dessin : planète terre entourée de signes de dollar et euro, des flèches dans toutes les sens et des nuages noires
Analyses

UE-Mercosur – un accord qui n’a pas fini de faire parler de lui  

par Éloïse Tuerlinckx
# jt219 # Stop à l’Accord UE-Mercosur
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Le 6 décembre dernier, Ursula von der Leyen se rendait à Montevideo, en Uruguay, pour signer un accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur. C’est historique, puisque cela fait maintenant plus de 25 ans que les négociations ont commencé, sans pouvoir jusqu’alors parvenir à un accord. Le texte est désormais définitif ; reste le processus de ratification… et l’opposition déterminée du monde agricole et de la société civile.

Analyse de la situation en sept questions clés :

1/ L’accord UE-Mercosur, qu’est-ce que c’est ?

L’accord UE Mercosur est un accord d’association entre l’Union européenne et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, et Bolivie – qui, n’ayant rejoint le groupe qu’en décembre 2023, ne fait pas partie de l’accord). Un accord d’association est un accord entre l’Union européenne et un pays ou bloc de pays, visant à renforcer leurs relations. L’accord entre l’UE et le Mercosur contient un volet commercial (l’accord de libre-échange) et un volet de politique et de coopération. S’il est ratifié, l’accord permettra de supprimer de nombreuses barrières tarifaires et facilitera les échanges commerciaux entre les deux blocs de pays.

2/ Pourquoi tant de bruit ?

C’est vrai, après tout, ce n’est pas le seul accord commercial que l’Europe négocie. On se souvient de la mobilisation citoyenne – et victorieuse – contre le TTIP (traité avec les États-Unis) ou contre le CETA (partiellement entré en vigueur en 2017). Mais des accords de libre-échange sont en discussion avec l’Indonésie, les Philippines… D’autres ont été signés ces dernières années, avec la Nouvelle-Zélande, le Japon, Singapour, le Vietnam ou encore le Kenya, sans soulever de vagues de protestation. Alors pourquoi l’accord avec le Mercosur fait-il particulièrement parler de lui ?

D’une part, il y a un aspect symbolique. Les négociations de l’accord ont commencé au siècle dernier, en 1999, et n’ont toujours pas abouti. Outre l’accord en lui-même, il incarne plus globalement le modèle du libre-échange, de plus en plus décrié aujourd’hui, et le sacrifice répété par l’Union européenne de ses agriculteurs et agricultrices pour favoriser d’autres pans de son économie.

D’autre part, bien que d’autres accords aient entre-temps été conclus, celui-ci pourrait être le plus grand jamais conclu par l’UE en termes de nombre de personnes et de PIB. En effet, l’Union européenne et les quatre pays du Mercosur, mis ensemble, représentent un cinquième de l’économie mondiale et 750 millions de personnes1Qui seraient les gagnants et perdants de l’accord commercial UE-Mercosur ? | Euronews.

Enfin, certaines des clauses qui y sont inscrites, comme celle de « mécanisme de sauvegarde », sont totalement inédites, et pourraient créer un précédent pour de futurs accords.

3/ Et pourquoi une telle opposition agricole et citoyenne ?

L’opposition à l’accord tel qu’il est présenté ne porte pas sur le commerce international en soi, ni sur le renforcement des relations avec un bloc de pays d’Amérique du sud. Au contraire, au vu des annonces récentes du président des États-Unis, notamment sur l’augmentation des droits de douane sur les produits européens, il semble important que l’Union européenne renforce ses relations avec d’autres blocs régionaux. Ce n’est pas l’idée de conclure un accord avec une autre partie du monde qui est contestée, mais bien le modèle commercial promu et mis en œuvre.  

En effet, cet accord nuit à l’environnement, à la biodiversité, aux droits humains… L’élevage de bétail – première cause de déforestation en Amazonie – devrait augmenter considérablement suite à la conclusion de l’accord. Un rapport estime que les six premières années qui suivent sa ratification, la déforestation en Amérique du sud augmenterait de 5% minimum chaque année2Dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l’Accord d’Association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, Rapport Ambec, Avril 2020. Il renforcerait également la pression sur les terres, alors que celles-ci font déjà l’objet d’accaparements violents, au Brésil notamment.

Des vaches contre des voitures
« Cars for cows » – « Des vaches contre des voitures » : un résumé qui montre le caractère néocolonial de l’accord.

L’accord perpétue des relations de type colonial en installant l’Europe comme importatrice de matières premières, comme des minerais ou de la viande de bœuf, et exportatrice de produits manufacturés à haute valeur ajoutée, comme des voitures ou des produits chimiques.

Un autre problème de l’accord est qu’il grave dans le marbre la politique ultra-libérale de Milei, président argentin d’extrême-droite. En effet, durant les négociations, chaque pays du Mercosur a décidé à quel point il ouvrait son marché à l’Europe. Alors que Lula, le président brésilien, a décidé de préserver certains marchés publics de la concurrence européenne (pour pouvoir notamment favoriser certains circuits courts, des entreprises locales, etc.), Milei n’a pas pris les mêmes précautions. Or, une fois conclu, un accord n’est plus facilement amendable. Si, aux prochaines élections, le peuple argentin décide de voter pour un·e dirigeant·e portant d’autres valeurs, il lui faudra quand même composer avec cette politique commerciale désastreuse voulue par Milei.

Un manque de cohérence énorme est également à dénoncer. Alors que l’Union européenne impose des normes à ses producteurs et productrices, que ce soit en termes de bien-être animal, d’utilisation de pesticides dans l’agriculture ou d’hormones pour l’alimentation animale, elle entérinerait l’arrivée massive sur son territoire de produits qui ne respectent pas ces règles. Ainsi, des pesticides dont l’utilisation a été interdite en Europe car on sait à quel point ils sont dangereux pour l’environnement, les pollinisateurs et la santé humaine, sont toujours vendus par des entreprises européennes à des pays du Mercosur. Des denrées alimentaires traitées avec ces pesticides interdits chez nous se retrouveront donc tout de même dans nos assiettes.

pesticides
L’effet boomerang de l’exportation de pesticides interdits en UE.

4/ Quel intérêt pour l’Union européenne ? Et pour le Mercosur ?

Si l’accord est en passe d’être conclu, c’est qu’il est bénéfique au moins à certains secteurs. C’est d’ailleurs toujours le cas dans les accords de libre-échange : certains secteurs sortent gagnants, et d’autres perdants et, globalement, chacune des parties y trouve son intérêt.

Au niveau européen, ce sont notamment les secteurs de l’automobile, de l’industrie pharmaceutique, des machineries qui peuvent espérer augmenter leurs exportations et donc leur chiffre d’affaires. Selon la structure de leur économie, les différents pays européens ont également plus ou moins à y gagner. Par exemple, l’Allemagne et ses entreprises telles que Volkswagen, BMW ou Bayer, est favorable à l’accord.

Dans les pays du Mercosur, c’est principalement le secteur agro-industriel qui devrait sortir gagnant, mais du point de vue économique uniquement. Davantage de pesticides arriveront sur le continent, la déforestation va augmenter, accélérant le dérèglement climatique, l’accès à la terre sera plus compliqué pour l’agriculture paysanne…

5/ L’UE met quand même en avant quelques garanties : qu’en est-il ?

Lors des négociations, de nombreuses voix se sont élevées pour demander un accord environnementalement ambitieux ou, à tout le moins, des garanties sur le respect de l’Accord de Paris. Une clause a donc été ajoutée à l’accord, stipulant que les parties s’engagent à ne pas s’en retirer. Rien ne garantit cependant que les États se donneront les moyens d’atteindre les objectifs climatiques fixés, qui ne sont d’ailleurs pas contraignants.

Un second mécanisme inclus dans l’accord risque, lui, de produire l’effet inverse, ralentissant les efforts en faveur de l’environnement. Il s’agit du « rééquilibrage des concessions » : si l’une des parties de l’accord prend une mesure qui a un impact sur les importations ou exportations de l’autre partie, cette dernière peut demander des compensations. Par exemple, si le Paraguay décide d’interdire certains pesticides toxiques sur son territoire, l’Allemagne, si elle en exporte vers ce pays, pourra demander à être compensée pour le manque à gagner des pesticides qu’elle ne peut plus exporter, en demandant une augmentation de quotas pour un autre bien ou service.

La loi contre la déforestation3Voir « Accord UE-Mercosur : à nouveau sur la table, toujours imbuvable », par Francesca Monteverdi, Analyse, Entraide et Fraternité, 2023, p. 3. entraide.be/publication/accord-ue-mercosur qui a été prise au niveau européen et devrait entrer en vigueur en 2026 pourrait donc bien tomber sous ce mécanisme, puisqu’elle a pour but d’interdire l’entrée sur le marché européen de biens issus de la déforestation. Les pays du Mercosur pourront ainsi exiger, puisque certains de leurs produits ne pourront plus être exportés, d’être compensés en augmentant d’autres quotas.

Ce mécanisme risque de décourager les pays de prendre des mesures qui protègent leur population ou leur environnement, sachant qu’il leur faudra alors ouvrir davantage leur marché à de nouvelles importations. 

profit

On le voit : malgré ces tentatives de garanties, le principal problème de cet accord, c’est qu’il place toujours en priorité le profit et l’augmentation du PIB pour certains secteurs, au détriment de la planète et des humains.

C’est à tout cela que la société civile, dont Entraide et Fraternité au sein de la Coalition Stop-UE-Mercosur4Lire la position de la Coalition : Stop UE-Mercosur – position de la Coalition belge Stop UE-Mercosur (février 2025), s’oppose lorsqu’elle dit non à l’accord de commerce UE-Mercosur. Nous sommes en faveur d’un autre modèle agricole, respectueux de l’humain de et la planète, qui serait basé sur la solidarité internationale et pas uniquement sur le profit de certains secteurs économiques.

…/…

6/ Comment se positionne la Belgique ?

Comme à l’accoutumée, la Belgique est divisée face à cet accord. Au nord du pays, la N-VA se prononce en faveur, car elle y voit une belle opportunité économique, liée au port d’Anvers notamment. Au sud, par contre, le Parlement wallon a voté une motion de rejet de l’accord.

Au niveau fédéral, le Ministre de l’Agriculture, David Clarinval, a déclaré ne pas pouvoir soutenir l’accord en l’état. Il souhaite l’ajout de clauses miroirs, qui assurent que les normes de production pour les pays tiers soient les mêmes que celles imposées dans l’UE5Au sujet des clauses miroirs, voir « Vers la fin du libre-échange en agriculture », par Francesca Monteverdi, Analyse, Entraide et Fraternité, 2024. entraide.be/publication/analyse2024-03.

À défaut donc d’une position commune, la Belgique s’abstiendra lors du vote au Conseil européen.

7/ Est-il encore possible de s’y opposer ?

Un accord sur le texte a donc été trouvé en décembre 2024… mais il n’est pas ratifié. Cela signifie que le contenu de l’accord ne changera plus. Pour autant, cela ne signifie pas que les États membres vont l’accepter et donc que l’UE pourra le signer.

Pour pouvoir être ratifié, l’accord doit en effet être voté à l’unanimité par les États membres au sein du Conseil. Un pays à lui tout seul pourrait alors le bloquer, comme a tenté de le faire la Wallonie pour le CETA.

La Commission européenne, pour éviter cela, pourrait alors choisir de contourner les règles démocratiques et de scinder l’accord en deux parties : une partie commerciale, compétence exclusive de l’UE, qui ne nécessite pas de vote à l’unanimité, et une partie coopération, qui suivrait la procédure habituelle.

Dans ce scénario, la partie commerciale serait alors votée au Conseil où elle n’aurait besoin que d’une majorité qualifiée6« La majorité qualifiée est atteinte si deux conditions sont remplies simultanément:

* 55 % des États membres ont exprimé un vote favorable – soit 15 sur 27

* la proposition est soutenue par des États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE » Site du Conseil européen, Majorité qualifiée – Consilium
pour être adoptée. Face à cela, la France, vivement opposée à l’accord, tente de composer une minorité de blocage, c’est-à-dire de réunir au minimum quatre États membres, qui représentent ensemble plus de 35% de la population européenne.  À ce stade, la Pologne, les Pays-Bas et l’Autriche pourraient également se prononcer contre. Après être passé au Conseil, le texte sera ensuite voté au Parlement, où il doit obtenir une majorité.

Une autre solution serait qu’un État membre décide de saisir la Cour de Justice européenne pour questionner la légalité de cette procédure de scission.

Le vote, si l’accord n’est pas scindé, devrait avoir lieu en juillet 2025. La date n’est pas choisie au hasard. Le mois de juillet est une période très chargée pour le monde agricole, ce qui limite le risque, pour la Commission, de voir des colonnes de tracteurs débarquer dans les rues de Bruxelles au moment du vote.

La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que cela signifie que les mobilisations fonctionnent, qu’elles dérangent en tout cas. Lors des dernières manifestations agricoles, de nombreux et nombreuses élu·es se sont déclaré·es aux côtés des agriculteurs et agricultrices. Ils et elles devront maintenant le prouver.

Comment participer à la mobilisation ?

pitogramme : 4 personnages

La prochaine date de manifestation est déjà fixée : le 24 juin, nous serons dans les rues de Bruxelles pour rappeler qu’un autre commerce est possible et que nous nous opposons à un accord qui ne prend en compte ni les aspects sociaux ni les aspects environnementaux.

pictogramme : grands bâtiments

Une autre manière de se mobiliser, plus symbolique, mais à forte valeur de sensibilisation au niveau local, est de convaincre vos autorités communales de voter une motion « Commune hors-accord UE-Mercosur ». Un guide paraîtra prochainement sur le site du CNCD-11.11.11 pour indiquer la marche à suivre. (www.cncd.be)

  • 1
  • 2
    Dispositions et effets potentiels de la partie commerciale de l’Accord d’Association entre l’Union européenne et le Mercosur en matière de développement durable, Rapport Ambec, Avril 2020
  • 3
    Voir « Accord UE-Mercosur : à nouveau sur la table, toujours imbuvable », par Francesca Monteverdi, Analyse, Entraide et Fraternité, 2023, p. 3. entraide.be/publication/accord-ue-mercosur
  • 4
    Lire la position de la Coalition : Stop UE-Mercosur – position de la Coalition belge Stop UE-Mercosur (février 2025)
  • 5
    Au sujet des clauses miroirs, voir « Vers la fin du libre-échange en agriculture », par Francesca Monteverdi, Analyse, Entraide et Fraternité, 2024. entraide.be/publication/analyse2024-03
  • 6
    « La majorité qualifiée est atteinte si deux conditions sont remplies simultanément:

    * 55 % des États membres ont exprimé un vote favorable – soit 15 sur 27

    * la proposition est soutenue par des États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’UE » Site du Conseil européen, Majorité qualifiée – Consilium
Avec le soutien de