Après plus de 20 ans de négociations, l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) sont parvenus en 2019 à un accord politique sur un traité de libre-échange, qui est maintenant en phase de finalisation. S’il est ratifié, il deviendra l’un des plus importants accords commerciaux au monde. Cependant, cet accord favorable aux multinationales stimulerait le commerce de produits nocifs entre les deux régions, en supprimant la plupart des droits de douanes sur les biens. Cela entraînerait des conséquences désastreuses pour l’environnement, les droits du travail et plus largement les droits humains.
1 Un accord nuisible pour l’environnement
La destruction de l’Amazonie approche dangereusement d’un point de non-retour et risque de devenir une savane sèche, avec des conséquences profondes pour la biodiversité, la séquestration du carbone, les précipitations et les moyens de subsistance des communautés locales. Au cours des quatre dernières années, la déforestation en Amazonie brésilienne a augmenté de 59,5 %. L’accord UE-Mercosur augmenterait la demande pour les principaux facteurs de cette destruction. Il intensifierait par exemple les importations en Europe de bœuf, de soja et d’éthanol produit à partir de la canne à sucre. Les incendies de forêt destinés à « défricher » le sol augmenteraient ainsi parallèlement à l’accroissement de la demande de terres pour l’élevage de bétail et la production de soja. Si l’accord est ratifié, selon une étude gouvernementale, la déforestation dans le Mercosur augmenterait d’au moins 5 % par an au cours des six prochaines années.
Le Brésil et l’Argentine sont également d’importants fournisseurs de minéraux bruts et de ressources énergétiques (tels que le lithium, le fer, l’argent ou le cuivre). L’accord favoriserait ainsi l’exploitation minière et l’extraction de ces ressources naturelles dans la région du Mercosur, un autre facteur de déforestation et de pollution.
Face aux nombreuses critiques et pour tenter de sauver l’accord, la Commission européenne a proposé un protocole environnemental additionnel, mais celui-ci ne propose que des ajustements superficiels et inapplicables.
2 Un accord climaticide
L’accélération de la déforestation en Amazonie menace la capacité de la forêt tropicale à stocker le carbone. Il sera impossible de respecter les objectifs de l’Accord de Paris si le plus grand puits de carbone de la planète est détruit.
Au Brésil, les changements d’affectation des terres dus à l’agro-industrie, y compris la dégradation des forêts, représentent près de la moitié des émissions du pays (49 %). Le méthane libéré par les ruminants, les déchets d’élevage et la riziculture irriguée représentent également 25 % des émissions du Brésil. L’accord UE-Mercosur augmenterait les émissions de gaz à effet de serre liées à ces activités.
L’accord accroîtrait également les émissions liées au transport international. Enfin, il favoriserait les exportations de voitures européennes à moteurs thermiques vers le Mercosur, un véritable non-sens climatique.
3 Un accord toxique pour les humains et la nature
S’il est ratifié, l’accord UE-Mercosur stimulera les exportations de pesticides toxiques de l’Europe vers le Mercosur, qui menacent la santé des populations et la biodiversité. Le Brésil est le plus grand utilisateur de pesticides au monde. L’utilisation de pesticides a été multipliée par six dans le pays au cours des vingt dernières années. Tous les deux jours, une personne y meurt d’un empoisonnement aux pesticides.
En février 2023, le ministère brésilien de l’Agriculture a autorisé ou renouvelé l’autorisation de 42 produits agrochimiques, dont 24 sont interdits d’utilisation dans l’Union européenne. Les fruits et légumes contaminés par les pesticides toxiques sont ensuite exportés et se retrouvent dans les supermarchés européens.
4 Un accord dangereux pour les droits humains et les droits des travailleurs
Par son impact sur la déforestation, l’exploitation minière, l’épandage de pesticides et le dérèglement climatique, l’accord UE-Mercosur menace directement les populations autochtones, les communautés rurales et les travailleurs du Mercosur.
L’exploitation minière à grande échelle et la monoculture extensive conduisent à des accaparements de terre, invasions de territoires autochtones, et attaques violentes. Au Brésil, 909 450 personnes ont été touchées par des conflits ruraux en 2022. L’expansion de l’agro-industrie est également directement liée au travail forcé. Au moins 2 468 travailleurs ont été sauvés du travail forcé au Brésil en 2022. Enfin, l’exposition à des pesticides toxiques augmente les risques de cancer et de maladies.
L’accord UE-Mercosur ne contient aucune norme contraignante en matière de droits sociaux ou, plus largement, de droits humains. Il ne prévoit pas de mesures pour sanctionner ni les violations des droits humains ni celles des normes sociales, et ne contient pas de règles contraignantes sur la responsabilité des entreprises.
5 Un processus antidémocratique
L’accord UE-Mercosur a été négocié dans une totale opacité, sans participation de la société civile ni consultation des communautés locales et des syndicats. Certaines parties du texte n’ont pas été publiées ni traduites dans les langues des pays concernés.
En Europe et dans les pays du Mercosur, les citoyens et organisations de la société civile se sont mobilisés contre l’accord. Il a également fait l’objet de déclarations de rejet par plusieurs parlements (en Autriche, aux Pays-Bas, en Wallonie et au Parlement européen) et a rencontré l’opposition de certains gouvernements nationaux, comme la France et l’Autriche. Pourtant, la Commission européenne tente aujourd’hui de contourner ces oppositions, en scindant la partie commerciale du reste de l’accord d’association. Cela signifie que l’adoption du pilier commercial ne nécessiterait pas le consentement unanime des États membres, ni un passage par les parlements nationaux, contrairement à ce qui avait été décidé au départ: un seul accord, une seule procédure d’approbation
6 Un accord au bénéfice des grandes entreprises
Les accords de libre-échange augmentent la pression concurrentielle et la concentration des entreprises. L’accord UE-Mercosur profitera de manière disproportionnée à l’agro-industrie et aux industries européennes de l’agrochimie et de l’automobile, au détriment des petites et moyennes entreprises, des petits exploitants et des agriculteurs familiaux. Les multinationales européennes telles que Bayer et BASF ont d’ailleurs exercé de fortes pressions sur les pays de l’UE et du Mercosur pour qu’ils adoptent l’accord.
Des études prospectives prédisent des gains économiques très faibles ou négligeables pour tous les pays. L’accord accentuerait la désindustrialisation des pays du Mercosur, les inégalités économiques et la dépendance du Mercosur à l’égard de la demande extérieure. En Argentine, par exemple, 186 000 emplois industriels pourraient disparaître.
L’accord ouvrira également les marchés publics du Mercosur aux entreprises européennes, ce qui limiterait la capacité des gouvernements du Mercosur à soutenir les activités économiques locales et à élaborer des politiques publiques dans l’intérêt des peuples et de l’environnement.
7 Un accord de commerce néocolonial
Depuis le début de la colonisation au 15e siècle, les Européens ont extrait massivement des matières premières d’Amérique latine pour les importer en Europe: minerais, produits agricoles, puis énergies fossiles. Aujourd’hui encore, les relations commerciales entre les deux régions restent asymétriques. La majorité des exportations de l’UE vers le Mercosur sont des produits transformés (produits chimiques, voitures), tandis que les exportations du Mercosur vers l’Europe sont principalement constituées de ressources agricoles et minérales. L’accord conduirait à une spécialisation encore plus importante du Mercosur vers la production de matières premières et de produits de base au détriment de la diversification de son économie.