« Nous continuerons à réclamer nos terres et nos droits », affirment les communautés.
Des communautés ivoiriennes exigent d’être indemnisées pour les préjudices causés par les activités de la société belge SIAT, spécialisée dans la production de caoutchouc et d’huile de palme. Soutenues par des organisations européennes de défense des droits humains, elles ont mandaté des avocates belges pour déposer leurs exigences ce lundi 9 septembre au siège de l’entreprise à Zaventem.
Les conflits fonciers et sociaux dans les plantations de palmiers à huile et d’hévéas de SIAT perdurent depuis trop longtemps et doivent être résolus. Depuis plus d’une décennie, des communautés au Ghana, au Nigeria et en Côte d’Ivoire se lèvent pour dénoncer les multiples atteintes à leurs droits suite aux activités du groupe SIAT. Elles accusent l’entreprise d’accaparement de terres, de déforestation, d’atteinte à leur sécurité alimentaire, et d’autres violations de droits humains. Selon ces dernières, l’entreprise est aussi complice d’une répression qui a causé l’arrestation et la détention arbitraire de plus de 70 personnes, mené à la mort de deux personnes et laissé des dizaines de blessés.
Ce lundi 9 septembre, une dizaine de représentants des communautés de Prikro en Côte d’Ivoire ont remis au Groupe SIAT une demande d’indemnisation [accessible ici] via l’intermédiaire de FIAN et Entraide et Fraternité. Ils réclament un dédommagement à hauteur de plus d’un milliard de Francs CFA (soit plus de 1,6 million d’euros) pour l’ensemble des préjudices subis et se positionnent comme premiers créanciers de la multinationale.
« Le montant peut paraître élevé et pourtant il ne nous permettra jamais de compenser la détresse et l’enfer que nous avons vécus. Comment évaluer monétairement les tortures subies en prison ? Comment évaluer l’impact des mois et des mois de détention arbitraire? Combien pour ne pas avoir pu nourrir nos enfants, faute de terres à cultiver, pendant des années ? », témoigne un porte-parole des communautés, lui-même LANDGRABBED (trailer) arbitrairement détenu en prison pour plus de six mois.
L’avocate Pauline Delgrange confirme « Nos clients ont subi des pertes et préjudices considérables en raison des activités fautives de SIAT SA pendant plusieurs années. SIAT SA a l’obligation de réparer les dommages qu’elle a causés. La démarche est peu courante mais tout à fait fondée ».
Ce mercredi 11 septembre, une projection du nouveau documentaire « Landgrabbed », réalisé par Magdalena Krukowska, se tiendra à 17h à la Maison Européenne des Auteurs et des Autrices à Bruxelles. Le film revient sur la lutte de ces communautés d’Afrique de l’Ouest face à SIAT. La projection sera suivie à 18h30 d’un débat sur “Le rôle de l’Union européenne dans les négociations à Genève d’un Traité contraignant des Nations unies contre l’impunité des entreprises, en matière de droits humains”, en présence de représentant-es de la Commission européenne, du gouvernement belge et de la société civile.
La presse est bienvenue et peut demander un lien de visionnage du film en avant-première.
Éléments de contexte
- SIAT est spécialisée dans la production de caoutchouc et d’huile de palme. Elle fait partie des cinq grandes entreprises qui contrôlent à elles seules 75 % des plantations de palmiers à huile en Afrique. Elle vend ses produits à base d’huile de palme à de grandes multinationales telles que Unilever (Royaume-Uni) et Nestlé (Suisse), et ses produits en caoutchouc alimentent les chaînes d’approvisionnement de géants internationaux du pneumatique tels que Michelin (France) et Goodyear (Etats-Unis).
- En juin 2022, des représentant-es des communautés et des ONG africaines qui les soutiennent (JVE Côte d’Ivoire, JVE Ghana et FoE Nigeria) se rendent à Bruxelles pour faire pression sur la multinationale. Des rencontres avec des responsables politiques sont organisées et une action est organisée devant les bureaux de SIAT. Une lettre est remise au CEO pour demander une rencontre sur place avec les communautés affectées. Malgré ses engagements, SIAT n’a pas donné de réelle suite à ces rencontres.
- Toujours en 2022, et suite à d’importants problèmes financiers, SIAT décide de fermer sa filiale ivoirienne à Prikro, pour céder son bail emphytéotique sur 5.000 ha à la Banque NSIA et ainsi éteindre sa dette. À la même période, l’entreprise vend également ses filiales au Gabon et au Cambodge.
- En 2023, la famille belge Vandebeeck, actionnaire majoritaire via son holding Fimave, revend le groupe qu’elle a créé en 1980 au conglomérat nigérian Saroafrica. La transaction est définitivement conclue en mars 2024, et la société Oak & Saffron Limited, filiale du groupe nigérian Saroafrica, acquiert 86 % du groupe SIAT, pour un montant estimé à plus de 200 millions d’euros.
- Aujourd’hui sous contrôle nigérian, la société a encore des liens importants avec la Belgique : son siège se trouve toujours à Zaventem ; sa filiale gantoise Deroose Plants (spécialisée dans les cultures ornementales et tropicales) fait encore partie du groupe, deux investisseurs publiques belges (Société Fédérale de Participations et d’Investissement (SFPIM) et la société d’investissement publique flamande (PMV)) sont toujours liés à SIAT ; les banques Belfius, KBC et la PMV ont dû renoncer à (une partie) de leurs créances dans le cadre de la réorganisation judiciaire en 2023.
- Le groupe de travail belge « Corporate Accountability » est une coalition composée d’une vingtaine d’organisations de la société civile belge, dont les deux coupoles d’ONG 11.11.11 et CNCD-11.11.11, les trois syndicats belges (ACLVB-CGSLB, ACV-CSC, ABVV-FGTB) et diverses ONG (dont FIAN et Entraide et Fraternité). Ensemble, ils plaident en faveur d’une législation efficace sur le devoir de vigilance aux niveaux international, européen et belge. CIDSE collabore à ce plaidoyer au niveau onusien et européen.
Vidéos
- Bande-annonce du documentaire « Landgrabbed », réalisé par Magdalena Krukowska qui sera projeté le 11 septembre à Bruxelles.
- Vidéo « MADE IN IMPUNITY (1/3) Caoutchouc belge de Côte d’Ivoire » qui résume le cas (4:33’)
- Interview des représentant-es des communautés affectées :
- Côte d’Ivoire : SIAT Lobby Tour 2022 : interview des représentant.e.s – YouTube
- Vidéo de l’Action devant les bureaux de SIAT : SIAT Lobby Tour 2022 : Public Action in front of SIAT Office #brussels (youtube.com)
Contacts
Florence Kroff, FIAN Belgium, +32 475845624 – florence@fian.be
Francesca Monteverdi, Entraide et Fraternité, +32 456152125 – francesca.monteverdi@entraide.be
Elise Kervyn, CNCD-11.11.11, + 32 488703208 – elise.kervyn@cncd.be
Susana Hernández, CIDSE, +32 456204075, hernandez@cidse.org
Possibilité d’interview avec des représentant·es des communautés affectées et des organisations en Côte d’Ivoire et au Ghana.
Signataires
ADDE – Côte d’Ivoire ;
CIDSE – Europe ;
CNCD-11.11.11 – Belgique ;
Entraide et Fraternité – Belgique ;
FIAN Belgium – Belgique ;
JVE Côte d’Ivoire (Jeunes Volontaires pour l’Environnement) – Côte d’Ivoire ;
JVE Ghana (Jeunes Volontaires pour l’Environnement) – Ghana.