portrait de Renaud Vivien

Le commerce international favorise l’accaparement des terres

Interview

Avec en ligne de mire ces traités de commerce internationaux qui, comme le TCE ou l’accord UE-Mercosur, nuisent au climat, à la santé, à l’environnement et aux droits humains, le service politique d’Entraide et Fraternité ne ménage pas ses efforts en termes de plaidoyer. Son responsable, Renaud Vivien, dresse les priorités d’action du moment.

Comment s’effectue le choix des thèmes sur lesquels travaille le service politique ?

Nous nous inscrivons dans le cadre stratégique à cinq ans d’Entraide et Fraternité. Nous avons choisi de travailler sur l’accès aux ressources, en priorisant l’accès à la terre. Nous voulons montrer les obstacles à l’accès à la terre. Parmi ces obstacles, il y a le commerce international tel qu’il fonctionne aujourd’hui, sans devoir de vigilance des entreprises, qui favorise l’accaparement des terres. Tout ce qui est considéré comme un obstacle au commerce est proscrit par les accords de libre-échange. Pour que l’agroécologie soit une vraie alternative, il faut s’attaquer au cadre global.

Travailler sur les traités qui lient l’Europe, la Belgique, c’est aussi le levier que l’on a en tant qu’ONG ou que citoyen et citoyenne belge ?

Exactement. Nous n’expliquons pas aux partenaires des pays du Sud comment faire de l’agroécologie mais nous nous attaquons, au départ du Nord, à ce qui empêche les populations de définir leur politique alimentaire. On peut donc espérer faire levier sur les pouvoirs publics qui doivent ratifier ces accords de libre-échange comme l’accord UE-Mercosur ou dénoncer les entreprises belges qui sont impliquées dans des accaparements de terres dans ces pays. Et puis, on souligne aussi les conséquences négatives de ces accords pour nos agriculteurs et agricultrices à nous. Idem, par exemple, avec la campagne ‘Stop pesticides’ à laquelle nous avons participé mais en la déclinant au travers du prisme des échanges internationaux et en dénonçant leur usage dans le cadre de l’accord UE-Mercosur (lire page 4).

Qu’un traité comme le TCE (Traité sur la Charte de l’énergie) doive être ratifié par les 27 États de l’UE et toutes les entités fédérées belges, n’est-ce pas décourageant quand on veut s’y opposer ?

Non, justement, car c’est la démonstration que notre démocratie a toujours son mot à dire sur ces accords de commerce malgré les tentatives de la Commission européenne de contourner la ratification des traités par les Parlements nationaux. C’est plutôt positif et cela permet de bloquer (partiellement) un texte si l’on convainc un seul de nos Parlements de la nocivité de l’accord. Avec d’autres ONG, nous avons ainsi appelé récemment le Parlement bruxellois à ne pas ratifier l’accord commercial entre l’Union européenne et la Colombie, le Pérou et l’Équateur. Dans le cas du TCE, on voit une ouverture assez importante. Il y a un effet domino européen : sept États membres se sont prononcés pour une sortie du TCE, suivis par le Parlement et la Commission. C’est notre travail de plaidoyer, avec notamment le CNCD-11.11.11, qui a convaincu plusieurs députés et députées mais aussi les gouvernements wallon et bruxellois que la version revue du TCE n’était pas satisfaisante et qu’il fallait sortir de ce Traité. Pour l’instant, les libéraux bloquent : ils sont dans un déni de réalité alors que, dans tous les cas de figure proposés aujourd’hui par la Commission européenne, la sortie est inévitable.

Quid de l’accord UE-Mercosur au premier plan de de la campagne Brésil ?

C’est notre grande priorité : cet accord risque d’être signé en juillet lors d’un sommet euro-sudaméricain. Il y a un déni démocratique : par exemple, le CETA (ndlr : accord avec le Canada), qui n’a pas été ratifié par tous les pays, s’impose tout de même de manière provisoire aux pays qui ne l’ont pas encore ratifié. Nous mettons en avant auprès du MR la concurrence déloyale pour les agriculteurs et agricultrices belges. Les pays du Mercosur n’ont pas les mêmes normes sociales, environnementales, sanitaires qu’en Europe : ils produisent à moindre coût des produits de moins bonne qualité, traités avec des hormones ou des pesticides. C’est incohérent d’imposer des normes à nos agriculteurs et agricultrices pour favoriser la concurrence de produits qui n’y répondent pas. Enfin, cet accord accélère la déforestation et donc le réchauffement climatique : il favorise le commerce mais ni l’environnement ni les droits humains.

Parmi les obstacles sur lesquels vous travaillez, il y a aussi la question de la dette des pays du Sud…

La dette empêche ces pays de mener des politiques sociales. On l’a montré dans l’ouvrage Économies du Sud : toujours sous conditions néolibérales ? publié l’an passé avec le Centre tricontinental : les conditions du FMI (Fonds monétaire international) et de la Banque mondiale vont à l’encontre de la souveraineté alimentaire. Ces institutions préconisent des déréglementations, des suppressions de subventions pour des produits alimentaires de première nécessité… Nous sommes fiers d’annoncer qu’Entraide et Fraternité a corédigé une proposition de loi PS pour faire en sorte que le secteur privé financier participe à l’allègement de la dette des pays du Sud. Jusqu’ici, seuls les États allègent les dettes, pas les banques. Plusieurs banques belges ont prêté de l’argent à des pays surendettés et à des taux excessifs. Nous travaillons à élargir le nombre de partis susceptibles de soutenir ce texte.

À quand le devoir de vigilance ?

« Il faut une loi belge sur le devoir de vigilance des entreprises », dit Renaud Vivien. Entraide et Fraternité l’a rappelé au travers des cas des entreprises belges SIAT (caoutchouc et huile de palme en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Nigeria) et Plantation et huileries du Congo (PHC)/Feronia (huile de palme en RD Congo) accusées de violations des droits humains et d’accaparements de terres. Suite à un communiqué publié en juin 2022 par 30 organisations internationales, Feronia a menacé les deux signataires belges, Entraide et Fraternité et FIAN Belgium, d’une plainte en diffamation. Après examen des arguments de PHC, les deux associations ont décidé de ne pas se laisser intimider : elles ont confirmé en mars leur position commune mettant en cause les agissements de l’entreprise PHC (Plantations et huileries du Congo) et leurs impacts sur les droits humains des communautés locales. L’outil d’investissement de l’État belge, la banque BIO, s’est désengagée de PHC alors que nous avons aussi dénoncé le financement par BIO de Tozzi Green, accusée d’accaparements de terres à Madagascar. Le contrat de gestion liant BIO à l’État est en cours de renégociation et les plus récents ministres de la Coopération ont fait part de leur désaccord avec la vision de BIO.

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