Séville 2025 : grande conférence, petits engagements
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Résumé
3,3 milliards de personnes vivent dans des pays dont le poids du remboursement de la dette entrave les investissements en santé et en éducation.
À la suite du pape François, le pape Léon XIV a réitéré le caractère prioritaire de l’annulation de la dette à l’occasion du Jubilé 2025, et surtout de la prise en compte de la dette écologique « contractée » par les pays du Nord vis-à-vis de ceux du Sud.
À Séville, début juillet, les Nations unies ont organisé leur 4e sommet pour le financement du développement : sans surprise, il n’a pas été traduit par des mesures spectaculaires.
Il faut dire que ce sommet s’est tenu dans un contexte d’importante fragilisation de la Coopération sous le coup des attaques des partis de droite et d’extrême droite, et d’attaques contre le multilatéralisme. Celles-ci ont justifié l’attentisme des pays riches en l’absence des USA de Trump.
Dans le cadre de la crise de la dette des pays du Sud, l’Union européenne a entravé la mise en place d’une convention internationale qui aurait pu permettre des avancées plus que symboliques.
Pour la société civile belge, il est plus que jamais nécessaire de préserver les investissements dans la Coopération, attaqués par les partis populistes, et de maintenir, comme l’engagement en a été pris à Séville, le cap des 0,7% du PIB dédiés à l’aide publique au développement (APD).
Cette difficulté à atteindre ces objectifs contraste avec l’engagement pris par les pays de l’Otan à La Haye d’atteindre les 5% consacrés aux dépenses de défense.
Pas de recul au Vatican
En décédant le lendemain de Pâques, le pape François a donné un tour symbolique encore plus fort à son pontificat. Malheureusement pour lui, le pape argentin n’aura pu aller au bout du Jubilé de l’Espérance qu’il avait décrété pour 2025, ni même célébrer le dixième anniversaire de ce qui restera comme le texte le plus emblématique de son règne, l’encyclique Laudato Si’, pierre angulaire de la doctrine sociale de l’Église étendue aux préoccupations climatiques et environnementales.
Reprenant la tradition jubilaire d’annulation des dettes1voir notamment Jean-Claude Brau et Jean-François Lauwens « Jubilé 2025 – en finir avec la dette ? », analyse, Entraide et Fraternité, 2025., le Pape François a relancé, dans la bulle d’indiction du Jubilé 20252Spes non confundit, Bulle d’indiction du Jubilé 2025, 9 mai 2024, l’appel à l’annulation des dettes pour les pays les plus pauvres, appelant à une nouvelle architecture financière internationale globale qui reconnaisse le crédit écologique dû aux pays en développement.
Comme évoqué lors d’une analyse précédente3Jean-François Lauwens, « François, pape de gauche ? Contresens ou évidence », analyse Entraide et Fraternité, mai 2025, la succession de François promettait d’être le lieu d’un conflit géopolitique et idéologique à l’heure d’un raidissement des positions archi-conservatrices dans de nombreux pays. Pourtant, à l’arrivée, il n’en a rien paru : le cardinal américain Francis Prevost est arrivé comme un gage de consensus – entre Nord et Sud, entre modernité et tradition, entre progressisme et conservatisme, entre Curie romaine et sens de la mission au cœur des périphéries. Son choix du patronyme, Léon XIV, l’a immédiatement placé dans le sillage de la doctrine sociale de l’Église : « J’ai choisi de prendre le nom de Léon XIV principalement parce que le pape Léon XIII, dans sa célèbre encyclique Rerum Novarum, a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle. De nos jours, l’Église offre à chacun le trésor de son enseignement social en réponse à une nouvelle révolution industrielle et aux évolutions dans le domaine de l’intelligence artificielle, qui posent de nouveaux défis pour la défense de la dignité humaine, de la justice et du travail.4Myriam Sandouno, « Pape Léon XIV : l’Église offre à tous l’héritage de la doctrine sociale », Vatican News, 10 mai 2025»
Restait à voir si Léon XIV serait également sur la même longueur d’ondes que François quant à l’écologie et à la dette. Là aussi, il n’a pas fallu longtemps pour être rassuré, même si nombre de vaticanistes considèrent qu’il existe encore un flou autour de sa vision5Sarah Beleouzzane, « Léon XIV revient à un style de papauté plus traditionnel sans se dévoiler : « A ce stade, personne ne connaît vraiment sa vision », Le Monde, 6 juillet 2025. C’est au Brésil6Symbole important quand on sait que la COP30 se tiendra en novembre 2025 à Belém en Amazonie et que le pape François a signé l’exhortation apostolique Querida Amazonia. qu’il a réservé sa première confirmation sur le sujet. Le 20 mai dernier, dans un message vidéo adressé aux recteurs réunis à l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro : « En préparation de la COP30, vous réfléchirez ensemble à une possible remise de la dette publique et de la dette écologique, proposition que le pape François avait suggérée. Et en cette année jubilaire, année d’espérance, ce message est si important. Je voudrais vous encourager, vous les recteurs d’université, dans cette mission que vous avez assumée : être des bâtisseurs de ponts, œuvrant pour la justice écologique, sociale et environnementale. Je vous encourage à continuer à construire des ponts.7Message vidéo du pape Léon XIV à l’occasion de la rencontre des universités à Rio de Janeiro, 20 mai 2025 »
Dans la foulée, le Dicastère pour le Développement humain intégral a publié une note réaffirmant le lien entre dette financière et dette écologique et « appelant à une nouvelle architecture financière internationale globale qui reconnaisse le crédit écologique dû aux pays en développement8« Jubilé 2025 : annulation de la dette écologique », Dicastère pour le Développement humain intégrale, 24 juin 2025. »
Qu’est-ce que la dette écologique ?
Le Dicastère (« ministère » au Vatican) pour le Développement humain intégral résume assez bien l’enjeu dans la note citée ci-dessus : « La crise de la dette qui touche aujourd’hui la plupart des pays en développement trouve son origine dans l’héritage du colonialisme. Après avoir accédé à l’indépendance au cours du XXe siècle, de nombreux États se sont retrouvés confrontés à d’anciennes dettes et ont dû recourir à de nouveaux emprunts pour garantir les services essentiels et les infrastructures de base. Cette situation a engendré une dépendance chronique à l’égard des grandes institutions financières internationales, alimentant ce que l’on appelle le piège de la dette : un cercle vicieux dans lequel le remboursement des intérêts draine des ressources publiques vitales, au détriment du financement des services de base tels que la santé et l’éducation, entravant toute possibilité réelle de développement autonome.
Parallèlement, une ’dette écologique’ complexe et difficile à quantifier s’est accumulée. Les responsabilités des États dans le réchauffement climatique sont différentes, notamment en ce qui concerne leurs émissions historiques, qui varient considérablement d’un pays à l’autre et d’un groupe de pays à l’autre. Près de 80% des émissions historiques cumulées dues aux combustibles fossiles et au changement d’affectation des sols proviennent des pays du G20, les contributions les plus importantes étant celles de la Chine, des États-Unis d’Amérique et de l’Union européenne, tandis que les pays les moins industrialisés ont contribué à hauteur de 4%. »
« Il y a, en effet, une vraie “ dette écologique ”, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays » (Laudato Si’, 51).
Objectif « ambitieux » depuis… 55 ans
Hasard du calendrier : c’est alors que le financement de l’APD (Aide publique au développement) est fortement remis en question par les leaders populistes (aux États-Unis certes mais, aussi en France à hauteur de 33% et chez nous avec l’annonce par le gouvernement belge de 25% d’économies dans la Coopération au développement, représentant une coupe de 106 millions d’euros dès 2025), que s’est tenu à Séville (30 juin-3 juillet), le sommet dit FfD4, soit la 4e Conférence internationale pour le financement du développement, organisée par les Nations unies.
À tort probablement quand on connaît la lourdeur de ces conférences onusiennes, nombre d’acteurs de la société civile avaient mis beaucoup d’espoir dans cet événement vu la gravité de la crise de la dette souveraine et celle des attaques contre la coopération. Cette réunion s’est en effet tenue sans illusion, d’autant plus que les États-Unis en étaient absents : l’administration Trump ne participe plus aux efforts mondiaux en faveur du développement et, puisque dirigée par des complotistes de la santé, s’est même retirée du Fonds international de soutien à la vaccination (GAVI).
La prix Nobel d’économie Esther Duflo, présidente du Fonds (français) d’innovation pour le développement, avait pourtant préfacé le sommet d’un vibrant rappel : « Au moment où la tentation est forte, en Europe comme ailleurs, de jeter l’éponge sur notre responsabilité collective, il est plus que jamais nécessaire de rappeler l’importance d’une solidarité internationale qui conjugue dignité, ambition et efficacité. (…) Écartons tout d’abord une première idée fausse : les pays les plus pauvres ne sont pas des puits sans fond où tout effort est voué à l’échec. Au contraire, à une époque où les progrès sociaux dans les pays riches stagnent, où l’espérance de vie a même baissé certaines années aux Etats-Unis, les progrès accomplis en trente ans dans les pays les plus pauvres ont été considérables. (…) Seconde idée fausse à laquelle il faut tordre le cou : l’aide au développement n’est pas un gaspillage d’argent public. Ses montants sont bien moins élevés que le pensent généralement les citoyens des pays à hauts revenus (il a pu être prétendu aux États-Unis que l’aide internationale représentait 20 % du budget américain en 2024, alors qu’elle en constituait moins de 1%). Et, bien qu’une évaluation globale de l’aide soit impossible, tant ses objectifs et ses instruments sont divers, certains succès justifient d’eux-mêmes l’ensemble de l’effort : GAVI, par exemple, a sauvé au moins 1,5 million de vies.9Esther Duflo, « L’aide au développement n’est pas un gaspillage d’argent public », Le Monde, 30 juin 2025 »
Le FfD4 a malheureusement connu le sort de la plupart des grandes conférences internationales : médiatiquement comme politiquement, l’effet est quasi nul. Officiellement, l’« Engagement de Séville »10« Engagement de Séville », 4e Conférence internationale sur le financement du développement, Séville, 30 juin-3 juillet 2025 est présenté comme un « compromis ambitieux » et « une rare opportunité de démontrer que le multilatéralisme peut produire des résultats concrets »11« Séville : un futur accord sur le financement du développement, sans les États-Unis », ONU Info, 28 juin 2025. Ce qui, en langage diplomatique, veut dire qu’absolument aucune avancée n’a été enregistrée ! Pour preuve, la déclaration réaffirme l’engagement des pays de dépenser 0,7% de leur produit intérieur brut (PIB) en APD. « Réaffirmer » en langage ONU, cela veut dire cyniquement : « On sait que c’est un objectif peu ambitieux mais que personne ne respecte depuis si longtemps et que l’on peut sans frais affirmer vouloir atteindre. »
Dans l’UE, pour rappel, seuls quelques pays (Luxembourg, Suède, Danemark) respectent cet objectif ; la Belgique a vu sa part de PIB passer en 2024 de 0,44% à 0,48%12Antoinette Van Haute, « L’aide belge au développement augmente en 2024, contrairement à la tendance internationale », CNCD-11.11.11, 24 avril 2025 (0,33% de moyenne mondiale). « Pour rappel, cet engagement des pays dits ‘économiquement avancés’ date du 24 octobre 1970. À l’époque, la date butoir pour respecter cette résolution adoptée à l’ONU était 1975. Cinquante ans plus tard, cet engagement continue à être réitéré à différentes échelles, sans être atteint, du moins par la Belgique et au niveau international.13« Aide au développement à Séville : entre réaffirmation des engagements et menaces de réductions budgétaires », CNCD-11.11.11, 30 juin 2025» Opposons aussi ces 0,7% aux 3,5% (voire 5% en 2035 à l’insistance de Donald Trump) que les membres de l’Otan ont promis de consacrer aux dépenses de défense lors du sommet de l’alliance à La Haye, quelques jours avant celui de Séville14Belga, « Sommet de l’OTAN à La Haye : les pays membres ont un accord de principe sur le seuil de 5% du PIB pour la Défense, l’Espagne ne s’y tiendra pas », RTBF, 22 juin 2025.
Pis-aller pour la dette
Comme toujours, la question de la dette constitue un angle mort des politiques de développement. Si tant est que les politiques de développement ne constituent pas déjà elles-mêmes des angles morts des politiques nationales… Pourtant, en amont du sommet, à l’initiative de la Fight Inequality Alliance (FIA), une centaine de villes du Sud avaient accueilli des manifestations appelant « à annuler la dette, taxer les ultra-riches, et refondre les systèmes financiers mondiaux qui perpétuent la pauvreté et les inégalités, en particulier dans le Sud global.15« Des milliers de personnes se mobilisent dans 84 villes dans le monde pour tracer une ligne rouge face au règne des milliardaires et démanteler le système établi pour servir les 1% les plus riches », Fight Inequality, 30 juin 2025 »
« Les gens se mobilisent car le système actuel ne répond pas à leurs besoins, il les oblige à choisir entre survie et dignité », a déclaré Jenny Ricks, la secrétaire générale de la Fight Inequality Alliance. « Alors que les décideurs mondiaux se réunissent dans des conférences et font des déclarations depuis le confort de salles climatisées, les populations dans des pays comme le Sri Lanka, le Pakistan et la Zambie sont obligées de vivre écrasées sous le poids de la dette et du désespoir. Leur patience est à bout car leurs vies sont en jeu. »
Les déclarations de bonnes intentions n’ont évidemment pas manqué avant Séville : dans un touchant unanimisme, Antonio Costa, président du Conseil européen, et Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, ont annoncé à la tribune andalouse « une trajectoire de développement qui associe davantage et mieux le secteur privé, et qui constitue la base d’une optimisation des mécanismes de lutte contre le problème de la dette. Une feuille de route qui préconise, en somme, une architecture internationale du financement plus juste, plus inclusive et mieux adaptée aux défis actuels.16« Discours du président António Costa lors de la session plénière de la 4e conférence internationale sur le financement du développement (FfD4) à Séville », Conseil européen, 30 juin 2025. »
Pourtant, c’est bien « l’Union européenne (qui) a bloqué des réformes prometteuses, dont une convention internationale sur la dette, afin de protéger les créanciers au détriment des pays en développement, laissant la crise de la dette s’aggraver dans de nombreux pays à faible revenu, et posant un risque sur la stabilité mondiale.17« Dette souveraine : douche froide à Séville », CNCD-11.11.11, 30 juin 2025 » L’Union africaine et les petits États insulaires avaient rêvé d’une convention onusienne permettant de mettre en place un mécanisme multilatéral de résolution des dettes souveraines mais, même cela aura été impossible, le document final ne faisant qu’évoquer ce processus de manière vague et non contraignante. Élise Kervyn, coordinatrice de la recherche au CNCD-11.11.11, présente à Séville, raconte cet épisode incroyable : « Dès le deuxième jour, la sécurité a confisqué éventails, autocollants et prospectus arborant des slogans en faveur d’une convention sur la dette.18Élise Kervyn, « Séville ou la chronique d’un rendez-vous manqué », CNCD-11.11.11, 8 juillet 2025»
« L’échec des ODD »
Quatre milliardaires africains – dont deux sont des Sud-Africains blancs : Johan Ruppert (Richemont, luxe) et Nicky Oppenheimer (De Beers, diamant), compte non tenu d’Elon Musk – sont plus riches que la moitié (750 millions de personnes) du continent africain19AFP, « En Afrique, quatre milliardaires sont plus riches que la moitié du continent, selon Oxfam », Le Monde, 10 juillet 2025. C’est un des chiffres chocs publiés par Oxfam International à l’occasion du sommet pour le financement de la coopération20« From private profit to public power : financing development, not oligarchy », Oxfam International, 26 juin 2025. Elle montre que plus de 3,7 milliards de personnes vivent dans la pauvreté, alors que les 1% les plus riches ont augmenté leur richesse d’au moins 28 900 milliards d’euros depuis 2015, ce qui suffirait à mettre fin 22 fois à la pauvreté chaque année. Les milliardaires ont gagné à eux seuls 5,5 milliards d’euros en termes réels — plus que le coût annuel estimé de 3,4 milliards d’euros pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Cela signifie que la stratégie des ODD, établie il y a 10 ans lors du FfD3 à Addis Abeba, est « un échec », estime Oxfam.
Et pendant que les pays riches se hâtent de ne rien faire, la crise de la dette reste une tueuse silencieuse. Plus des deux tiers des pays à faible revenu sont aujourd’hui en situation de surendettement, ou à haut risque de le devenir. En parallèle, plus de 3,4 milliards de personnes – soit près de la moitié de l’humanité – vivent dans des pays qui consacrent davantage de ressources au service de leur dette qu’à la santé ou à l’éducation. Un chiffre en augmentation de 100 millions en un an seulement. « En Zambie, le fardeau du remboursement de la dette a pour traduction directe une réalité épouvantable : les hôpitaux se retrouvent sans médicaments essentiels, et les écoles sont privées d’enseignants. Le coût de la vie en hausse signifie que de plus en plus de familles ne peuvent même pas se permettre trois repas par jour. Une annulation intégrale de la dette et une pleine transparence concernant les obligations financières de notre pays et leurs conditions constituent une nécessité urgente. Actuellement, les citoyens ordinaires payent le prix dévastateur d’accords auxquels ils n’ont jamais consenti », affirme, par exemple, Mputa Ngalande, coordinateur national de la Fight Inequality Alliance en Zambie.
Selon la secrétaire générale de la CNUCED (ONU Commerce et développement), Rebeca Grynspan, « en 2023, les paiements liés au service de la dette ont atteint 921 milliards de dollars dans les pays en développement, contre 847 milliards l’année précédente », une envolée attribuée en grande partie à la flambée des taux d’intérêt sur les marchés mondiaux. En une décennie, le coût du service de la dette a pratiquement doublé21« Financer le développement : un plan pour sortir de la crise de la dette », ONU Info, 27 juin 2025.
L’ « Engagement de Séville » est donc une suite de réaffirmations et de demandes qui n’engagent pas à grand-chose, en tout cas sur le plan financier : un groupe de travail ONU-FMI-Banque mondiale, un registre mondial des données, des clauses permettant la suspension des remboursements en cas de catastrophes climatiques… Et plus globalement, ce qui est très méritoire mais ne fait que renforcer l’impression d’impuissance : une réaffirmation de l’importance du multilatéralisme à l’heure… où il vole en éclats. « Nous ne pouvons pas nous permettre de voir la coopération multilatérale s’étioler. Aucun État n’a les moyens de faire face seul aux problèmes mondiaux. Pour les traiter, nous réaffirmons notre engagement constant et fort en faveur du multilatéralisme, de la coopération internationale et d’une solidarité mondiale reposant sur le respect mutuel et l’action collective. »
Au fond, en l’espèce, l’invocation du multilatéralisme à une heure où il est fort menacé permet surtout de justifier l’absence d’action. Toutefois, et ce sont évidemment eux qui sont mis en évidence par l’ONU22« Au nom de la justice et de l’empathie, l’Engagement de Séville est adopté lors de la première journée de la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement », Nations Unies, 30 juin 2025, certains responsables de pays du Sud préfèrent voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. Le Kényan Ruto parle d’« avancées pour faire de la dette un instrument de développement plutôt qu’un piège », l’Irakien Rashid de « bonne base » et l’Angolais Lourenço loue la création de clauses automatiques de suspension du service de la dette en cas de chocs extérieurs. Bref, rien ou presque…
Un mécanisme espagnol innovant
L’Espagne, comme pays hôte, a fait un pas de plus en optant pour un mécanisme innovant. On pourrait penser au fameux et controversé « échange dette contre nature »23Lire nos deux analyses sur la dette écologique et la formule du swap dette/nature : « Échange dette-nature 2.0,une solution en trompe-l’œil » et « Jubilé 2025 – en finir avec la dette ? ». Mais cela va plus loin : l’Espagne va effectivement convertir annuellement 60 millions d’euros de dette des pays du Sud en investissements dans des domaines clés comme l’éducation, la santé, la transition énergétique ou l’adaptation au changement climatique24Maghreb Arabe Presse, « FFD4 : l’Espagne annonce un mécanisme de réinvestissement de la dette au profit du développement », 1er juillet 2025.
Conclusion : ne pas se décourager
Malgré les mesures hostiles à la solidarité internationale qui sont prises actuellement et alors que pas moins de 60% des pays à faible revenu sont surendettés ou en situation de risque élevé de surendettement25Sur le cas précis de l’Afrique, on conseillera : Arnaud Zacharie, « Sortir de l’étau de la dette africaine », CNCD-11.11.11, 26 juin 2025, il n’est sûrement pas temps de réduire la voilure. La première revendication en direction des autorités belges consiste à maintenir le cap des 0,7% du PIB dédiés à l’APD et non de réduire cet objectif à la baisse : ces 0,7% sont anecdotiques par rapport aux 5% affichés en faveur de la défense à La Haye. Or, si ces derniers, dans le climat provoqué par l’agression russe sur l’Ukraine, sont présentés sur le ton « si vis pacem para bellum »26« Si tu veux la paix, prépare la guerre », expression latine attribuée à Végèce., la coopération au développement, en participant au financement de la santé, l’éducation, l’alimentation dans les pays du Sud, contribue, elle aussi, à la paix et à la stabilité mondiales.
Tout récemment, le président du MR, Georges-Louis Bouchez, tout à sa dérive illibérale, a cru bon de de ressortir son vieux couplet sur le sujet. Malgré le dérisoire 0,48% de PIB dédié à la Coopération, il a asséné : « On doit aller plus loin dans la réduction des dépenses en Coopération au développement, par exemple. Soit on supprime tout, soit on dit qu’on ne peut plus dépenser un euro en Coopération si cet euro ne revient pas à une entreprise belge.27Frédéric Chardon, « Georges-Louis Bouchez : « La Belgique a besoin d’une Margaret Thatcher plutôt que de comiques qui promettent de l’argent magique », La Libre, 12 juillet 2025. » Cette fois, ce n’est rien moins que le ministre des Affaires étrangères et de la Coopération au développement, Maxime Prévot (Les Engagés), qui est monté au créneau : « Si le propos n’était pas aussi ahurissant on pourrait presque y porter intérêt… Il est hors de question d’aller plus loin dans les économies dans le budget de la Coopération et de l’asphyxier. La coopération internationale, comme pour toutes les démocraties du monde qui la pratiquent (seul Trump l’a aussi rayée de la carte), est un élément de la politique de relations extérieures d’un pays, c’est un outil de solidarité internationale qui permet de défendre des valeurs, de prévenir des conflits, de favoriser la stabilité dans des zones difficiles.28Thomas Gadisseux, « Georges-Louis Bouchez évoque la suppression du budget de la Coopération, « ahurissant » selon Maxime Prévot », RTBF, 12 juillet 2025»
Il ne faut pas réduire les ambitions en termes de solidarité sur l’autel des politiques de droite. Deux demandes doivent ainsi rester d’actualité plus que jamais dans le domaine de la dette :
- L’annulation inconditionnelle des dettes insoutenables pour permettre aux gouvernements de garantir les droits humains, de lutter contre le changement climatique, la crise de la biodiversité et d’assurer l’égalité entre les hommes et les femmes, pour tous les pays qui en font la demande ;
- La création, manquée à Séville, d’une convention cadre internationale sur la dette souveraine qui aborde les transformations et réformes nécessaires dans l’architecture de la dette mondiale pour la prévention et la résolution des crises de la dette pour mettre en place un mécanisme multilatéral équitable, global et transparent, sous l’égide des Nations unies.
Une pétition pour le Jubilé
Pour la société civile, y compris les associations extérieures au monde chrétien, le Jubilé, doublé du 10e anniversaire de Laudato Si’ en mai 2025, apparaît comme une occasion de remettre les enjeux liés à la dette du Sud au centre de l’attention. Menée à l’échelle mondiale par Caritas Internationalis, la campagne « Transformer la dette en espoir »23 est relayée en Belgique francophone par Entraide et Fraternité. Destinée aux décideurs mondiaux comme belges, une pétition peut être signée sur le site annulerladette.be. Que demande cette pétition29Cette initiative a reçu, en mai dernier, le soutien des évêques de Belgique, qui ont appelé à signer ladite pétition. Site www.annulerladette.be ?
- de mettre fin à la crise de la dette maintenant en annulant les dettes injustes et insoutenables, sans conditions de politique économique ;
- d’empêcher que les crises de la dette se reproduisent en s’attaquant à leurs causes profondes, en réformant le système financier mondial pour donner la priorité aux personnes et à la planète ;
- d’établir un cadre permanent, transparent, contraignant et global de la dette au sein des Nations unies.
- 1voir notamment Jean-Claude Brau et Jean-François Lauwens « Jubilé 2025 – en finir avec la dette ? », analyse, Entraide et Fraternité, 2025.
- 2Spes non confundit, Bulle d’indiction du Jubilé 2025, 9 mai 2024
- 3Jean-François Lauwens, « François, pape de gauche ? Contresens ou évidence », analyse Entraide et Fraternité, mai 2025
- 4Myriam Sandouno, « Pape Léon XIV : l’Église offre à tous l’héritage de la doctrine sociale », Vatican News, 10 mai 2025
- 5Sarah Beleouzzane, « Léon XIV revient à un style de papauté plus traditionnel sans se dévoiler : « A ce stade, personne ne connaît vraiment sa vision », Le Monde, 6 juillet 2025
- 6Symbole important quand on sait que la COP30 se tiendra en novembre 2025 à Belém en Amazonie et que le pape François a signé l’exhortation apostolique Querida Amazonia.
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- 8« Jubilé 2025 : annulation de la dette écologique », Dicastère pour le Développement humain intégrale, 24 juin 2025
- 9Esther Duflo, « L’aide au développement n’est pas un gaspillage d’argent public », Le Monde, 30 juin 2025
- 10« Engagement de Séville », 4e Conférence internationale sur le financement du développement, Séville, 30 juin-3 juillet 2025
- 11« Séville : un futur accord sur le financement du développement, sans les États-Unis », ONU Info, 28 juin 2025
- 12Antoinette Van Haute, « L’aide belge au développement augmente en 2024, contrairement à la tendance internationale », CNCD-11.11.11, 24 avril 2025
- 13« Aide au développement à Séville : entre réaffirmation des engagements et menaces de réductions budgétaires », CNCD-11.11.11, 30 juin 2025
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- 17« Dette souveraine : douche froide à Séville », CNCD-11.11.11, 30 juin 2025
- 18Élise Kervyn, « Séville ou la chronique d’un rendez-vous manqué », CNCD-11.11.11, 8 juillet 2025
- 19AFP, « En Afrique, quatre milliardaires sont plus riches que la moitié du continent, selon Oxfam », Le Monde, 10 juillet 2025
- 20« From private profit to public power : financing development, not oligarchy », Oxfam International, 26 juin 2025
- 21« Financer le développement : un plan pour sortir de la crise de la dette », ONU Info, 27 juin 2025
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- 23Lire nos deux analyses sur la dette écologique et la formule du swap dette/nature : « Échange dette-nature 2.0,une solution en trompe-l’œil » et « Jubilé 2025 – en finir avec la dette ? »
- 24Maghreb Arabe Presse, « FFD4 : l’Espagne annonce un mécanisme de réinvestissement de la dette au profit du développement », 1er juillet 2025
- 25Sur le cas précis de l’Afrique, on conseillera : Arnaud Zacharie, « Sortir de l’étau de la dette africaine », CNCD-11.11.11, 26 juin 2025
- 26« Si tu veux la paix, prépare la guerre », expression latine attribuée à Végèce.
- 27Frédéric Chardon, « Georges-Louis Bouchez : « La Belgique a besoin d’une Margaret Thatcher plutôt que de comiques qui promettent de l’argent magique », La Libre, 12 juillet 2025
- 28Thomas Gadisseux, « Georges-Louis Bouchez évoque la suppression du budget de la Coopération, « ahurissant » selon Maxime Prévot », RTBF, 12 juillet 2025
- 29Cette initiative a reçu, en mai dernier, le soutien des évêques de Belgique, qui ont appelé à signer ladite pétition. Site www.annulerladette.be





