait pas de l’ASMR (vidéos populaires sur internet, où les gens chuchotent dans un but relaxant). Et pas de gros mots ! »
Dolores, animatrice et responsable du secteur Jeunes chez Entraide et Fraternité, sera la médiatrice de l’émission. Elle relancera et fluidifiera les échanges. Blagueuse et énergique, elle détend l’atmosphère sans effort. Elle souligne l’implication de chaque élève : « Vous êtes co-responsables de votre émission ».
Silence. L’enregistrement de l’introduction commence.
« Moi je m’en fous, c’est pas mon pays, c’est pas ma guerre ». Les premières secondes donnent le ton. Une phrase jetée comme une provocation, devenue le titre du podcast. Ce n’est pas une revendication, mais un point de départ. L’idée, m’expliquera ensuite Dolores, c’est de partir de ces a priori qui émergent lors des séances de préparation avec les élèves.
Au micro, un autre élève prend le relai : « Bonjour, nous sommes les élèves de l’Institut Technique Libre d’Ath. Une classe de 21 élèves composée de 12 élèves de la section mécanique automobile et de 9 élèves de la section menuiserie. Dans le cadre de notre cours de français et en partenariat avec Entraide et Fraternité, nous nous sommes engagés à réaliser 5 podcasts avec un regard croisé avec des jeunes congolais. Notre émission du jour a pour thème la paix et la culture de la paix. »
L’introduction est dans la boîte, les élèves peuvent souffler quelques minutes avant que débute l’émission.
Voilà justement leur deuxième invitée qui arrive. Lunettes à monture noires et le pas assuré, elle serre quelques mains avant de s’installer, accompagnée de deux membres de son équipe. Il s’agit de Ludivine Dedonder, députée fédérale et ancienne ministre de la Défense.
Deux invités pour deux regards sur la paix. « Quand on pensait à la paix, moi je pensais à la guerre, nous confie Olivier. Et qui mieux que notre ancienne ministre Mme Dedonder, qui a certainement une vision aussi de la paix ? Elle qui disait pendant son mandat que la défense était gardienne de la paix… Il y avait une ambivalence. Puis un élève, pendant nos séances de préparation a dit : “Si je ne suis pas en paix avec moi-même, je ne sais pas être en paix avec les autres.” Là est intervenue l’idée qu’il y a aussi une paix intérieure. »
Les élèves se concentrent. Les micros tournent et les prises de paroles s’enchaînent. Ludivine Dedonder répond sans esquive. Ensemble, ils évoquent le budget de la défense belge, son rôle dans les processus de paix, la mission des médiateurs. L’actualité aussi est évoquée : les situations dramatiques à Gaza et en Ukraine, les cyber-attaques, le rôle des réseaux sociaux, la montée de l’extrême droite… L’ancienne ministre insiste sur les valeurs fondamentales de vivre-ensemble, de démocratie, de solidarité, sans oublier l’écologie. Pour elle, « la Défense est un outil qui sert à la paix. »
L’abbé Malfait apporte un regard introspectif sur la paix. Le ton posé, il donne son approche, moins politique et plus métaphorique : « La paix est comme une clé. Avec une clé, on peut faire beaucoup de choses. On peut la perdre. Elle peut servir à ouvrir une porte, ou la fermer (…) La paix n’est pas facultative. Quand on perd la clé, on perd la paix intérieure. » Il ajoute : « La paix intérieure dépend de l’environnement et de nous-même. Peut-être avons-nous des blessures qui abîment la paix. » Il partage ensuite des souvenirs marquants de son expérience auprès de détenus en Belgique.
Pendant ce temps, à plus de 6 000 kilomètres d’Ath, d’autres jeunes prenaient aussi le micro. Dans la province du Sud Kivu à l’est de la République démocratique du Congo, les jeunes de l’association CHANGE enregistraient leur propre émission sur le même thème de la paix. Un mot lourd de sens dans une région en proie à d’intenses violences depuis quelques mois. Une offensive du groupe armé M23 a provoqué des milliers de morts civils, des centaines de milliers de déplacés et aggravé la crise humanitaire. Partenaire d’Entraide et Fraternité, l’association CHANGE est très active sur les questions d’accès et de gestion durable des ressources naturelles.
En Belgique comme en RDC, cinq épisodes de podcasts seront produits sur les mêmes thématiques. Un moyen de créer des ponts entre les réalités, de former l’esprit critique et de donner la parole à des jeunesses que l’on écoute encore trop peu.
« Ici, tout est fait par les élèves » affirme fièrement Olivier. « On les a accompagnés dans l’écriture, mais ils posent les questions, ils sont à la manœuvre. Ils sont acteurs et chacun est pleinement actif dans ce projet. »
Ce projet rendu possible grâce à Dolores Fourneau, animatrice et responsable du secteur Jeunes chez Entraide et Fraternité, Olivier Planckaert, professeur de français à l’ITL, l’engagement de Change DRC, et surtout à l’énergie formidable et à la curiosité des jeunes athois et congolais.





