La Coopération au développement – Entre attaques politiques et crise d’identité
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Les 11 et 12 septembre 2025, le CNCD-11.11.11 organisait les Assises de la Coopération au développement. Cette grande rencontre, qui a lieu tous les cinq ans, permet à l’ensemble des acteurs et actrices de la solidarité internationale belge de se rencontrer et de débattre des grands enjeux sectoriels. Dans la foulée, Entraide et Fraternité tenait un séminaire international avec les coordinateurs et coordinatrices de ses associations partenaires. Ces deux événements ont été l’occasion de dresser le bilan de la situation du secteur, mais aussi et surtout d’esquisser une vision de l’avenir de la solidarité. Comme toutes les autres ONG, Entraide et Fraternité doit en effet faire face à un contexte politique, économique et socio-culturel de plus en plus hostile.
Des attaques politiques…
Le secteur de la solidarité internationale est en crise. Depuis les élections de juin 2024 et la formation du gouvernement Arizona, le secteur se trouve parmi les cibles de l’offensive austéritaire imposée par la droite belge. Si le pire, à savoir la suppression pure et simple du financement de la coopération au développement1Gadisseux, T., Georges-Louis Bouchez évoque la suppression du budget de la Coopération, « ahurissant » selon Maxime Prévot dans RTBF, https://www.rtbf.be/article/georges-louis-bouchez-evoque-la-suppression-du-budget-de-la-cooperation-ahurissant-selon-maxime-prevot-11575449., semble avoir été évité, une coupe budgétaire de 25% sera bel et bien appliquée à partir des prochains programmes subventionnés, c’est-à-dire dès 2027. Pour un secteur déjà structurellement en manque de financement, cette coupe n’en demeure pas moins dramatique. De plus, rien ne garantit que l’Arizona se tiendra à cette seule restriction budgétaire durant sa législature. Ainsi, à l’entame du conclave budgétaire d’octobre 2025, le premier ministre Bart De Wever (NV-A) demande déjà de nouvelles économies dans le secteur211.11.11 Bart De Wever veut encore réduire la solidarité internationale, https://11.be/fr/Verhalen/Bart-de-Wever-veut-encore-r%C3%A9duire-la-solidarit%C3%A9-internationale. . Jusqu’à présent, le ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot (Les Engagés), défend le secteur de la coopération3Dans le gouvernement Arizona, la coopération au développement est incluse, au même titre que les Affaires européennes, dans les compétences du ministre des Affaires étrangères. . Cependant, Les Engagés ont signé l’accord de gouvernement « Arizona » et il semble improbable qu’un désaccord sur la coopération au développement amène le parti centriste à revoir sa position… Il faut donc s’attendre à ce que ces attaques politiques et économiques se poursuivent à l’avenir.
En parallèle, la solidarité internationale doit faire face à d’incessantes attaques médiatiques et culturelles. Rare sont en effet les semaines ou un·e politicien·ne de droite ou d’extrême droite n’envahit pas les médias et/ou les réseaux sociaux avec une déclaration « choc » contre les droits sociaux, l’environnement, la culture, la solidarité internationale, etc.
Si cette tendance est présente en Flandre depuis plusieurs années, elle est plus récente en Belgique francophone. Elle commence surtout avec l’arrivée de George-Louis Bouchez à la présidence du MR. Ce dernier assume en effet de mener une guerre culturelle contre le « wokisme », c’est-à-dire contre tout ce qui ne correspond pas à sa vision (extrême ?) droitière du monde4Georges, M., Un conservateur au MR – la politique est une forme de guerre culturelle dans POLITIQUE, https://www.revuepolitique.be/un-conservateur-au-mr-la-politique-est-une-forme-de-guerre-culturelle/.. Cette guerre s’inscrit dans une stratégie de polarisation de la société visant à présenter le parti libéral comme le seul rempart contre les « cinquante nuances de gauche », accusées de tous les malheurs du monde5 CENTRE JEAN GOL, Interview de Corentin de Salle, https://www.cjg.be/interview-de-corentin-de-salle-pour-21-news-quel-role-a-joue-le-centre-detude-du-mr-dans-sa-victoire-electorale/.. L’importance prise par le Centre Jean Gol6Le centre d’étude du MR. dans le débat public ainsi que le refus de George-Louis Bouchez d’assumer une quelconque responsabilité ministérielle après les élections de 2024 montrent que la « guerre culturelle » ne se limite pas à une séquence électorale. Elle est pensée pour durer, pour polariser durablement la société autour d’un agenda fixé par la droite ultra-libérale et réactionnaire. Sur ce plan aussi, il faut donc s’attendre à ce que les attaques contre la solidarité internationale se poursuivent.
Enfin, la Belgique n’est pas un cas isolé. Depuis quelques années, on assiste, à l’échelle internationale, à l’émergence d’une informelle mais néanmoins véritable « internationale réactionnaire ». Cette internationale, soutenue et financée par des milliardaires du numérique tels qu’Elon Musk ou Peter Thiel, s’organise concrètement pour prendre le pouvoir et (ré)imposer aux peuples des idées ultralibérales, racistes et sexistes. Au sein de cette internationale réactionnaire, on compte des chefs d’États et de gouvernements comme l’Américain Donald Trump, le Hongrois Viktor Orban, l’Italienne Georgia Meloni ou l’Argentin Javier Milei, des leaders de partis politiques comme les Français Jordan Bardella et Eric Zemmour, mais aussi des influenceurs et influenceuses issu·es de l’extrême droite la plus radicale comme le hooligan néo-nazi anglais Tommy Robinson7CONTREATTAQUE, L’internationale réactionnaire, https://contre-attaque.net/2025/01/16/linternationale-reactionnaire/..
Pour cette internationale réactionnaire, la solidarité internationale fait figure de cible à abattre, au même titre que les aides sociales ou les règlementations environnementales. L’exemple le plus frappant de ce ciblage est la suppression quasi totale de USAID, l’agence américaine de coopération, dès le retour au pouvoir de Donald Trump. Bien sûr, la situation belge n’est pas aussi grave8Ainsi, ni le MR ni la NV-A ne se présente comme allié de l’internationale réactionnaire, au contraire, par exemple, du Vlaams Belang. que la situation américaine. Toutefois, la tendance est bel et bien présente et il serait naïf de croire la Belgique à l’abri d’une dégradation de la situation.
La solidarité internationale ne subit donc pas qu’un « mauvais moment à passer ». Le secteur se trouve, qu’il le veuille ou non, impliqué dans un conflit plus large déclenché par diverses forces de droite et/ou d’extrême droite.
Programme DGD et financement de la Coopération au développement
La Direction générale au développement et à l’aide humanitaire (DGD), service dépendant du SPF Affaires étrangères, constitue un des plus importants bailleurs de fonds des ONG belges de solidarité internationale. Tous les cinq ans, les ONG homologuées à la suite d’une évaluation rigoureuse remettent un programme quinquennal couvrant en tout ou en partie leur travail de soutien à des projets de terrain mais aussi de plaidoyer politique et d’ECMS9Education à la citoyenneté mondiale et solidaire.. La DGD analyse ensuite ce programme avant d’accepter, ou pas, de le financer. Pour de nombreuses ONG, la période de rédaction puis de remise du « programme DGD » constitue donc un moment crucial pour la qualité et la pérennité de leur travail. Le prochain programme est à rendre en 2026, pour une entrée en vigueur en 2027. Il sera donc pleinement affecté par les coupes budgétaires imposées par le gouvernement Arizona.
…nécessitent des réponses politiques !
Si la situation est sombre, elle n’est heureusement pas désespérée. Des solutions existent. Le secteur de la solidarité internationale peut s’appuyer sur un certain nombre de ressources pour sortir par le haut du conflit dans lequel il est plongé.
Tout d’abord, la solidarité internationale peut s’appuyer sur de réels succès. Le Rapport 2025 sur la coopération belge au développement, présenté par le CNCD–11.11.11 lors des Assises de la coopération au développement, en liste quelques-uns. Ainsi, la coopération au développement a contribué à la diminution de 60% de la mortalité infantile entre 1990 et 2022, à la (quasi-)éradication de certaines maladies comme la variole et la poliomyélite et à l’augmentation de l’espérance de vie moyenne de 65 à 72 ans au cours des trente dernières années10CNCD – 11.11.11, Rapport 2025 sur la coopération belge au développement – le rôle de la coopération internationale dans un monde qui bascule, Bruxelles, 2025, p.67.. De manière générale, en contribuant à la diminution des inégalités sociales, la solidarité internationale constitue un outil essentiel de lutte contre les pandémies, les conflits armés ou le changement climatique11Ibid., pp.69-70..
Une simple énumération de hauts faits ne suffira bien sûr pas à inverser la tendance. En revanche, ces résultats factuels constituent une base solide sur laquelle construire un narratif de défense de la solidarité internationale. Pour ce faire, les ONG peuvent s’inspirer de travaux comme Pourquoi les narratifs de gauche ne touchent plus les classes populaires de Jérôme Ruychevelt Ebstein12Van Ruychevelt Ebstein, J., Pourquoi les narratifs de gauche ne touchent plus les classes populaires ? Le cas de la Belgique francophone, Bruxelles, 2025, pp. 24-30.. Entre autres choses, celui-ci développe l’importance de proposer un récit vulgarisateur, émancipateur et porteur d’espoir. Dans le cas des ONG de solidarité internationale, construire un tel récit paraît indispensable pour sortir du cercle des sympathisant·es habituel·les et ainsi renforcer le secteur.
En parallèle, les ONG ont tout à gagner à développer leur présence dans la rue. Un gouvernement aussi antisocial que l’Arizona ne reculera pas parce qu’on lui raconte une belle histoire. L’histoire sociale belge est hélas riche de secteurs professionnels dotés de solides arguments de défense mais malgré tout liquidés, avec la complicité plus ou moins active du monde politique. On peut penser, par exemple, à la sidérurgie liégeoise13Pireaux, C. et Michel, T., L’acier a coulé dans nos veines, Les Films de la Passerelle, 2025..
Les partis de l’Arizona ne modifieront leur politique que parce qu’une vaste mobilisation citoyenne les y obligera. Le secteur associatif belge a la chance d’évoluer dans un pays où toute la population n’est pas acquise aux idées de droite/extrême droite. Le mardi 14 octobre, 140 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bruxelles contre les mesures du gouvernement Arizona. Dans la foulée, l’intersyndicale FGTB–CSC–CGSLB a organisé trois jours de grève les 24, 25 et 26 novembre2025. Contrairement aux discours tenus en public par certains ministres, ces mobilisations inquiètent certains partis. Les difficultés à boucler le budget fédéral 2026 le prouvent. Les ONG de solidarité internationale n’ont, à elles seules, pas la capacité d’organiser des mobilisations aussi massives, aussi longues et donc aussi efficaces. À l’heure actuelle, seuls les syndicats l’ont.
Les ONG devraient donc se poser comme alliées des syndicats. Cela passe par une participation massive aux prochaines mobilisations mais aussi par un rappel constant de l’importance des syndicats, par une incitation à s’affilier à un syndicat, etc. Par ailleurs, les ONG peuvent apporter aux syndicats une vraie expertise technique sur certains sujets (migration internationale, changement climatique, etc.). De plus, les syndicats se montrent, en tout cas ces derniers mois, à l’écoute de la situation et des revendications du secteur associatif14FGTB WALLONE, Arizona : un coup d’état contre la démocratie ?, https://fgtb-wallonne.be/radio/arizona-un-coup-detat-contre-la-democratie/. . Les possibilités de convergence existent donc. Si, au contraire, la coopération au développement échoue à construire ce lien fort avec le monde syndical, le secteur restera un oiseau pour le chat aux yeux de gouvernements de plus en plus radicalisés15La question de la radicalisation des gouvernements a déjà été abordée par Entraide et Fraternité à propos des violences vis-à-vis des mouvements sociaux. L’analyse Au Brésil et en Europe, les mouvements sociaux face aux violences est disponible ici : https://entraide.be/publication/analyse2023-09/. .
Un héritage colonial indéniable
Une autre vague de critiques frappe le secteur de la solidarité internationale. Cette dernière est peut-être plus insidieuse et plus difficile à accepter car elle provient directement de la société civile et parfois même… de l’intérieur des ONG de coopération au développement ! Ces critiques concernent la dimension néocoloniale du secteur.
L’Histoire est explicite à ce sujet. La coopération au développement est une héritière de la colonisation. Le concept même de développement est, à l’origine, basé sur une vision coloniale du monde. Pour les intellectuels et politiciens occidentaux qui la promeuvent à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il s’agit en effet de « guider » les nations récemment décolonisées dans le modèle économique occidental16Polet, F., La part du néocolonialisme dans le développement dans CADTM, https://www.cadtm.org/La-part-du-neocolonialisme-dans-le-developpement. . De plus, le développement est également utilisé pour maintenir les anciennes colonies dans le camp occidental durant la Guerre froide17Idem..
Selon cette première conception du développement, il n’y a pas de lien entre la pauvreté de la grande majorité de la population des anciennes colonies et le pillage des leurs ressources pendant (et après) la colonisation. La différence entre cette conception du développement et le « fardeau de l’homme blanc, destiné à apporter la civilisation aux peuples primitifs18Kipling, R., The White Man’s Burden : the United States and the Philippine Islands dans MC CLURE’S MAGAZINE, vol. 12, no 4, février 1899, p. 290. » défini par la propagande coloniale est donc minime.
Dans le cas d’une association catholique comme Entraide et Fraternité, l’héritage colonial est encore plus lourd puisque l’Église catholique a été, malgré des divergences internes récurrentes, un soutien actif de la colonisation de l’Afrique, de l’Amérique et de l’Asie19Lorin, A., Le christianisme en situation coloniale dans QUESTIONS INTERNATIONALES, n°95-96, 2019/1, pp.165-170. .
Heureusement, cette première vision du développement est contestée dès les années 1960. Inspirée par les idéaux communistes et/ou tiers-mondistes, une deuxième conception du développement apparaît. Pour cette dernière, la grande pauvreté chronique des pays dits du Sud s’explique par le rôle de fournisseur de matières premières qui leur est imposé depuis la colonisation20Polet, F., Op Cit.. Eduardo Galeano explique par exemple les très fortes inégalités sociales latino-américaines par l’obligation faite au sous-continent de fournir des minerais et des produits agricoles à prix réduits au marché international, par la collaboration active des bourgeoisies nationales à ce pillage et par l’interventionnisme des USA pour empêcher tout changement socio-économique majeur21Galeano, E., Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Paris, 1981..
Selon cette approche critique, le vrai développement consiste, pour les pays concernés, à reprendre le contrôle des ressources afin de répondre aux besoins réels des populations locales et à diversifier leur économie. Pour le président révolutionnaire burkinabé Thomas Sankara, grande figure de cette vision critique du développement, l’autonomie et la participation des femmes et de la paysannerie locale sont indispensables à la réussite de ce processus22Moussa Dembélé, D., Thomas Sankara, une conception endogène du développement dans THOMASSANKARA.NET, https://www.thomassankara.net/thomas-sankara-une-conception-endogene-du-developpement/..
Dans le monde catholique, la Théologie de la libération23Mouvement religieux et socio-politique né en Amérique latine dans les années 1960. rejoint cette approche critique du développement. En portant au niveau international sa volonté de faire des opprimé·es les acteurs et actrices de leur libération, la théologie de la libération milite pour que le Sud global rompe ses liens de dépendance avec les puissances impérialistes et opte pour un développement qui lui est réellement profitable. En Belgique, Entraide et Fraternité va, dès ses débuts, s’inscrire dans cette philosophie24Carracillo, C., Agir pour la justice sociale dans le monde – Entraide et Fraternité/Action Vivre Ensemble 1961 – 2021, Bruxelles, 2021, p.31..
Depuis les années 1980, le retour en force du libre-échange, l’apparition du concept de développement durable ou encore l’émergence de la Chine comme puissance mondiale ont quelque peu complexifié le paysage de la coopération au développement. Cependant, le secteur reste globalement traversé par ces deux premières conceptions du développement. L’une liée aux institutions capitalistes internationales et/ou aux intérêts géopolitiques de l’Occident et l’autre misant sur l’autonomie locale et le changement structurel.
Les ONG belges de coopération n’ont pas réellement tranché entre les deux approches. La plupart mélange plus ou moins ces différentes visions du développement. Cette ambiguïté tient à la fois de leur dépendance aux fonds institutionnels mais aussi au profil politique d’une partie de leur personnel et sympathisant·es. Force est de constater qu’une partie d’entre elles/eux demeurent en effet mal l’aise face à une remise en question radicale du capitalisme et du colonialisme. C’est pourtant cette ambigüité qui suscite aujourd’hui beaucoup de critiques.
Une commission « racisme et décolonisation » au sein d’Entraide et Fraternité
Entraide et Fraternité ne se considère pas comme un village d’Astérix, isolé mais sans défaut au milieu d’un secteur en plein questionnement. Notre association est bien consciente des limites de la coopération actuelle : scandale Oxfam en Haïti25Scandale d’abus sexuels commis par des travailleurs expatriés d’Oxfam sur des prostituées et/ou des mineures d’âge haïtiennes dans les années 2010. , potentielle instrumentalisation au détriment des besoins réels des populations locales26Otasevic, A., Changements de régime clés en main dans LE MONDE DIPLOMATIQUE, https://www.monde-diplomatique.fr/2019/12/OTASEVIC/61096., stéréotypes racistes (in)volontairement diffusés par les ONG et/ou leurs sympathisant·es27Exemple, parmi d’autres, entendu par l’auteur lors d’une réunion avec des bénévoles : « il faut apprendre l’hygiène à ces pauvres gens » !, etc. C’est pourquoi Entraide et Fraternité s’est doté, depuis 2023, d’une « commission racisme et décolonisation » ayant la mission de définir nos positions et revendications sur ces sujets. Cette commission est composée d’un·e représentant·e de chaque département d’Entraide et Fraternité ainsi que d’un·e représentant·e des associations-partenaires du Sud global.
Une de ses premières missions a été d’auditer la relation partenariale telle que pratiquée par Entraide et Fraternité. Le soutien à des projets portés par des associations locales étant central dans travail, il paraissait impossible d’aborder la question décoloniale sans évaluer la réelle égalité de nos partenariats. Pour garantir la plus grande liberté d’expression possible aux associations partenaires, la commission a mandaté Fiona Nziza, experte auprès de Louvain Coopération, pour mener cette consultance.
Le rapport final en a été présenté aux travailleurs et travailleuses d’Entraide et Fraternité au début de l’année 2025. Dans la foulée, l’évaluation du programme DGD 2022-2026 effectuée lors du séminaire international de septembre 2025 a aussi été l’occasion d’aborder des questions importantes pour quiconque veut travailler en partenariat équitable.
Les principales recommandations de la consultance de Fiona Nziza sont les suivantes :
- Une plus grande implication des associations partenaires dans les différentes campagnes (Carême, récolte de fonds, etc.) afin de mieux les représenter dans le travail d’Entraide et Fraternité en Belgique.
- Intégrer les associations partenaires dans les instances dirigeantes d’Entraide et Fraternité afin de casser les liens de dépendance subsistant entre l’association « du Nord » et les associations du « Sud global ».
- Renforcer l’autonomie financière des associations-partenaires via la présence de fonds propres spécifiques au sein d’EF, en facilitant leur intégration dans des réseaux internationaux, en finançant des projets plus politisés et des structures « Sud-Sud », etc.
- Renforcer le rôle de plaidoyer politique à propos des thèmes centraux d’Entraide et Fraternité (souveraineté alimentaire, soutien à l’agroécologie et aux mouvements paysans) mais aussi y inclure un plaidoyer dédié à la décolonisation des institutions de coopération internationale.
La commission « racisme et décolonisation » va assurer le suivi de cet audit et œuvrer à appliquer ces recommandations. Il est évident qu’Entraide et Fraternité ne va pas révolutionner seul le monde de la coopération au développement. Il est cependant important d’agir à notre échelle afin de s’assurer que notre travail soit le plus pertinent possible face aux grands enjeux de notre temps. La bonne nouvelle, c’est qu’Entraide et Fraternité ne part pas de nulle part en la matière. Ainsi, la participation des associations partenaires à la rédaction du programme DGD d’EF est saluée par celles-ci28D’après les constations du séminaire international de septembre 2025.. De façon plus générale, EF n’a jamais envoyé d’expatrié·es pour contrôler le travail des partenaires mais a toujours souhaité valoriser leurs connaissances et leur autonomie29Carracillo, C., Agir pour la justice sociale dans le monde – Entraide et Fraternité/Action Vivre Ensemble 1961 – 2021, Bruxelles, 2021.. L’association peut donc s’appuyer sur un socle de pratiques depuis longtemps admises en son sein pour poursuivre sa décolonisation.
Solidarité internationale ou coopération au développement ?
Comme d’autres publications d’Entraide et Fraternité, cette analyse utilise alternativement les termes « coopération au développement » et « solidarité internationale ». Cela s’explique par le fait que « coopération au développement » demeure l’intitulé officiel de notre secteur professionnel. Cependant, à l’usage, le terme « solidarité internationale » tend à s’imposer. Ce dernier marque en effet l’aspect mondial de notre travail tout en marquant une différence avec les connotations négatives que peut avoir le terme « développement ».
Conclusion : à l’avant-garde du progrès social ?
La séquence politique actuelle oblige la coopération au développement à se réinventer. Les attaques politiques répétées menées contre le secteur imposent aux ONG de revoir leur approche parfois très conciliante vis-à-vis des partis politiques, y compris de droite. Il semble en effet, et c’est fort regrettable, illusoire de compter sur la bonne volonté des membres de l’Arizona pour sauver la coopération au développement. La petite taille du secteur fait qu’une mobilisation des ONG seules a peu de chances d’être entendue. S’allier aux autres secteurs en première ligne des attaques de l’Arizona et rejoindre le rapport de force entamé par les syndicats contre ce gouvernement paraît donc l’option la plus réaliste.
Les débats actuels autour de la décolonisation, en particulier autour de la décolonisation de la coopération au développement, ne relèvent pas d’une vaine autoflagellation. Au contraire, il s’agit d’évaluer le travail accompli jusqu’à présent afin de travailler de la meilleure façon possible à la réalisation d’une Terre plus juste. Cette Terre plus juste ne pourra voir le jour sans rompre totalement avec les logiques socio-économiques issues de la colonisation. À cet égard, Entraide et Fraternité dispose de solides atouts mais n’est pas parfaite. Poursuivre un processus décolonisation est donc indispensable pour consolider la pertinence du travail de l’ONG.
Il serait intéressant que ces réflexions politiques et décoloniales ne soient pas abordées « en silo » mais se répercutent plus largement au sein du monde associatif. Par exemple, s’allier avec les syndicats peut être une piste pour que le secteur associatif recommence à obtenir des victoires politiques et ne reste pas cantonné à une posture défensive. Au niveau décolonial, les questions de gouvernance soulevées par la consultance « décolonisation » peuvent (doivent ?) aussi mener à une réflexion plus large sur la démocratie au travail dans nos organisations.
La tempête traversée actuellement par la coopération au développement n’est donc pas qu’une tragédie. Elle est aussi l’occasion de faire du secteur un modèle à suivre, une véritable avant-garde du progrès social réclamé par la plupart des ONG.
- 1Gadisseux, T., Georges-Louis Bouchez évoque la suppression du budget de la Coopération, « ahurissant » selon Maxime Prévot dans RTBF, https://www.rtbf.be/article/georges-louis-bouchez-evoque-la-suppression-du-budget-de-la-cooperation-ahurissant-selon-maxime-prevot-11575449.
- 211.11.11 Bart De Wever veut encore réduire la solidarité internationale, https://11.be/fr/Verhalen/Bart-de-Wever-veut-encore-r%C3%A9duire-la-solidarit%C3%A9-internationale.
- 3Dans le gouvernement Arizona, la coopération au développement est incluse, au même titre que les Affaires européennes, dans les compétences du ministre des Affaires étrangères.
- 4Georges, M., Un conservateur au MR – la politique est une forme de guerre culturelle dans POLITIQUE, https://www.revuepolitique.be/un-conservateur-au-mr-la-politique-est-une-forme-de-guerre-culturelle/.
- 5CENTRE JEAN GOL, Interview de Corentin de Salle, https://www.cjg.be/interview-de-corentin-de-salle-pour-21-news-quel-role-a-joue-le-centre-detude-du-mr-dans-sa-victoire-electorale/.
- 6Le centre d’étude du MR.
- 7CONTREATTAQUE, L’internationale réactionnaire, https://contre-attaque.net/2025/01/16/linternationale-reactionnaire/.
- 8Ainsi, ni le MR ni la NV-A ne se présente comme allié de l’internationale réactionnaire, au contraire, par exemple, du Vlaams Belang.
- 9Education à la citoyenneté mondiale et solidaire.
- 10CNCD – 11.11.11, Rapport 2025 sur la coopération belge au développement – le rôle de la coopération internationale dans un monde qui bascule, Bruxelles, 2025, p.67.
- 11Ibid., pp.69-70.
- 12Van Ruychevelt Ebstein, J., Pourquoi les narratifs de gauche ne touchent plus les classes populaires ? Le cas de la Belgique francophone, Bruxelles, 2025, pp. 24-30.
- 13Pireaux, C. et Michel, T., L’acier a coulé dans nos veines, Les Films de la Passerelle, 2025.
- 14FGTB WALLONE, Arizona : un coup d’état contre la démocratie ?, https://fgtb-wallonne.be/radio/arizona-un-coup-detat-contre-la-democratie/.
- 15La question de la radicalisation des gouvernements a déjà été abordée par Entraide et Fraternité à propos des violences vis-à-vis des mouvements sociaux. L’analyse Au Brésil et en Europe, les mouvements sociaux face aux violences est disponible ici : https://entraide.be/publication/analyse2023-09/.
- 16Polet, F., La part du néocolonialisme dans le développement dans CADTM, https://www.cadtm.org/La-part-du-neocolonialisme-dans-le-developpement.
- 17Idem.
- 18Kipling, R., The White Man’s Burden : the United States and the Philippine Islands dans MC CLURE’S MAGAZINE, vol. 12, no 4, février 1899, p. 290.
- 19Lorin, A., Le christianisme en situation coloniale dans QUESTIONS INTERNATIONALES, n°95-96, 2019/1, pp.165-170.
- 20Polet, F., Op Cit.
- 21Galeano, E., Les veines ouvertes de l’Amérique latine, Paris, 1981.
- 22Moussa Dembélé, D., Thomas Sankara, une conception endogène du développement dans THOMASSANKARA.NET, https://www.thomassankara.net/thomas-sankara-une-conception-endogene-du-developpement/.
- 23Mouvement religieux et socio-politique né en Amérique latine dans les années 1960.
- 24Carracillo, C., Agir pour la justice sociale dans le monde – Entraide et Fraternité/Action Vivre Ensemble 1961 – 2021, Bruxelles, 2021, p.31.
- 25Scandale d’abus sexuels commis par des travailleurs expatriés d’Oxfam sur des prostituées et/ou des mineures d’âge haïtiennes dans les années 2010.
- 26Otasevic, A., Changements de régime clés en main dans LE MONDE DIPLOMATIQUE, https://www.monde-diplomatique.fr/2019/12/OTASEVIC/61096.
- 27Exemple, parmi d’autres, entendu par l’auteur lors d’une réunion avec des bénévoles : « il faut apprendre l’hygiène à ces pauvres gens » !
- 28D’après les constations du séminaire international de septembre 2025.
- 29Carracillo, C., Agir pour la justice sociale dans le monde – Entraide et Fraternité/Action Vivre Ensemble 1961 – 2021, Bruxelles, 2021.





