Un paysan malgache laboure son champs avec outil manuel

Plainte devant l’OCDE contre Tozzi Green

Des associations déposent plainte contre la société italienne JTF Tozzi Green pour ses activités menées à Madagascar avec le soutien de la coopération belge et finlandaise au développement.

Le 13 octobre 2023, trois ONG et collectifs malgache, italien et français ont porté plainte contre l’entreprise italienne JTF Tozzi Green pour ses activités agro-industrielles à Madagascar. La plainte a été déposée devant le Point de contact italien de l’OCDE, pays où se trouve le siège de la multinationale. Il s’agit de la première plainte portant sur un cas d’accaparement de terre dans un pays du Sud. Les Etats belge et finlandais sont également concernés puisqu’ils financent Tozzi Green, à travers leurs banques publiques de développement.

Résumé de la plainte devant le Point de contact italien de l’OCDE :

Qui est Tozzi Green, l’entreprise poursuivie ?

La société italienne spécialisée en énergie renouvelable Tozzi Green exploite deux plantations à grande échelle via sa filiale JTF Madagascar (Jatropha Technology Farm Madagascar). Le premier bail date de 2012 et concerne près de 7 000 hectares de terres dans deux communes de la région d’Ihorombe, dans le centre-sud de Madagascar. Cette surface était initialement destinée à la culture de jatropha curcas, une plante utilisée pour produire des agrocarburants. Cette plantation n’ayant pas donné les résultats escomptés, JTF l’a remplacée par la culture du maïs à destination de producteurs de nourriture pour volailles dans l’île. Le deuxième bail de près de 4 000 hectares a été signé en 2018. Empiétant sur les terres d’une troisième commune, il vise à étendre les plantations de maïs mais aussi à cultiver du géranium, dont les feuilles et les tiges sont transformées localement par JTF en huile essentielle, qui est ensuite exportée à l’international.

Pour financer son activité, JTF Madagascar bénéficie en 2019 de prêts de 7,5 millions d’euros accordés par deux banques de développement détenues par des États, la finlandaise FINNFUND et la belge BIO, sensées encourager le développement local, la sécurité alimentaire et respecter les droits humains et l’environnement. S’agissant du prêt de BIO, le montant original de 3,75 millions d’euros aurait été revu à la baisse et réduit à 2,85 millions d’euros d’un commun accord avec JTF-Tozzi Green.

Une multinationale contestée à Madagascar, en Belgique et en Italie

Depuis plus de dix ans, les communautés locales protestent contre les concessions (les deux baux signés entre JTF et l’État) et en particulier contre l’absence de participation, d’information et d’indemnisation adéquates des communautés locales. Plus récemment, l’ONG belge Entraide et Fraternité (partenaire du BIMTT, l’un des trois plaignants) a recueilli des témoignages et des données lors d’une visite dans la région en avril 2022. En septembre 2022, le Collectif TANY (autre plaignant) a commandé une mission d’enquête au cours de laquelle plusieurs entretiens ont été réalisés avec les communautés et les autorités locales, et où une interaction a eu lieu avec la direction de JTF. Au cours des deux dernières années, ce dossier a été mis en avant en Belgique, où des ONG et des députés belges ont remis en question l’implication de BIO dans le projet à la lumière des implications des concessions sur les droits fondamentaux tels que le droit à l’alimentation, le droit à un environnement sain et le droit à l’eau.

Quels sont les griefs au cœur de la plainte ?

Nous résumons ici principaux points soulevés par les habitants d’Ihorombe et communiqués à JTF, à l’État malgache et aux bailleurs de fonds européens à de multiples reprises. Ces différents griefs sont repris dans la plainte déposée devant le Point de contact national de l’OCDE en Italie (siège de Tozzi Green).

-Les activités de Tozzi Green contribuent à aggraver la sécurité alimentaire des habitants de la région Ihorombe, du fait du détournement de l’eau nécessaire aux rizières par les motopompes de l’entreprise mais aussi par ce que les produits cultivés par l’entreprise sont soit destinés à l’exportation (huiles essentielles extraites du géranium) soit à l’alimentation animale (maïs), et non pour les aliments de base qui peuvent nourrir directement la population locale dans un pays, qui est déjà confronté à une grave crise alimentaire. Ajoutons que la source de revenus principale de la population locale est l’élevage, particulièrement mis à mal par les activités agro-industrielles de Tozzi Green qui portent sur de très grandes portions de terre utilisées auparavant par la population comme zones de pâturage.

-Alors que des lois malgaches de 2005 reconnaissaient les droits coutumiers des occupants des terres, les communautés affirment que les promoteurs du projet n’ont pas respecté les droits fonciers des habitants et leur ont fait croire que les terres dont les propriétaires n’avaient pas de titre foncier appartenaient à l’Etat.

-La consultation des riverains a été caractérisée par une série de lacunes tant en 2012 qu’en 2018. Les consultations n’ont concerné que des groupes restreints, souvent constitués du maire et des chefs de fokontany (le fokontany est la plus petite unité administrative de Madagascar), soit l’équivalent d’un ou de quelques hameaux. Les habitants d’un hameau ayant refusé de céder leurs terres se souviennent que la compagnie a labouré toutes les terres autour de leurs maisons et de leurs champs, si bien qu’ils ont fini par partir sous la pression.

– En outre, l’entreprise a imposé des pénalités financières exorbitantes lorsque des zébus pénétraient dans les plantations de jatropha. La plupart des membres des communautés étant des éleveurs de zébus, les habitants ont été contraints de s’éloigner des plantations ou d’abandonner leur activité. C’est ce que les communautés d’Ihorombe appellent des « expulsions forcées » dans les lettres de plainte qu’elles ont adressées aux autorités publiques et aux partenaires internationaux.

– Certains habitants de Satrokala et d’Andiolava, les deux communes concernées par le premier contrat de location, ont déclaré qu’ils avaient accepté de donner des terres parce que l’entreprise avait promis de fournir des emplois aux jeunes et de construire des infrastructures dans leur fokontany. Mais la compagnie n’ayant pas tenu ses promesses, ils regrettent d’avoir agi ainsi, car les infrastructures n’ont été construites que dans les chefs-lieux de commune et seuls des emplois précaires, saisonniers et journaliers, ont été offerts aux jeunes des communautés locales.

– Selon des témoignages recueillis lors de précédentes missions d’enquête, plusieurs personnes qui n’ont pas accepté le projet Tozzi Green ont été menacées par les autorités locales et nationales et ont subi des pressions. Par exemple, Ambatolahy est la troisième commune concernée par le deuxième contrat de bail. Son maire a toujours résisté au projet Tozzi Green, mais a finalement accepté de céder le terrain en 2018. L’opposition des citoyens n’a donc pas été prise en compte et le projet a avancé sans le soutien et le consentement adéquats.

– Pendant les premières années de culture du maïs, les politiques de l’entreprise interdisaient aux résidents locaux de ramasser les graines tombées au sol une fois le maïs récolté mécaniquement, puis finalement lesont autorisésà les ramasser, mais pas à les conserver. Ils doivent les vendre à l’entreprise à un prix dérisoire par rapport au prix du maïs sur le marché local, sous peine d’être accusés de vol.

Les communautés se demandent également si les méthodes de production de JTF utilisent des pesticides non autorisés en Europe et/ou présentant des risques élevés pour la santé et l’écosystème. Ce point a fait l’objet d’une question parlementaire posée par une députée belge à la Ministre de la Coopération au développement, qui a confirmé dans sa réponse le bien-fondé des craintes.

– En février 2023, l’entreprise a informé les communautés qu’elle avait restitué 3 500 ha de terres parce que le maïs n’y poussait pas bien. Les communautés ont fait remarquer qu’elles n’avaient aucune preuve écrite de cette information et que, même si c’était le cas, les terres n’avaient pas été restituées aux communautés locales, mais à l’État, qui les avait titrées en son nom avant de les louer à l’entreprise.

Compte tenu de ces éléments, 3 ONG et collectifs malgache, italien et français (Collectif TANY, BIMTT et ActionAid Italie) ont saisi lePoint de contact national (PCN) italien,estimant que les pratiques de TozziGreen ne respectent pas les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales. En particulier, Tozzi Greena :

  • violé les règles internationalessur la participation libre, préalable et informée des communautés locales ;
  • manqué à son obligation de transparence, d’information appropriée et de participation adéquate avant et pendant la mise en œuvre du projet, provoquant des tensions sociales, des attentes non satisfaites et un traitement inéquitable ;
  • violé de nombreux droits humains des communautés touchées par les activités agroalimentaires, avec des effets temporaires et permanents sur les personnes, les moyens de subsistance et l’environnement ;
  • provoqué une diminution significative du nombre de zébus en raison du manque d’accès à de vastes zones de pâturage ;
  • aggravé l’insécurité alimentaire des habitants en raison de l’assèchement des rizières et du détournement de l’eau nécessaire aux rizières par les motopompes ;
  • d’une manière générale, rendu la vie des communautés encore plus difficile.

Que demandent les plaignants ?

Ils demandent au Point de contact italien (PCN) de l’OCDE de prendre les mesures nécessaires relatives au respect des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales.

En recourant aux services de médiation de l’OCDE, leur but est que Tozzi Green :

  1. cesse ses activités et quitte la région d’Ihorombe, en restituant les terres accaparées aux communautés locales par le biais d’un processus transparent, efficace et participatif ;
  2. verse aux membres des communes et fokontany affectés, dont les terres ont été occupées et accaparées, des compensations pour les dommages subis et queces montants soient utilisés pour promouvoir des projets communautaires.

Contacts

À Madagascar et en France

Collectif pour la défense des terresmalgaches – TANY : mamyrakoton@gmail.com.

En Belgique

Entraide et Fraternité : Renaud Vivien, Renaud.vivien@entraide.be,  0497 04 79 99

Legal Clinic UAntwerpen : Tomaso Ferrando, Tomaso.Ferrando@uantwerpen.be

En Italie

Action Aid : Cristiano.maugeri@actionaid.org et ufficiostampa@actionaid.org, +39 02 742001

Studio Legale Saltalamacchia (Napoli) : studiolegalesaltalamacchia@gmail.com

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# Accaparement de terres # BIMTT # Tozzi Green