« Nouvelles techniques génomiques » : des OGM dans nos assiettes ?
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Un peu d’histoire
Depuis le néolithique, les humains ont domestiqué leur environnement : ils ont choisi des plantes, ont récupéré des graines, les ont semées, ont sélectionné celles qui étaient les plus productives, les plus savoureuses ou résistantes, en ont récupéré les semences pour la saison suivante, etc. Les variétés cultivées se sont ainsi petit à petit distinguées de leur variété Sauvage . Ce sont ces semences qu’on appelle les semences paysannes, celles qui sont prélevées sur les récoltes chaque année, échangées entre agriculteurs et agricultrices et ressemées l’année suivante, et ce sur plusieurs générations.
Elles favorisent la biodiversité, l’adaptation et la résilience face aux modifications de l’environnement. Les changements des gènes de ces plantes sont lents, ils s’étendent sur plusieurs générations. Depuis des siècles également, des modifications ont lieu par croisements, entre deux végétaux proches, qui portent alors des caractéristiques des deux plantes parents.
Beaucoup plus récemment, grâce à l’avancée des connaissances sur l’ADN, de nombreuses autres modifications réalisées par l’humain, beaucoup plus complexes, ont pu avoir lieu. Ainsi depuis le milieu du siècle dernier, les scientifiques sont capables de découper des séquences d’ADN, de les modifier, d’y incorporer de nouveaux gènes… Ces découvertes ont permis d’importantes avancées, dans le domaine médical notamment.
On parle d’OGM quand le matériel génétique d’un organisme a été modifié artificiellement, par intervention humaine.
Pourquoi modifier des végétaux ?
Les modifications effectuées sur l’ADN des végétaux peuvent avoir différents objectifs. Quelques exemples liés à l’alimentation 1 Découvrez les 8 avantages des OGM, Futura-Sciences. :
- Augmenter la productivité des cultures. Une variété de riz a par exemple été développée pour produire davantage de grains ;
- Rendre les plantes résistantes à certains insectes, en insérant un insecticide dans les gènes de la plante ;
- Rendre les plantes résistantes à des herbicides, permettant ainsi de répandre massivement des pesticides sur les cultures en s’assurant que seules les plantes souhaitées y survivent ;
- Transformer les propriétés nutritionnelles de certains aliments : réduire par exemple la quantité d’une molécule considérée comme cancérigène dans la pomme de terre, ou augmenter la teneur en vitamine A dans le riz ;
- Rendre les plantes résistantes aux dérèglements climatiques, en créant des semences qui résistent aux sécheresses ou à la hausse des températures ;
- Réduire le gaspillage alimentaire en créant des aliments qui durent plus longtemps : des pommes qui ne brunissent plus, des bananes qui murissent à retardement…
Sans entrer dans le débat éthique de la modification du vivant, certaines de ces modifications peuvent sembler intéressantes, bénéfiques. Cependant, dans la pratique, les firmes développant les OGM se sont jusqu’à présent surtout concentrées sur le développement de plantes résistantes aux pesticides et aux insecticides. Ce qui n’est pas surprenant lorsque l’on sait que les grandes sociétés productrices de semences OGM (Bayer-Monsanto ou Syngenta notamment) sont les mêmes que celles qui produisent les pesticides, leur permettant ainsi de doper leurs ventes puisque l’un ne va alors pas sans l’autre. Ainsi, au Canada, 100% des OGM utilisés tolèrent des herbicides 2Faut-il craindre les nouveaux OGM? – L ‘épicerie
Que sont les « nouvelles techniques génomiques » ?
Ces dernières années, de nouvelles techniques de modifications du génome ont vu le jour. Elles permettent de modifier l’ADN de façon plus ciblée, plus précise et plus rapide. Si les résultats de ces modifications sont bels et biens des OGM, les firmes qui les créent préfèrent leur donner un nouveau nom, les NTG, tant l’appellation « OGM » a mauvaise presse. Les intérêts de ces NTG sont semblables à ceux listés pour les OGM, avec des possibilités encore plus variées grâce aux performances et à la précision de ces nouvelles techniques.
La différence entre OGM et NTG se situe dans la technique utilisée pour transformer les gènes.
Les OGM qu’on pourrait appeler « de première génération » sont obtenus le plus souvent par transgenèse – introduction dans le génome d’un gène issu d’une autre espèce
Les NTG sont modifiés par mutagénèse ciblée – transformation du gène en créant une mutation à un endroit précis – ou par cisgenèse – introduction d’un gène issu d’une même espèce ou d’une espèce proche. Les techniques de modification des NTG sont bien plus précises que celles des OGM 3 Nouvelles techniques génomiques dans le domaine de la sélection végétale – Consilium Pour autant, des effets hors-cible, c’est-à-dire non-intentionnels, ne sont pas à exclure.
Comment sont régulés les OGM en Europe ?
Jusqu’à présent, ces OGM de deuxième génération tombaient sous le coup de la législation sur les OGM de 2001 4 Directive 2001/18/CE . Sous cette directive européenne, les OGM doivent nécessairement subir une batterie de tests. Avant de pouvoir être commercialisés et utilisés, ils sous soumis à une évaluation des risques, doivent être traçables et, lorsqu’ils sont autorisés à entrer sur le marché, ils sont obligatoirement étiquetés comme tels sur leur emballage. Aujourd’hui dans l’Union européenne, seules quelques variétés d’OGM destinées à l’alimentation sont cultivées, en Espagne et au Portugal. Nous importons en Europe également des produits OGM, comme du soja qui sert à nourrir les animaux d’élevage 5 OGM et législation – Généralités | SPF Santé publique .
En juillet 2023, la Commission (poussée dans le dos par les lobbys de l’agrochimie) a déposé un nouveau texte sur la régulation des NTG. L’objectif est de faciliter leur accès au marché, en supprimant une série de contraintes en vigueur. L’évaluation des risques, l’étiquetage, l’obligation de traçabilité ne seraient dorénavant plus exigés. Les OGM de première génération restent quant à eux soumis à la directive de 2001.
L’argument principal avancé par la Commission pour une telle dérégulation est que les NTG représentent un pas en avant vers une transition pour un système agricole plus durable et peuvent contribuer à la souveraineté alimentaire de l’Union européenne. Cependant, ces arguments étaient déjà ceux en faveur des OGM de première génération, qui n’ont pourtant jamais tenu leurs promesses.
La nouvelle législation
Dans le texte proposé par la Commission, les NTG sont divisés en deux catégories. Les NTG1 sont ceux qui auraient pu théoriquement être obtenus par sélection conventionnelle, qui ont subi moins de 20 modifications, et qui seraient alors exemptés de toute évaluation des risques, de traçabilité et d’étiquetage. Les NGT2 regroupent les NGT restants et seraient, eux, traités comme des OGM, soumis à la législation de 2001.
Proposé il y a plus d’un an, le texte a fait l’objet de très nombreuses discussions entre les 27 États membres au Conseil. Tandis que certains pays étaient en faveur d’une libéralisation totale des NTG, d’autres souhaitaient que le texte contienne des précautions en termes d’étiquetage, de traçabilité… Plus que tout le reste, c’est la question de la propriété intellectuelle de ces OGM qui a été longtemps débattue 6 Voir ci-dessous, l’accès aux semences .
Le texte a également été voté au Parlement, avec quelques protections supplémentaires. Des réunions entre le Conseil, le Parlement et la Commission, vont maintenant avoir lieu, afin de mettre tout le monde d’accord sur un même texte.
Une technique risquée
Si ces nouvelles techniques génomiques sont l’objet de tant de débats politiques et de réticences du côté de la société civile, c’est qu’elles comportent des risques qu’il serait dangereux de négliger. On peut notamment souligner
Des risques pour l’environnement et la biodiversité

Si les utilisations vantées par les développeurs de semences OGM peuvent sembler intéressantes, il reste qu’à ce jour, 88% des OGM dans le monde ont pour but de créer des variétés tolérantes aux pesticides comme le glyphosate 7 Impact Santé | Vigilance OGM . Avec l’usage des OGM, c’est donc aussi l’usage des pesticides qui monte en flèche. Cette utilisation massive de pesticides a un impact sérieux sur la santé et sur l’environnement (dégradation des sols, pollution de l’air, pollution de l’eau, etc.).
Un autre danger se situe dans la rencontre entre les plantes OGM et les variétés « sauvages ». Les plantes OGM, une fois sorties du laboratoire, peuvent se croiser avec d’autres variétés naturelles et leur transmettre à leur tour ces caractéristiques modifiées, représentant alors un risque pour la survie de la variété indigène, et plus généralement, pour l’équilibre de l’écosystème 8 Les organismes génétiquement modifiés (OGM) | Ministères Aménagement du territoire Transition écologique .
Les plantes qui ont été modifiées pour produire des insecticides tuent les insectes visés mais pas uniquement : d’autres insectes polinisateurs, non-nuisibles pour la plante, peuvent également y être sensibles et en pâtir. Et si certains insectes y répondent en développant une résistance à l’insecticide en question, d’autres disparaissent, laissant un vide dans l’équilibre de l’écosystème.
Enfin, les semences NTG, produites par les firmes agro-industrielles, favorisent un modèle agricole basé sur les grandes surfaces de monocultures, représentant également un risque pour la biodiversité et l’érosion des sols.
L’accès aux semences
Les plantes obtenues grâce aux nouvelles techniques génomiques pourraient faire l’objet de brevet. Cela signifie alors qu’il est interdit de conserver une partie de la récolte pour la semer l’année d’après et interdit également d’en échanger des semences entre agriculteurs/agricultrices.
Aujourd’hui, quatre firmes (Bayer-Monsanto, Corteva, Syngenta et BASF), regroupées sous le nom des « big four », (« les quatre grands ») concentrent la grande majorité des brevets sur les semences, représentant un oligopole dangereux pour l’accès à celles-ci pour les agriculteurs et agricultrices. En instaurant des brevets sur le vivant, ces entreprises privatisent l’usage des semences et décident de leur prix. Contrairement aux semences paysannes, ces firmes encouragent la standardisation et la monoculture, contre la diversité génétique, ce qui représente un danger pour notre sécurité alimentaire. Un bien commun mondial devient alors la propriété exclusive de quelques grandes agro-industries. Rappelons encore que ces mêmes firmes sont également les plus grandes productrices de pesticides 9 La dangereuse concentration du marché | Public Eye .
Aux États-Unis, les dérives liées aux brevets sur les semences sont déjà observables : Monsanto procède à des inspections sur les champs pour vérifier quelles semences ont été utilisées. Si des traces de semences Monsanto y sont retrouvées et que l’agriculteur ou l’agricultrice ne peut pas prouver l’achat de ces semences cette année-là, il ou elle se voit alors infliger une “amende”. Et ce même si la semence s’est retrouvée là par l’action du vent ou d’un animal, qui contribuent pourtant naturellement à la dissémination des graines. Les agriculteurs et agricultrices n’ayant pas les moyens de risquer une amende, ils et elles se tournent souvent vers les semences Monsanto, afin d’éviter de potentiels problèmes.
Certains cas sont ainsi bien connus :
- En 2004, un agriculteur canadien est condamné à payer plusieurs milliers d’euros à Monsanto pour avoir récupéré des semences de plantes Monsanto arrivées sur son champ. L’agriculteur maintient pourtant ne jamais les avoir plantées 10 Percy Schmeiser vs Monsanto | Vigilance OGM .
- En 2013, un agriculteur est condamné à payer 85 000 dollars à Monsanto pour avoir récupéré des graines de sa récolte pour les ressemer l’année suivante, sans en avoir acheté des nouvelles. 11 Brevets : Monsanto gagne son procès contre un fermier
Dans certaines semences nouvellement développées, un gène a directement été ajouté afin de s’assurer que la plante ne produise pas de graines qui pourraient être ressemées l’année d’après, obligeant ainsi automatiquement les agriculteurs et agricultrices à en racheter chaque année 12 La petite histoire des OGM | ECHOSCIENCES – Occitanie
La question des brevets est le principal point qui a bloqué pendant des mois le nouveau texte de loi au Conseil de l’UE. Les décideurs et décideuses européen·nes sont bien conscient·es du risque d’accaparement des semences qui existe en déréglementant les OGM, mais ils et elles souhaitent tout de même avancer avec ces nouvelles technologies.
Des risques sur la santé ?
Il n’a à ce jour pas été prouvé que les OGM représentent un danger pour la santé humaine. Si certains y voient la preuve de la non-nocivité des OGM, d’autres mettent plutôt en avant le fait que très peu d’études indépendantes ont été réalisées sur le sujet, ne permettant ni de prouver leur nocivité, ni l’absence de dangers.
Liberté des consommateurs et consommatrices
Si les risques sur la santé ne sont pas prouvés, on pourrait se dire que revient à chacun·e la décision d’en consommer ou non. Cela ne sera pourtant pas possible avec le texte tel qu’il a été voté au Conseil. En effet, les nouveaux OGM ne seraient pas soumis à un étiquetage obligatoire. Impossible donc pour les citoyen·nes de savoir s’ils et elles en consomment ou non.
Feu vert de la Belgique
La Belgique est une habituée de l’abstention sur les matières agricoles au Conseil 13 La Belgique dispose d une seule voix au Conseil. Sur les matières régionalisées, le vote doit faire l objet d un consensus entre les différentes régions. Or, il arrive régulièrement que la Flandre et la Wallonie présentent des positions opposées, notamment en raison de la différence de composition des gouvernements et de la structure différente de leur agriculture : plus industrielle et intensive au Nord, plus diversifiée et plus écologique au Sud. .Ici le dossier est d’autant plus complexe qu’il concerne à la fois l’environnement, l’agriculture, la santé, l’économie… Si la Belgique n’a effectivement pas eu de position pendant plusieurs mois, le gouvernement Arizona s’est clairement prononcé en faveur d’une réglementation plus favorable aux OGM. Le point était même inscrit dans l’accord de gouvernement.
Le vote favorable de la Belgique au Conseil a permis d’obtenir une majorité et de faire valider le texte de loi, qui peut alors passer à l’étape suivante, le dialogue entre les différentes institutions.
En guise de conclusion…
Les nouvelles techniques génomiques sont accompagnées de leur lot de promesses, mais l’expérience laisse présager que c’est surtout l’usage des pesticides et le profit des entreprises qui les produisent qui augmenteront si la nouvelle réglementation vient à passer. De plus, des semences créées dans un laboratoire d’un côté de la planète ne représentent pas une solution durable pour des contextes locaux. L’agroécologie, qui met en avant les savoirs paysans et l’utilisation de semences locales, reste un outil beaucoup plus puissant face aux dérèglements climatiques.
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