Par Renaud Vivien (coordinateur du service politique d’Entraide et Fraternité), Milan Rivié (chargé de recherche et de plaidoyer au CADTM) et Antonio Gambini (chargé de recherche au CNCD-11.11.11)
Dans son allocution télévisée du 13 avril, le président français Emmanuel Macron annonçait « l’annulation massive de la dette » des pays africains pour les aider à lutter contre le coronavirus et à surmonter la crise économique. Cet engagement fut de courte durée. En moins de vingt-quatre heures l’« annulation massive » se transformait en un simple report de paiement sur une partie de la dette des 77 pays classés parmi « les plus pauvres ».
S’exprimant à l’occasion d’un point presse, le ministre français de l’Économie et des Finances annonçait dès le lendemain, avoir trouvé un accord au sein du Club de Paris et du G20 (deux groupes informels représentant les principaux États créanciers), pour seulement suspendre le remboursement d’une partie de la dette due en 2020 par ces 77 pays.
Confirmé ce 15 avril lors de la réunion des ministres des Finances du G20, ce moratoire partiel n’est absolument pas à la hauteur de la crise et contredit même le président français.
Premièrement, l’accord conclu par les principaux États créanciers exclut de nombreux pays frappés par le Coronavirus. Le moratoire annoncé ne concerne que 77 pays pour autant qu’ils ne soient pas déjà en retard de paiement envers le FMI et la BM. Leurs dettes cumulées représentent moins de 10 % de la dette extérieure publique des pays en développement.
Deuxièmement, le moratoire ne porte que sur une partie des dettes des 77 pays concernés. Seul le paiement de 12 milliards de dollars sur les 32 milliards prévus pour 2020 (soit 37,5 %), correspondant aux dettes bilatérales à l’égard des Etats créanciers, devrait pour le moment être suspendu. L’accord prévoit seulement que les créanciers privés (dont les grandes banques) qui détiennent 8 milliards de créances sur ces pays participeront aux efforts d’allègement « sur une base volontaire ». S’agissant des 12 milliards de dollars de créances de la Banque mondiale, rien n’est encore décidé. Les États, dont la Belgique qui dispose d’un pouvoir d’influence politique important au sein de cette organisation, devrait donc plaider énergiquement pour une annulation immédiate des dettes dues à la Banque mondiale.
Troisièmement, il n’y a aucun engagement de ces grands créanciers pour annuler des dettes. Les remboursements attendus en 2020 seront toujours dus en 2022 et majorés des intérêts accumulés sur la période. Les paiements de dettes ainsi reportés seront majorés de 12,3 milliards de dollars, passant de 23 milliards à 35,3 milliards !
Même la France fait marche arrière. Le ministre français de l’Économie et des Finances se contente de dire que « Si dans certains États les plus pauvres de la planète il apparaît que la dette n’est pas soutenable (…) cela pourra nous conduire, comme l’a indiqué le président de la République, à une annulation de dette qui se fera donc au cas par cas et nécessairement dans un cadre multilatéral ». Autrement dit, contrairement à l’effet d’annonce d’Emmanuel Macron, la France ne prendra aucune décision sur ses propres créances bilatérales à l’égard des pays africains, même si le poids de ces dettes empêche les populations de se soigner ou que ces dettes sont odieuses ou illégitimes.
A la place, la France s’en remet donc au « multilatéral », entendez-ici la Banque mondiale, le FMI et le Club de Paris, pour décider d’annuler ou non les dettes des États en crise. Ces trois organisations, au sein desquelles les États les plus riches dont la France ou la Belgique sont surreprésentés, imposent depuis près de quarante ans des coupes budgétaires dont celui de la santé. Ce trio a déjà annoncé dans le passé des annulations de dettes soi-disant « historiques » qui ne faisaient, dans les faits, que perpétuer leur domination sur les pays débiteurs et ne réglaient en rien leur surendettement sur le moyen terme.
Le FMI et la Banque mondiale ont mis à l’agenda de leur réunion du 17 avril cette question urgente des dettes publiques. Quelle sera la position de la Belgique ? Compte-t-elle demander l’annulation immédiate de dettes contractées à l’égard de la Banque mondiale et du FMI, sans la conditionner à la mise en place de réformes favorisant les privatisations, la dérégulation et la libéralisation des échanges ? Compte-t-elle plaider en leur sein pour éliminer des programmes existants les conditionnalités qui entravent les capacités des États à faire face à la crise ? Personne ne le sait, pas même le gouvernement lui-même à en croire le cabinet du ministre des Finances et de la Coopération au Développement, Alexander De Croo .
La situation est pourtant urgente. Des recommandations claires sont formulées par la CNUCED (Conférence des Nations-Unies sur le Commerce et le Développement) dans son rapport du 30 mars 2020. Cet organe de l’ONU appelle notamment à un moratoire immédiat sur la dette de tous les pays du Sud en difficulté suivi d’une annulation d’au moins 1000 milliards de dollars. Pour assurer un traitement équitable aux pays débiteurs, la CNUCED appelle à la création d’un nouveau mécanisme international hors du contrôle du FMI, de la Banque mondiale et du Club de Paris.
Plus de 200 organisations de la société civile demandent également, dans un appel international, un Jubilé 2020 de la dette se traduisant par de véritables annulations de dettes pour permettre aux pays du Sud de faire face aux crises sanitaires, sociales, et économiques déclenchées par le COVID-19.