2 dessins. 1 : un homme noir se libère d'une boule de prisonnier intitulé "colonialisme" et sur laquel se trouve un homme blanc avec un fusil. 2 : un homme noir attaché à une boule de prisonnier intitulé "dette" et sur laquel se trouve un homme blanc avec une malette et une clé
Analyses

La dette écologique, l’autre dette qui lie Nord et Sud

par Jean-François Lauwens
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Résumé

La crise de la dette actuelle est d’une gravité extrême mais très peu connue du public. Selon les Nations unies, certains pays en développement consacrent désormais plus d’argent au remboursement de leur dette extérieure qu’à la lutte contre les changements climatiques. Ces pays subissent une double peine : ils sont non seulement les plus pauvres et les plus vulnérables mais aussi les moins responsables des changements climatiques et les moins armés financièrement pour en atténuer et réparer les dégâts.

L’année 2025 est celle du Jubilé d’Espérance voulu par le pape François : comme en 2000, l’annulation des dettes du Sud est pointée comme une mesure de justice à prendre par la communauté internationale. Dans la lignée de Laudato Si’,  le pape argentin insiste également sur la dette écologique, désormais liée à la dette souveraine du fait de l’exploitation des richesses des Suds par les pays du Nord et de ses graves conséquences environnementales pour ces pays en difficulté.

Tout au long de l’année 2025, une pétition mondiale, relayée en Belgique par Entraide et Fraternité, mettra la dette sur le devant de la scène. Elle demande la création d’un cadre permanent et multilatéral au sein de l’ONU et une réforme du système financier mondial.

Aussi, plus que jamais, des solutions sont recherchées qui puissent à la fois contrer la crise financière et la crise climatique. Décriée par les tenants d’une peu probable annulation pure et simple, la méthode « swap dette contre nature /climat » pourrait toutefois s’imposer comme la solution la plus réaliste, à défaut d’être irréprochable. Cette façon d’aborder la dette écologique met aussi l’accent sur la tension entre une vision de pure justice sociale et environnementale et une approche plus centrée sur le développement durable et donc l’économie.

« Si nous voulons vraiment préparer la voie à la paix dans le monde, engageons-nous à remédier aux causes profondes des injustices, apurons les dettes injustes et insolvables et rassasions les affamés. » Ces propos sont ceux du pape François dans la bulle dite d’indiction Spes non confundit du Jubilé 20251Spes non confundit – Bulle d’indiction du Jubilé ordinaire de l’Année 2025 (9 mai 2024) | François.


Ils situent bien l’un des enjeux de l’année jubilaire (Jubilé d’Espérance), enjeu remis au goût du jour par Jean Paul II en 20002Message du Jean Paul II au groupe « Jubilee 2000 Debt Campaign » (23 septembre 1999) : l’annulation de la dette des pays du Sud. « Je voudrais adresser une invitation pressante, destinée aux nations les plus riches pour qu’elles reconnaissent la gravité de nombreuses décisions prises et qu’elles se décident à remettre les dettes des pays qui ne pourront jamais les rembourser. C’est plus une question de justice que de magnanimité, aggravée aujourd’hui par une nouvelle forme d’iniquité dont nous avons pris conscience. Il y a, en effet, une vraie dette écologique, particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles, historiquement pratiquée par certains pays », disait encore le pape François.

Notons que le Souverain Pontife parle bien des dettes qui ne pourront jamais être remboursées. « Pour ces pays, une sage gestion de la banque créancière devrait prendre acte du fait que, de toutes les façons, elle ne récupérera pas le capital qu’elle a prêté et seulement une partie des intérêts3Allusion au roulement de la dette : pour un État, le roulement de la dette publique consiste à rembourser le principal des emprunts au moyen de nouveaux emprunts.. Par conséquent, et puisqu’il s’agit d’annuler les dettes souveraines des pays qui ne pourront jamais la rembourser, il faut se rendre à l’évidence : l’annulation ne fait que prendre acte d’une perte que le secteur bancaire devrait avoir déjà enregistrée dans ses comptes. C’est finalement la sanction de la mauvaise gestion des banques créancières dont la tâche est précisément de veiller à ce que les crédits qu’elles accordent ont une probabilité raisonnable d’être remboursés en temps et en heure. Le capitalisme repose-t-il sur un autre critère que celui-ci : les bons gérants sont récompensés par leurs profits, et les mauvais, sanctionnés par leurs pertes ?4Centre Avec : Financer la bifurcation énergétique, créer de la monnaie, remettre les dettes : contes de fée ou réalisme ? », écrit le théologien et économiste Gaël Giraud5Au sujet du poids de la dette des pays du Sud pour les banques, lire Dette du sud : les banques peuvent-elles s’en laver les mains ? par Renaud Vivien et Aline Farès, étude, Entraide et Fraternité, 2023.

À la différence de Jean Paul II, François s’inscrit dans une époque profondément marquée par le dérèglement et les catastrophes climatiques, sujet qui ne faisait que naître dans les médias dans les années 1980 et 1990. Les textes les plus influents du pape argentin comme Laudato Si’ et Laudate Deum en sont les témoins puisque cette thématique occupe désormais une place centrale dans la doctrine romaine. Il y a théorisé son idée de l’écologie intégrale, à savoir que toutes les composantes (économique, sociale, écologique, culturelle…) de la vie sont interdépendantes (« Tout est lié ») et que c’est une approche globale qui doit guider la sauvegarde de notre « Maison commune ».

La dette avant les populations

L’appel de François prend donc en compte à la fois l’interprétation biblique de la remise de dette6Voir Jubilé 2025 : en finir avec la dette ?, Jean-Claude Brau, avec Jean-François Lauwens, analyse, Entraide et Fraternité, mars 2025 mais aussi le fait que la crise de la dette financière est désormais conjuguée, dans la plupart des pays de la planète et tout spécialement des Suds, à des crises environnementales et climatique. Selon les Nations unies, certains pays en développement consacrent désormais plus d’argent au remboursement de leur dette extérieure qu’à la lutte contre les changements climatiques7ONU Geenève : Pays en développement : plus d’argent consacré au remboursement de la dette qu’à la lutte contre les changements climatiques. Par exemple, les 58 pays les moins avancés (PMA) ont consacré en 2022 54 milliards d’euros au remboursement de leur dette, alors qu’ils n’ont reçu que 27 milliards au titre du financement de l’action climatique, dont la moitié (13,6 milliards) sous la forme de prêts.

Autre exemple : en 2024, les pays africains, qui représentent à eux tous moins de 5% des émissions mondiales de carbone et utilisent déjà en moyenne 95% d’énergie propre pour leurs activités économiques, ont dû payer 150 milliards d’euros au titre du service de la dette. La dette contractée ou garantie par l’État dans les pays émergents et les pays en développement a plus que doublé depuis la crise financière mondiale de 2008. Celle-ci est passée de 1284 milliards à 3300 milliards en 2021. « Dans ces conditions, une soixantaine de pays sont actuellement surendettés ou proches du surendettement. Le service de la dette a ainsi absorbé en moyenne 38% des recettes publiques en 2023. En Afrique, cette proportion s’élevait à plus de 50%. Aujourd’hui, environ 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays consacrant plus d’argent au paiement des intérêts de leur dette qu’à la santé et à l’éducation ou même à la lutte contre le changement climatique », a expliqué Attiya Waris, experte indépendante du Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits de l’Homme en présentant récemment son rapport sur le paysage du financement climatique et de la dette8OHCHR : A/HRC/58/51 : Comprendre les interdépendances entre les droits de l’homme et le financement de l’action climatique, la dette, la fiscalité et les flux financiers illicites.

Pour le FMI (Fonds monétaire international), le constat est sans appel : « La dette publique mondiale est probablement pire qu’il n’y paraît. Elle devrait dépasser les 100 000 milliards de dollars, soit environ 93% du produit intérieur brut mondial, à la fin de (2024) et approchera les 100% du PIB en 2030. Cela représente 10 points de pourcentage du PIB de plus qu’en 2019, c’est-à-dire avant la pandémie. Si le tableau n’est pas homogène – la dette publique devrait se stabiliser ou diminuer pour deux tiers des pays -, (…)  les niveaux d’endettement futurs pourraient être encore plus élevés que prévu.9International Monetary Fund : Global Public Debt Is Probably Worse Than it Looks »

En résumé, de nombreux pays parmi les moins favorisés de la planète et les plus victimes du dérèglement climatique sont dans l’incapacité de rencontrer les besoins sanitaires, alimentaires, de santé, d’éducation, etc. de leurs populations et de répondre aux défis posés par le réchauffement climatique alors même qu’ils figurent parmi les moins responsables de cette situation et qu’ils ont le moins de moyens pour lutter contre ces dégâts. À l’heure où les gouvernements occidentaux (coupes budgétaires dans la Coopération en Europe et en Belgique, suppression de 83% des programmes de l’agence USAid par Trump) font peser un risque existentiel sur la Coopération au développement, la résolution de la crise de la dette est d’autant plus indispensable pour la planète et ses habitant.es. Et cela passe évidemment par une limitation de l’atteinte à l’aide publique au développement (APD).

Pour la Cnuced (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement), il faut « un cadre juridique multilatéral pour la restructuration et l’allègement de la dette souveraine. Ce cadre devrait permettre les moratoires temporaires, les arrêts de contentieux et les prêts aux pays en situation d’arriérés de paiement afin de protéger la capacité des pays débiteurs à respecter leurs obligations économiques, sociales et en matière de droits de l’homme pendant une crise »  et « l’adoption d’instruments liés au changement climatique afin de permettre une suspension automatique et temporaire des paiements de la dette, après qu’un pays endetté ait subi une catastrophe climatique causant des dommages dépassant des seuils prédéfinis.10ONU commerce et développement (CNUCED) : La dette mondiale et les crises climatiques sont étroitement liées : Voici comment faire face aux deux»

Pourquoi une crise d’une telle gravité (si peu connue) ?

Il y a longtemps que les crises de la dette se succèdent mais il est vrai que, passé l’épisode grec de 2008-2015, elles ont disparu des radars médiatiques des pays du Nord. Alors comment expliquer cette nouvelle aggravation rendue plus complexe par le fait que 60% des dettes des pays en difficulté sont détenues par des créanciers privés ?

À partir de 2020, explique le CADTM (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes)11CADTM : Depuis 2020-2022, une nouvelle crise de la dette [Partie 2], plusieurs phénomènes ont réduit les recettes en devises extérieures collectées par les États des Suds. Ces rentrées, de dollars principalement, sont nécessaires à ces pays pour importer ce qu’ils ne produisent pas et pour payer leur dette extérieure. Ces recettes extérieures sont notamment fournies par les exportations et le tourisme. Or, plusieurs chocs ont tari l’afflux de devises extérieures vers les pays des Suds : la crise du Covid-19 a réduit à néant le tourisme international en 2020-2021 ; l’agression de la Russie en Ukraine en février 2022 a, dans un premier temps, provoqué une hausse des prix des céréales et des engrais chimiques ; la hausse des taux d’intérêt, décidée unilatéralement par la Banque centrale européenne, la Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre à partir de 2022, a provoqué une hausse mécanique des intérêts payés par les pays et les entreprises du Sud global. « Ils ont dû rembourser plus avec moins, en payant davantage d’intérêts. » Plusieurs pays du Sud global sont entrés en défaut de paiement, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus eu assez de devises extérieures (principalement des dollars) pour continuer à payer leur dette et à assurer leurs importations. Ce fut le cas pour la Zambie en 2020, pour le Ghana et le Sri Lanka en 2022, et pour l’Éthiopie en 2023.

La dette écologique : croissance versus environnement ?

De quoi parle-t-on quand on parle de dette écologique, comme l’a fait le Pape, notamment ? Le concept n’est pas nouveau : « Née lors de la troisième conférence des Nations unies sur les femmes, à Nairobi, en 1985, l’expression n’a cessé d’évoluer. Si elle a d’abord été l’apanage des écologistes, les économistes se sont emparés de la notion afin d’en élaborer une interprétation comptable. (…) Selon cette perspective, la dette écologique est réinterprétée en fonction d’un objectif de développement durable. Ses promoteurs, qui veulent réconcilier croissance économique et protection de l’environnement, cherchent à défendre les intérêts non plus seulement des pays du Sud, mais plus généralement des générations futures. (…) Une conception concurrente de la dette écologique, née elle aussi dans les années 1990, se relie plutôt à la notion de justice environnementale. Portée par des communautés rurales ou des minorités sociales, elle invoque une double réparation, matérielle et culturelle. Il s’agit de restaurer des territoires particuliers qui ont été dégradés, mais aussi d’envisager les effets de ces dégradations sur les communautés, et pour cela de mettre en question les conceptions généralement admises, dans les pays occidentaux, de l’environnement ou de la nature. (…) Ces deux grandes approches, par le développement durable ou par la justice environnementale, sont-elles incompatibles ? (…)12La dette écologique, un concept monnayable ? dans Le Monde du 27/11/2024»

La question de cette tension « économie contre environnement » est d’autant plus pertinente que ces deux approches peuvent cohabiter par consensus. Ainsi, récemment, le Conseil consultatif sur la cohérence des politiques en faveur du développement (CCPD), composé d’académiques et de représentants des ONG et qui a pour mission de donner des avis aux autorités fédérales, a-t-il formulé quatre recommandations en matière de restructuration de la dette. On y retrouve tout à la fois la promotion de l’instauration d’un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette souveraine, la lutte contre les fonds vautours (qui spéculent sur la dette) et la participation des créanciers privés (banques, fonds d’investissement…) aux efforts de restructuration de la dette13Entraide et Fraternité a participé en 2024 à la rédaction d’une proposition de loi en ce sens, qui n’a pu être votée en raison de la fin de la législature : Entraide et Fraternité auditionné à la Chambre en vue d’une loi sur l’allègement des dettes des pays du Sud – Entraide et Fraternité mais aussi la promotion de « l’instauration d’une initiative multilatérale permettant de restructurer les dettes publiques insoutenables et de les convertir en investissements durables14La restructuration de la dette extérieure des pays en développement. »

Dans le dernier numéro d’Alternatives Sud15Business vert en pays pauvres, Alternatives Sud, XXXII-2025/1, Syllepse., le Cetri (Centre tricontinental) dénonce justement cette « grande hypocrisie verte Nord-Sud », ce « nécolonialisme vert » : « À partir de quel moment doit-on colorier en vert de très actuelles entreprises d’exploitation de territoires étrangers ou de nouvelles dynamiques d’assujettissement politico-économique d’anciennes colonies ?  La réponse est simple : dès que ces entreprises et dynamiques invoquent des motifs écologiques pour justifier leur ingérence. En d’autres mots, dès qu’un acteur dominant, public ou privé, mobilise des raisons de préservation de la biodiversité ou de sauvegarde des équilibres climatiques pour légitimer ses interventions intéressées en terrain dominé, l’utilisation de la formule ‘néocolonialisme vert’ prend tout son sens », répond Bernard Duterme. L’échange « dette contre nature » en est alors un de ses avatars. « Au lieu de l’honorer à la hauteur et à la vitesse requise, cette dette écologique, les grandes puissances économiques, publiques et privées, sont occupées à la creuser davantage encore. En menant des politiques dites de développement durable ou de green growth, qui tendent à aggraver les fractures sociales et environnementales. »

En résumé, de nombreux pays parmi les moins favorisés de la planète et les plus victimes du dérèglement climatique sont dans l’incapacité de rencontrer les besoins sanitaires, alimentaires, de santé, d’éducation, etc. de leurs populations et de répondre aux défis posés par le réchauffement climatique alors même qu’ils figurent parmi les moins responsables de cette situation et qu’ils ont le moins de moyens pour lutter contre ces dégâts

L’échange « dette contre nature ou climat », la solution la plus rationnelle ?

Depuis un moment déjà (depuis même les années 80), existe (et est appliquée ici et là) l’idée d’une conversion de la dette insoutenable en obligations vertes : « En contrepartie d’une réduction significative du stock de la dette, les pays en développement devraient s’engager à utiliser les fonds libérés pour financer des politiques alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et de l’Agenda 2030 des Nations unies pour le développement durable. Une telle mesure permettrait à la fois d’éviter des défauts de paiement désordonnés et de garantir aux pays en développement une marge d’action suffisante pour financer les objectifs climatiques et de développement durable.16https://www.cncd.be/Convertir-les-dettes-insoutenables » Une approche qui peut être tempérée par le fait que ce sont les pays qui sont les plus gros responsables des catastrophes climatiques qui sont les plus réticents à réduire leur train de vie dans cet objectif…

En 2023, l’Union européenne a, via la BEI (Banque européenne d’investissement), a annoncé lancer sa première opération de swap (échange) « dette contre nature »17Les Échos, 21 juin 2023 L’UE se lance dans les swaps « dette contre nature » Une initiative qui venait peu après l’annonce du plus grand échange mondial de dette en faveur de la protection de la nature jamais réalisé, à savoir de la réduction de 1,6 milliard de dollars (1,47 milliard d’euros) de la dette de l’Équateur par la Banque interaméricaine de développement (BID) contre l’obligation de consacrer 413 millions d’euros à la protection de la faune et de la flore des îles Galapagos.

Encouragée par les grandes institutions financières ou onusiennes et par de grandes ONG de protection de la nature (WWF, TNC…) mais aussi souhaitée par certains pays du Sud (l’Afrique du Sud, le Gabon, le Kenya, Madagascar, la Tanzanie, Maurice…), cette pratique est souvent critiquée quant à son efficacité, au-delà du cas de la préservation de sites en danger. Ce swap s’apparenterait « plus à un nouvel outil de domination néocoloniale qu’à un mécanisme de lutte contre les crises environnementales et d’endettement. Ces dispositifs dépouillent les populations locales et les gouvernements de leur souveraineté en permettant aux acteurs du Nord – essentiellement privés – de continuer à contrôler les ressources naturelles et les territoires des pays du Sud, tout en profitant des vulnérabilités financières de ces derniers.18Échange dette-nature 2.0,une solution en trompe-l’œil, Maxime Perriot et Pablo Laixhay, analyse, Entraide et Fraternité, 2024 entraide.be/publication/analyse2024-10 »

Ce dispositif « dette contre nature » est également attaqué pour d’autres raisons. « Les échanges dettes-nature sont depuis leur lancement critiqués par de nombreuses organisations de petit·es agriculteur·ices ou de peuples indigènes, notamment à l’occasion du Sommet de la Terre de 1992, de plus en plus d’acteurs remettent lourdement en question leurs impacts supposément positifs tant sur la préservation de l’environnement que sur la situation d’endettement, mais s’inquiètent également de leurs répercussions sur la souveraineté territoriale des États.19Ibidem, en particulier p. 2 -3. pour le développement des critiques adressées à ce système.»

Pourtant, l’échange « dette contre nature ou climat » « semble être une solution moins ambitieuse mais plus réaliste que les simples annulations. (…) De manière générale, le marché potentiel des échanges « dette contre nature » a atteint plus de 800 milliards de dollars en 2023 et continue de croître. Ces montants montrent que le potentiel total des swaps de dette pour le climat est bien plus important que les montants actuellement réalisés. De plus, les montants actuels des échanges sont souvent considérés comme symboliques par rapport aux besoins totaux d’investissement pour la transition climatique.20Centre Avec : Financer la bifurcation énergétique, créer de la monnaie, remettre les dettes : contes de fée ou réalisme ?»

D’aucuns considèrent en effet que l’exigence d’une annulation complète de la dette des pays du Sud est un objectif irréaliste au regard de l’ordre financier mondial, quand bien même, comme le rappelle Gaël Giraud, « l’obligation faite aux États de se financer auprès des marchés a largement contribué au triplement de la dette publique mondiale que déplore le FMI, elle est responsable de plus de la moitié des dettes publiques actuelles, et elle a principalement servi à enrichir les élites prioritairement responsables du désastre écologique. Alors, ne serait-ce pas plutôt justice et sagesse que d’annuler une (modeste) partie de cette dette pour les pays exsangues, en vue de contribuer à financer de quoi sauver notre “Maison commune” ?21Centre Avec : Faut-il annuler les dettes publiques des pays insolvables ?»

Conclusion

Les recommandations et considérations ci-dessus, pour pertinentes qu’elles soient, n’en demandent pas moins une refonte que l’on pourrait qualifier de morale d’un certain nombre de perspectives dont il faut bien avouer qu’elles ne sont pas dans l’air du temps dominé par le trumpisme, l’extrême droite et leurs avatars plus ou moins brutaux. Ainsi, résume très bien leprofesseur Stefano Zamagni, président de l’Académie pontificale des sciences sociales dans un document réflexif sur le lancement du Jubilé22Disponible à cette adresse Transformer la dette en espoir sous l’onglet ”Téléchargez le pack de campagne”, ces évolutions nécessitent de relancer le multilatéralisme mondial pour créer des institutions de paix viables et de transformer l’économie actuelle en une « économie fraternelle », qui ne repose pas que sur la valeur, où les entreprises ne se contentent pas de faire des profits, où le système financier inclut des paramètres sociaux et environnementaux et où la fixation des règles vise le bien commun et non les intérêts particuliers. C’est malheureusement l’exact inverse du spectacle qu’il nous est donné à voir depuis quelques années et singulièrement depuis le début de la présidence Trump qui, qu’on le veuille ou non, a valeur d’exemple mondial, vu le poids de la puissance américaine dans l’ordre international.

Pour la société civile, y compris les associations extérieures au monde chrétien, le Jubilé, doublé du 10e anniversaire de Laudato Si’ en mai 2025, apparaît comme une occasion de remettre les enjeux liés à la dette du Sud au centre de l’attention. Menée à l’échelle mondiale par Caritas Internationalis, la campagne « Transformer la dette en espoir »23Transformer la dette en espoir est relayée en Belgique francophone par Entraide et Fraternité. Destinée aux décideurs mondiaux comme belges, une pétition peut être signée sur le site annulerladette.be.  

Que demande cette pétition24La pétition se trouve sur annulerladette.be ?

  1. de mettre fin à la crise de la dette maintenant en annulant les dettes injustes et insoutenables, sans conditions de politique économique ;
  2. d’empêcher que les crises de la dette se reproduisent en s’attaquant à leurs causes profondes, en réformant le système financier mondial pour donner la priorité aux personnes et à la planète ;
  3. d’établir un cadre permanent, transparent, contraignant et global de la dette au sein des Nations unies.  
Avec le soutien de