Un groupe de femmes souriantes pose entre des bananiers. Chacune tient un légume ou fruit différent dans les mains.
photo : Erick Tremblay

En Haïti, une ferme-école à la fois féministe et écologique

Résistances

Menacée par un magnat local, la ferme-école créée par SOFA permet aux femmes de se former aux techniques agricoles, ce qui présente l’avantage également de les promouvoir socialement et de les autonomiser.

Le 7 février 1986, le régime de Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier, qui terrorise Haïti comme l’a fait son père, tombe. Deux semaines plus tard, était créée SOFA (Solidarite Fanm Ayisyèn – Solidarité Femmes haïtiennes) par quelques femmes désireuses de profiter du changement d’époque : ses membres fondatrices travaillaient en milieu rural et avaient pu découvrir la nécessité pour les femmes paysannes de créer un espace leur permettant de devenir actrices du changement de leur propre vie et de participer à la lutte pour l’élimination du système patriarcal et du système capitaliste néolibéral.

Quarante ans plus tard, Haïti est passé par bien des épreuves, par bien des catastrophes naturelles ou humaines, mais le besoin des femmes est toujours aussi nécessaire. SOFA travaille sur 4 axes d’intervention (lire pages suivantes) : la santé, la lutte contre les violences faites aux femmes, la lutte contre la pauvreté et la participation des femmes aux instances décisionnelles.

Ces quatre piliers trouvent leur concrétisation dans la ferme- école (féministe et écologique, deux mots qui présentent les mêmes initiales…) installée à Saint- Michel-de-l’Attalaye et qui constitue un lieu de formation et d’information de la bonne pratique en agriculture. Elle contribue à l’autonomisation économique des femmes agricultrices, à la relance de l’agriculture par le biais entre autres de l’augmentation de la production agricole, de l’optimisation de la productivité en général et à la lutte contre la dégradation des sols.

« La ferme-école, c’est une formation pratique à 80% et thérapeutique à 20%. Nous avons formé 240 femmes aux techniques agricoles », explique Marie Eveline Larrieux, fondatrice de SOFA. « La ferme ne disposait au départ que de 3 hectares, cela ne suffisait pas. Les femmes ont alors commencé à se former dans leur propre champ, mais cela ne suffisait toujours pas : nous avons mené un plaidoyer auprès du ministère de l’Agriculture pour avoir des terres de l’État et agrandir la ferme. Nous avons finalement obtenu 10 hectares de plus. Les 240 femmes qu’on a formées (600 femmes de la communauté sont membres de SOFA) dans la commune de Saint- Michel-de-l’Attalaye, ont commencé à travailler et à récolter avec une motivation extraordinaire. À la même époque, en 2019-2020, la FAO déclarait Haïti en état de famine : ces femmes ont travaillé de manière opiniâtre pour produire un maximum afin de nourrir la population de leur région. En mai 2020, leurs terres ont été accaparées par un magnat haïtien qui voulait produire de la stévia pour Coca-Cola et a chassé ces femmes avec l’accord du président Moïse. Notre travail a donc été stoppé jusqu’au début de cette année où Entraide et Fraternité et tous ses partenaires dans le pays ont décidé de mener des actions pour nous aider à récupérer notre terre pour la rendre à la petite production. Notre ferme continue de fonctionner, les femmes formées continuent de venir y travailler, mais aussi sur leur lopin privé. Car le but de la formation, c’est l’autonomisation des femmes, comment travailler au mieux leur terrain familial, travailler ensemble au niveau de l’organisation, mais aussi pour vendre des services dans la communauté. On doit continuer à former d’autres femmes. »

« C’est capital d’avoir un petit jardin »

Elta Martelly a 6 enfants, elle est une des centaines de femmes membres de SOFA. Elle explique son parcours : « À mon arrivée à la ferme-école de SOFA, madame Mergina, sa présidente, m’a expliqué qu’on pouvait prendre des vieux pneus, des vieilles bassines endommagées et des seaux afin de réaliser un petit jardin potager autour de notre petite maison pour ne pas utiliser des produits chimiques. Un agronome m’a aidé à construire un jardin autour de chez moi. J’ai planté des poireaux, du persil, des piments doux. J’en utilise beaucoup chez moi. Je continue d’assister aux réunions de SOFA et cette dernière nous assiste toujours. Un agronome continue à nous apporter des conseils et à nous dire, par exemple, combien il est important d’avoir son petit jardin, de ne plus manger de l’alimentation chimique, comment nous devons utiliser les moyens du bord pour construire son jardin. La SOFA m’a prêté du matériel agricole et je suis fière d’être la ‘fille’ de la SOFA. »

# jt212