La Belgique doit se joindre aux huit États membres de l’Union européenne qui sont déjà sortis du Traité sur la Charte de l’énergie, un accord qui, même réformé, reste incompatible avec l’Accord de Paris sur le climat.
Le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) est incompatible avec la lutte contre le réchauffement climatique et la précarité énergétique dans la mesure où il est l’accord d’investissement le plus utilisé par les multinationales pour attaquer, sur la base de sa clause ISDS (Investor-State Dispute Settlement), les États devant des tribunaux d’arbitrage privés.
Leur crime? Avoir osé prendre des mesures environnementales et sociales: comme sortir du charbon, avoir suspendu des projets d’exploitation pétrolière ou avoir réglementé le prix de l’énergie. Au total, ce sont plus de 50 milliards d’euros qui ont été versés aux multinationales. Autant d’argent public qui aurait pu être dédié, par exemple, à la reconversion professionnelle des salariés des secteurs impactés par la transition énergétique.
Une réforme insuffisante
En raison de son incompatibilité avec l’Accord de Paris sur le climat, mais également le droit de l’Union européenne (UE), le TCE a fait l’objet d’un processus de réforme qui a duré plus de deux ans. Malheureusement, la version modernisée du TCE, sur laquelle s’est accordée la cinquantaine de parties prenantes le 24 juin 2022, ne permet pas de résoudre cette incompatibilité.
La version réformée du Traité ne permettra pas de décarboner progressivement le secteur de l’énergie à l’horizon 2030.
Les modifications apportées au traité sont loin d’être suffisantes pour assurer le respect des échéances afin de décarboner progressivement le secteur de l’énergie à l’horizon 2030 en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En effet, la protection des investissements existants dans les énergies fossiles sera maintenue pendant dix ans après l’entrée en vigueur du TCE modernisé. Or, le processus de ratification prévu est extrêmement long. Dans le meilleur des cas, la version modernisée du traité n’entrerait en vigueur que dans 15 à 20 ans, soit dans des délais incompatibles avec le respect de l’Accord de Paris et du Green deal européen.
Blocages politiques
L’insuffisance des réformes a eu un impact politique.
Ainsi, la Commission européenne a dû faire face aux annonces consécutives de sept États (France, Allemagne, Espagne et Pays-Bas, Pologne, Slovénie, Luxembourg) qu’ils se retiraient du TCE, en plus de l’Italie qui en est sortie en 2016.
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Faute de consensus entre les gouvernements fédéral et régionaux, la Belgique s’est abstenue de prendre position sur la version modernisée du traité.
Faute de consensus entre les gouvernements fédéral et régionaux, la Belgique s’est quant à elle abstenue de prendre position sur la version modernisée du traité.
La Commission européenne ne dispose pas non plus du soutien du Parlement européen, qui l’appelle à « engager immédiatement le processus devant conduire à un retrait coordonné de l’Union du TCE« .
Sortie coordonnée
Les blocages sont aussi d’ordre juridique puisque plusieurs arrêts de la Cour de Justice de l’UE considèrent que l’ISDS viole le droit de l’UE. Face à cette impasse, la Commission européenne se dirige vers un abandon de son soutien à la version modernisée du TCE. Dans une opinion préliminaire des services de la Commission, l’on indique en effet que la sortie du traité est devenue « inévitable ».
Pour mettre en œuvre cette option de retrait coordonné, il faut à la fois l’assentiment du Parlement européen – ce qui est a priori acquis vu sa position actuelle – et le soutien d’une majorité qualifiée d’États membres, c’est-à-dire 15 États membres représentant au moins 65% de la population totale de l’UE. On peut raisonnablement compter sur les huit États qui se sont déjà positionnés pour (ou ont déjà opéré) un retrait du TCE. Manqueraient donc sept États, parmi lesquels la Belgique.
Notre pays n’a rien à gagner en restant dans le TCE.
Notre pays n’a pourtant rien à gagner en restant dans le TCE, comme le soulignent les services de la Commission: « les modes de protection des investissements tels que ceux fournis par le TCE ne sont pas nécessaires pour attirer les investissements dans l’UE, étant donné les niveaux d’accès à la justice et à l’état de droit – surtout pas dans le secteur de l’énergie, où le marché de l’énergie de l’UE est dynamique et très attractif. Par conséquent, un retrait du TCE ne devrait pas avoir d’effets majeurs sur les décisions des acteurs du Japon, du Royaume-Uni, de la Suisse, de l’Azerbaïdjan ou de toute autre partie contractante du TCE d’investir dans le secteur énergétique de l’UE ».
Neutraliser la « clause de survie »
Les opposants à une sortie du TCE évoquent aussi la présence dans le texte d’une clause de survie, en vertu de laquelle les investissements réalisés avant leur retrait continueront d’être protégés par le traité pendant vingt ans après leur sortie. Cependant, cet argument ne prend pas en compte les pistes juridiques existantes pour désactiver la clause de survie. En effet, les États ayant décidé de se retirer du TCE pourraient adopter un accord excluant l’application de cette clause de survie entre eux, réduisant ainsi le risque de poursuites devant des tribunaux d’arbitrage par des investisseurs de l’UE de vingt à un an.
Ce retrait pourrait fortement inciter les États signataires non européens, mais qui souhaitent adhérer à l’UE à se retirer dès à présent d’un traité contraire au droit de l’Union.
L’option la plus efficace pour l’UE et les États membres consiste donc à sortir de manière coordonnée du TCE et à accompagner ce retrait collectif d’un accord neutralisant la clause de survie. Elle est aussi la seule qui nous permette d’être à la hauteur des enjeux climatiques et sociaux. Nul doute qu’un tel retrait aura un effet d’entraînement. Non seulement parce qu’il aura un impact sur le fonctionnement du Secrétariat du TCE dans la mesure où les États européens sont les premiers contributeurs à son budget. Mais aussi parce que ce retrait pourrait fortement inciter les États signataires non européens, mais qui souhaitent adhérer à l’UE à se retirer dès à présent d’un traité contraire au droit de l’Union.
Renaud Vivien, coordinateur du service politique d’Entraide et Fraternité
Sophie Wintgens, chargée de recherche et plaidoyer au CNCD-11.11.11
Juan Carlos Benito Sanchez, coordinateur au Centre d’Appui Social Énergie, Fédération des Services Sociaux
Carte blanche parue dans le quotidien belge L’Echo le 28/2/2023.