La transition vers une agriculture durable implique aussi une révision de la politique commerciale de l’UE
Toujours en négociation, l’accord UE-Mercosur va à l’encontre de nécessaires politiques cohérentes, qui garantissent une rémunération suffisante et permettent de travailler dans le respect de l’environnement et des droits sociaux
Plusieurs organisations agricoles se mobilisent une nouvelle fois à Bruxelles pour demander des réponses concrètes à une crise agricole qui dure depuis longtemps. Les mesures environnementales et les coupes au budget de la dernière politique agricole commune ont fait éclater la rage des agriculteurs européens, mais le problème se cache ailleurs.
Malgré la diversité des voix agricoles, la majorité d’entre elles dénoncent le modèle actuel des accords commerciaux de l’Union européenne. Les politiques de libre-échange et la concurrence qu’elles engendrent ont conduit à des revenus agricoles de plus en plus bas, à une concentration du marché entre les mains de quelques grands acteurs et à une course au moins-disant environnemental et social. Selon la FAO, le coût social et environnemental caché du modèle agricole industriel est équivalent à au moins 10 000 milliards de dollars par an, soit 10 % du produit intérieur brut mondial.
L’Europe demande de plus en plus aux agriculteurs et en même temps, elle continue de négocier des accords de libre-échange qui ouvrent le marché européen à des produits qui ne respectent pas les mêmes normes de production et baissent les prix. Les agriculteurs demandent avant tout de la cohérence à l’UE.
L’accord UE-Mercosur : une concurrence déloyale au détriment de tous
Alors que les agriculteurs manifestent dans toute l’Europe, la Commission européenne continue de faire pression pour finaliser l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay et Paraguay). S’il entre en vigueur, il deviendra l’un des plus importants accords commerciaux au monde. Cependant, cet accord favorable aux multinationales stimulerait le commerce de produits nocifs entre les deux régions, en supprimant la plupart des droits de douane sur les biens.
En négociations depuis 25 ans, cet accord se base sur un modèle économique dépassé. L’UE en bénéficiera pour son industrie automobile, chimique et pharmaceutique, tandis que le Mercosur pour l’exportation de produits agricoles et de minerais. Les gains espérés par l’industrie bovine du Mercosur et de l’industrie automobile européenne ont conduit les observateurs à qualifier UE-Mercosur d’accord “voitures contre vaches”.
Cet accord renforce une concurrence déloyale entre les agriculteurs européens et l’agro-industrie sud-américaine. Par exemple, les exportations de bœuf, dont 99 000 tonnes bénéficieront de tarifs réduits, suscitent des préoccupations des éleveurs européens et belges qui craignent l’impact prévisible sur les prix.
Les produits concernés par l’accord (soja, viande de bœuf, volaille, éthanol, sucre…) sont parmi les principaux facteurs de déforestation, d’émissions de gaz à effet de serre, de conflits fonciers et de violations des droits humains. Les pesticides utilisés dans la production de ces produits posent aussi des risques de santé. Entre 2018 et 2019, l’UE a exporté vers le Mercosur près de 7 millions de kilos de pesticides dont l’utilisation est interdite sur le territoire de l’UE.
Des mesures miroir pour assurer la transition agricole
L’une des principales revendications des syndicats agricoles est de stopper l’accord UE-Mercosur. Les accords de libre-échange ont entraîné la déréglementation des marchés, la précarité de l’emploi et de faibles revenus pour les agriculteurs. Des années de politiques néolibérales ont causé la disparition de milliers de petits et moyens agriculteurs. La Belgique a perdu 70 % de ses fermes en 40 ans.
Les agriculteurs ne peuvent survivre à long terme que s’ils obtiennent des prix justes et stables. Les réponses proposées par la Commission européenne, comme l’abandon du règlement sur les pesticides et la prolongation de la dérogation de mise en jachère dans la nouvelle PAC, ne font qu’aggraver le problème. Les agriculteurs revendiquent la nécessité de politiques cohérentes qui leur garantissent une rémunération suffisante pour faire leur travail dans le respect de l’environnement et des droits sociaux.
Harmoniser les normes
La transition vers une agriculture durable implique aussi une révision de la politique commerciale de l’Union européenne. Pour assurer la cohérence et atteindre les objectifs du Pacte vert, l’UE doit harmoniser les normes de production entre les produits européens et importés. Des mesures miroirs pourraient conditionner l’accès au marché européen au respect de normes environnementales, sociales et sanitaires. Par exemple, cela empêcherait les entreprises d’exporter des pesticides interdits en Europe pour ensuite importer du Mercosur des produits traités avec ces mêmes pesticides.
Cela devrait être accompagné par une réforme profonde des règles du commerce agricole pour les rendre compatibles avec l’Accord de Paris et la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales (UNDROP).
Pour assurer une transition agricole réussie, il faut donner aux agriculteurs les moyens pour bien produire et soutenir les pratiques agroécologiques. Après près de 25 ans de négociations, il est clair pour tous que l’accord de libre-échange UE-Mercosur est irrémédiablement dépassé. Nous demandons à la Commission européenne d’écouter les agriculteurs, les citoyens et la société civile, ainsi que plusieurs Etats membres, qui recommandent stopper les négociations de l’accord UE-Mercosur.
Publié dans la Libre le 26/02/2024