Des syndicats européens et des organisations de la société civile répondent à l’appel des syndicats argentins. Ensemble, ils dénoncent l’aggravation de la situation politique et sociale en Argentine. Avec la loi « omnibus », le nouveau président Javier Milei menace de réduire à néant 40 années de luttes sociales. Dans ce contexte que la Commission européenne poursuit les négociations de l’accord de commerce avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) en dépit des atteintes aux droits sociaux et des attaques à l’État de droit en Argentine. Milei serait-il plus fréquentable que Bolsonaro ?
Les syndicats argentins CGT-CTAT-CTAA ont appelé à une grève générale ce 24 janvier pour protester contre les premiers décrets et projets de lois antidémocratiques du nouveau président Javier Milei. De nombreuses manifestations de soutien se tiendront en Europe et notamment à Bruxelles.
Élu le 19 novembre dernier, le président Milei lance, un mois après son entrée en fonction, un paquet législatif pour changer radicalement son pays. Auto-déclaré anarcho-capitaliste, il vise le démantèlement de l’État pour ouvrir le plus possible l’économie argentine aux capitaux étrangers. La « Loi des bases et points de départ pour la liberté des Argentins », dite loi omnibus, vise à modifier 660 articles pour instaurer le laisser-faire économique et limiter les droits individuels et collectifs. Dans son programme : des coupes dans les dépenses publiques et les subsides, la privatisation d’entreprises publiques, une réforme du droit du travail, la restriction du droit de manifester ainsi que la modification des lois pour la protection des forêts primaires, des terres autochtones et des glaciers. Il permet ainsi aux investisseurs étrangers d’acheter et d’exploiter librement ces terres, ouvrant des zones écologiquement sensibles à des projets miniers.
Ce projet déclare « l’état d’urgence » jusqu’au 31 décembre 2025 et prévoit le transfert à l’exécutif de pans entiers du pouvoir législatif actuel. Cette période pourrait être prolongée de deux ans, couvrant ainsi l’ensemble du mandat du président. Le texte a des chances de ne pas trouver la majorité au parlement. Cependant, le président dit vouloir procéder à coups de décrets face à l’opposition.
Une dictature sans coup d’État
Suite à la demande de la Confédération générale du travail (CGT), la Cour d’appel argentine a immédiatement suspendu la réforme du droit du travail proposée par le gouvernement.
Cette tentative de démantèlement de l’État est sans précédent en termes d’ampleur et de gravité : elle cherche à criminaliser la protestation sociale et à anéantir tout mécanisme visant à préserver l’environnement et la souveraineté sur les ressources naturelles.
Selon les syndicats argentins, on observe l’émergence d’une nouvelle catégorie de dictature, sans coup d’État, soutenue par des multinationales, des groupes d’extrême droite et des médias.
Les syndicats et les ONG se mobilisent des deux côtes de l’Atlantique en défense de la démocratie. Selon Luc Triangle, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale :
« La démocratie ne se limite pas seulement au vote : c’est aussi protéger les valeurs, les libertés et les droits. Tous ces éléments sont au cœur du mouvement syndical, et tous sont menacés en Argentine ».
Malgré l’espoir du gouvernement d’une amélioration de la situation macroéconomique au second semestre, les tensions sociales pourraient éclater avant cela.
L’UE ferme les yeux et poursuit les négociations avec le Mercosur
Dans ce contexte, les négociations reprennent en janvier pour faire aboutir l’accord d’association entre l’UE et le Mercosur. Un traité qui faciliterait les échanges commerciaux déjà existants entre les deux blocs économiques, qui représentent au total 780 millions de consommateurs. L’UE en bénéficiera pour son industrie automobile, chimique et pharmaceutique ; tandis que le Mercosur y gagnera pour l’exportation de ses produits agricoles et miniers.
Après 20 ans de négociations, en 2019 l’accord était sur le point d’être signé. Cela a été empêché par certains gouvernements et la société civile, inquiets de l’aggravation de la déforestation et des violations des droits humains et du travail que provoquerait la libéralisation accrue du commerce de produits comme la viande de bœuf et le soja. Depuis 2023, les négociations ont repris et la Commission espère trouver à un accord avant juin, pendant la présidence belge de l’UE.
Cet accord demeure préoccupant d’un point de vue environnemental, car il entraînerait une augmentation de la déforestation et la destruction de certains des écosystèmes cruciaux, comme l’Amazonie, le Cerrado et le Gran Chaco. Sur le plan social, il favoriserait l’accaparement des terres autochtones et une concurrence déloyale pour l’agriculture familiale, en Amérique latine comme en Europe. Il mettrait de plus en plus en péril les droits humains, sociaux et du travail, avec l’intensification de la criminalisation des mouvements sociaux et paysans que l’on observe déjà. Du point de vue sanitaire, l’augmentation du commerce de pesticides toxiques par-dessus l’Atlantique représente un risque pour l’ensemble des populations.
La situation actuelle en Argentine n’est pas différente de celle du Brésil de Bolsonaro en 2019. L’UE avait alors suspendu les négociations en raison de l’intensification de la déforestation favorisée par le président brésilien.
Dans ce contexte de crise climatique et sociale, marqué par le retour au pouvoir de l’extrême droite, il est impératif de favoriser des partenariats basés sur des objectifs communs, comprenant la défense de la démocratie, des droits humains, environnementaux et du travail. L’UE, actuellement sous la présidence de la Belgique, doit dire stop à la libéralisation effrénée du commerce aux dépens de ces droits.
Parue dans Le Soir le 4/1/2024